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PRÉFACE

OU

Remarques sur l'Orthographe en général, et sur ses différentes

Parties.

UOIQUE la Langue Françoife n'ait prefque pas varié depuis environ cent ans, et que les Auteurs du fiecle où nous fommes, fe faffent honeur d'imiter ceux qui ont excelle fur la fin du précédent; cependant l'Ore thographe a reçu tant de différens changemens, qu'à peine trouve-t on deux Livres où elle foit femblable, s'ils n'ont été corrigés par un feul et même Correcteur. Tout le monde reconoît ce défaut, et perfone n'y a encore apporté le véritable remede, quoique plufieurs favans Ecrivains en ayent donné des Traités. Mais, parce qu'ils fe font plus attachés à leur propre goût qu'à celui du Public, que l'on appele ufage, et à la raifon qui fe tire de l'étymologie, ils ont eu le dé agrément de voir que leurs travaux font devenus inutiles, et que ceux qui ont écrit depuis l'édition de leurs Livres, loin de les imiter, croient être en droit de jouir du même privilége, c'eft-à-dire, de fuivre comme eux, leur fentiment particulier.

Ce n'est pas ce que nous nous propofons dans cet Ouvrage : nous fuivrons les regles générales autant qu'il nous fera poffible: nous apporterons fur les mots dont l'Orthographe varie, les differens fentimens des meilleurs Auteurs tant anciens que modernes : et nous y joindrons le nôtre, dont nous ferons connoître les raifons au Public, à qui nous en laifferons la décision.

DE L'ORTHOGRAPHE EN GÉNÉRAL.

L'Orthographe, fuivant l'étymologie du nom, eft l'art ou la maniere d'écrire correctement; c'est-à-dire, d'expofer exactement aux jeux des Lecteurs, ce qu'on veut leur apprendre. Meffieurs de Port-Royal, dans

leur Méthode pour la Langue Latine, difent que l'Orthographe doit fuivre la raifon et l'autorité, la raifon, lorfqu'on a égard à l'étymologie des mots; & l'autorité, lorfqu'on fe conforme à la maniere d'écrire la plus ordinaire dans les bons Auteurs. Entrons prefentement en matiere. Les Ecrivains du dernier fiecle, qui s'atacholent beaucoup plus à la raifon qu'à toute autre chofe, avoient une Orthographe plus uniforme, qu'on appele aujourd'hui l'anciene. Le P. Buffier n'a pu s'empecher d'avouer dans fa Grammaire Françoife, nombre 208. « qu'il paroît > judicieux de garder l'anciene Orthographe dans tous les mois, où » fons cela ils feroient confondus avec des mots qui ont le même fon, >> et qui ont cependant une fignification toute differente. C'eft pour» quoi, bien que les lettres doubles qui ne fe prononcent point, >> foient fupprimées dans la nouvelle Orthographe, on fait bien d'écrire » encore Ville (urbs) par deux ll, bien que ce mot ait le même fon que » Vile, (vilis.) De même on fait bien d'écrire poids. (pondus ;) poix, » (pix;) & pois, (cicer;) bien que ces trois mots aient le même fon; >> car leur fignification étant bien différente, il femble affez à propos > de la diffinguer, du moins aux ieux, puifqu'on ne peut, par la pro>> nonciation, la diftinguer à l'oreille ».

Voici ce qu'il dit au nombre 196. «On perdroit, en quitant l'anciene » Orthographe, la connoiffance des étymologies, qui font voir de quels > mots, Latins ou Grecs, vienent certains mots François ».

Et au nombre 200. On ne verroit plus le raport qui eft et qui > doit être entre les mots dérivés l'un de l'autre. Par exemple, fi l'on écrit tems, au lieu de temps, en ôtant le p, on ôtera le raport de temps, aux mots temporel, temporifer, & à fes autres dérivés». D'autres Auteurs ont ofé avancer qu'il faut écrire comme on parle. Pour répondre à cette prétention, & montrer combien dans fa géné ralité elle eft fauffe & ridicule, il pourroit fuffire d'obferver que, fi l'on écrivoit comme on prononce, il s'enfuivroit néceffairement qu'il n'y auroit que ceux qui parlent bien, qui écriviffent correctement. Les Gafcons écriroient vateau pour bateau; boiturier pour voiturier, & ainfi des autres les Limoulins écriroient Setembre pour Septembre; Otobre pour Octobre; Doteur pour Docteur; & Bénéditin pour Bénédictin: les Picards, ennemis de la lettre h, fe croiroient pareillement en droit d'écrire un car, un quen, la bouque, une mouque, au lieu de chat, chien, bouche, mouche de forte qu'il fe trouveroit dans la Langue Françoife autant d'orthographes différentes, qu'il y a de maniere différentes de prononcer felon les Provinces; ce qui feroit une bigârure ridicule. Il n'y a qu'à ouvrir le Didionaire Grammatical de la Langue Françoife, imprimé à Avignon en 1761; on y verra à chaque page combien la prononciation de cette Province altere et défigure l'Orthographe communément reçue on y verra que fi l'on vouloit écrire comme on prononce dans cette Province, il faudroit écrire avoar, pour avoir; boâre, pour boire; kroâre, pour croire, devouar, pour devoir, &c. &c. &c.

:

Mais, me dira-t-on, il n'y a que les gens du commun qui alterent

:

ainfi la prononciation. Il fe trouve, dans les Provincês les plus recu lées, des perfones qui parlent parfaitement bien. Je l'avoue; néanmoins il ne s'enfuit pas de-là qu'ils doivent écrire comme ils pronon cent. L'ufage général veut qu'on écrive, Paon, Faen, Laon, Aoûr, Saone, fceau, à jeun, Eustache, œuvre, ail, &c Cependant il faut prononcer Pan, Fan, Lan, Oût, Sône, fau, à jun, Ujloche, euvre, &c. Il en eft de même en une infinité d'autres mois dont la prtinond ciation eft différente de l'écriture, non feulement chez les François, mais encore chez toutes les Nations du monde.

eril.

Les différentes parties de l'Orthogr phe ont pour objet 1, les Lettres; 2°, les Mots; 3', les Accents & autres fignes unites dans l'écriture. C'eft l'ordre que nous fuivrons ici.

PREMIERE SECTION.

DES LETTRES.

On ne diftinguoit autrefois dans notre alphabet que vingt trois Lettres, mais alors on étoit obligé de diflinguer deux i & deux u : favoir II voyele & I'J confone; & de même l'U voyele & l'U confone Mais ces deux i & ces deux u, s'exprimant ainfi par deux caracteres, il en résulte que nous avons dans notre alphabet vingt-cinq caracteres, et conféquemment vingt-cinq lettres que l'ACADÉMIE diftingue expreffément dans la derniere édition de fon Dictionnaire Nous les diftinguerons donc de même; & nous allons traiter de chacune en particulier.

ARTICLE I. De la Lettre A.

Les Voyeles exigent une attention particuliere qui oblige d'entrer dans quelque détail.,

S. 1. Du fon plus ou moins ouvert, bref ou long, de la lettre A. La lettre A fe prononce d'un fon plus ou moins ouvert, felon qu'elle eft longue ou breve. Lorfqu'elle est longue, elle porte fouvent l'accent circonflexe; & il femble qu'excepté la terminaison en S, où l'A qui précede eft toujours long, if conviendroit d'appliquer l'accent circonflexe généralement à tous les a longs, pour les diftinguer de ceux qui font brefs. Voici ceux qui font longs:

1°, l'A eft long, quand il fe prend pour la premiere lettre de l'alphabet: un petit a ; un grand A. Il eft bref dans ces mots : il va à Paris, où il a un procès.

2°, Au commencement du mot l'A eft long dans âcre, afre, âge agnus, âme, âne, ânus, âpre, ârhes, ás, & dans leurs dérivés, dcreté, âge, âneffe, anon, âpreté.

3, A la fin des mots dans les noms terminés en AS, foit que l'on y prononce la lettre S, comme dans Atlas, Palles, &c. foit qu'on ne l'y

prononce pas, comme dans amas, appas, &c. dans les fecondes perfones des Verbes, tu as, tu aimas, tu aimeras; dans les pluriels de différentes terminaifons, des fofas, des facs, des draps, &c. On ne met point d'accent à ces mots, parce que la regle est générale, que A eft long dans ces terminaifons.

4°, L'A eft encore long dans ces quatre mots, appât, bât, dégât, mát.

5°, Il varie dans les pénultiemes. Voici celles où il eft long. ABE, long dans aftrolable & crabe.

ABLE, long dans la plupart des fubftantifs : câble, fâble, diable, able, fable, & dans ces Verbes, il accáble, il enfâble, il håble.

ABRE, toujours long: cinabre, fibre ; il fe cabre, il fe delabre : l'A de ces deux terminaifons demeure long dans les terminaifons mafculines des mêmes Verbes: accdbler, &c. fe cdbrer, &c.

ACE, long dans grâce, efpice; on lace, on déláce, on entrelace. ACHE, long dans gêche, lâche, relâche, tâche; au sens d'entreprifes; on me fache, je mâche, il fe relâche: on dit de même, fächer, macher, &c.

ACRE, long dans dcre, adjectif.

ADRE, long dans câdre, efcadre: il cadre; on dit auffi encôdré, & madré.

AFLE, long dans råfle, j'érâfle; râfler, éráfler.

AFRE, long dans befre, il bafre; bifrer.

AGNE, long dans il gégne; gågner.

AILLE, communément long, bataille, &c. excepté dans médaille; je détaille, j'émaille, je travaille; détailler, &c.

AILLON, cominunément long, bâillon, &c. excepté dans médaillon, bataillons; nous detaillons, &c.

ALE, long dans hale, måle, rale, pâle; il råle ; råler, pâleur, halé.

AME, long dans âme, blême, Brâme, infâme, il blâme, il se pâme ; blomers fe pamer nous dimames, & les autres.

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AMME, long dans flamme & oriflâmme..

AMNE, long dans il damne, il condamne; damner, condamner.

ANE, long dans crânes, les månes.

ANNE, long dans la mânne, une mânne, Anne, Jeanne.

APE, long dans rape, raper.

APRE, long dans capre.

AQUE, long dans Jaque o Jacques, & dans Pâque.

ARE, long dans rare & rareté.

ARRE, long dans barre, & bârrer.

ARRI, long dans équârri, mârri.

ASE, toujours long, mais s'abrege lorfque le mot s'alonge : ainfi il eft long dans extâfe, mais bref dans il s'extafie.

ASSE, long dans baffe, coffe, choffe de Saint, clâsse, échôsse, maffe au jeu, naffe, paffe, taffe; dans les adjectifs féminins, baffe,

graffe, laffe; dans ces verbes, il am âffe, câffe; compasse, enchasse pafe, safe, furpaffe, au fubjonctif que j'aimae, que tu aimaffes, qu'ils aimaffent.

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ATE, long dans hâre, pâte ; il appâte, il démáte, il gáte, il máte ; & aux pretérits, vous aim ites, vous chantátes.

AVE, communément long, conclave, &c. excepté dans cave, ve, rave, on pave, paver, pavé.

AVE, toujours long, cadavre, hávre, &c.

§. 2. De l'A fuivi d'une voyele.

octa

L'A s'eft trouvé quelquefois fuivi d'un fecond A, mais de maniere que les deux fe font confondus, & en ont produit un feul qui eft long; ainfi autrefois on écrivoit aage; aujourd'hui on prononce & on écrit age. Mais dans les noms propres, tels que Aaron, on prononce chaque A féparément, de maniere que le fecond eit plus href que le premier dans Aaron. Le premier pourroit être plus bref dans un nom dont le fecond devroit étre long, comme Aas.

L'A joint avec l'E en diphthongue, s'éclipfe de maniere qu'on re fait entendre que l'E, & aujourd'hui communément on change cet A en E fimple. Ainfi au lieu qu'autrefois on écrivoit l'Ægypte & Æthiopie, aujourd'hui on écrit comme on prononce, l'Egypte, l'Ethiopie, fans avoir égard à l'origine tirée du Latin, Ægyptus & Ethiopia. A peine conferve-t-on cet E dans quelques noms rarement employés, tels que celui d'Eole, Roi des Vents, nommé en Latin Æolus.

Au contraire l'A avant la voyele nafale EN, éclipfe l'E de maniere qu'on ne fait entendre que l'A, fur qui l'on fait alors tomber le fon nafal ainfi on ecrit Cuen pour conferver l'anciene forme de ce nom ; mais on prononce Can delà vient l'adjectif Caenois, que l'on prononce Canois, ou même Canais.

Lorfque l'A eft fuivi d'un E fans former de diphthongue, on met fur cet E un tréma ou un accent aigu: Ainfi on écrit Aglae ou Agloé, mais de maniere que l'on prononce Aglaé, en faifant foner les deux voyeles féparément de même dans Phaeton, Aeien on prefere aujourd'hui communément l'accent aigu au trema, pour mieux marquer la prononciation.

L'A te joint avec l'I en diphthongue, ou plutôt en fauffe diphthongue: car ces deux voyeles réunies, prenant alors le fon de l'e, il en refulte qu'en écrivant deux voyeles, on n'en prononce réellement qu'une, qui n'eft ni l'une ni l'autre, mais qui emprunte le fon de l'e plus ou moins ouvert, & conféquemment plus ou moins long, & quelquefois le fon de l'e fermé.

Cette fauffe diphthongue AI a le fon de l'e fermé, au préfent, j'ai ¡ au paffé, je chantai, & au futur, je chanterai, &c.

En tout autre cas elle a le fon de l'E plus ou moins ouvert, plus ou moins long. Elle est longue dans ces mots, ais, paix, plaie, chaife,

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