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s'attaquaient au bonhomme. On vit à propos de la Phèdre de Racine jusqu'où pouvaient aller, pour faire triompher leur poète, les protecteurs de Pradon. En attaquant ces gens-là, Boileau s'en prenait donc à une forte partie, et c'était faire preuve d'une certaine grandeur que d'affronter ainsi de réels dangers. D'autre part il y avait péril en la demeure parce que le goût était corrompu par ces méchants écrivains. Un intérêt littéraire puissant, en même temps qu'un intérêt moral et politique, poussait donc Boileau à déprécier Chapelain, car, il faut bien le reconnaître, lorsque le goût est corrompu, la raison ne tarde pas à se corrompre elle-même, et de là peuvent sortir bien des maux. Boileau avait donc de justes motifs pour critiquer Chapelain et autres; c'était une œuvre hardie et salutaire à la fois qu'il accomplissait; le salut public lui donnait le droit de ne pas ménager ses coups.

2o Mais supposez le cas le plus habituel il s'agit d'un auteur moribond, dont l'œuvre achève de tomber dans l'oubli; il faut le laisser mourir en paix. Car alors il n'y a aucun mérite à relever sa faiblesse, à montrer l'ennui qui sort des pages de son livre. La seconde thèse de Boileau est donc entièrement opposée à l'esprit chrétien, à l'esprit de générosité et de délicatesse. Il n'y a plus de courage à attaquer de malheureux poètes sans défense. La satire a aisément du succès pour peu qu'elle ait d'esprit et de malice, elle donne à son auteur un air de désintéressement et de bravoure souvent mensonger. De plus, comment pourrait-on excuser, puisqu'il ne s'agit pas d'un auteur dangereux, la cruauté avec laquelle on va le traiter? On va l'atteindre d'abord dans ses inté rêts pécuniaires: cet homme n'exerce-t-il pas un métier ? Avant la gloire n'a-t-il pas besoin du pain quotidien? Dénigrer son ouvrage c'est donc l'acheminer vers l'hôpital. Sans doute l'opinion publique vous applaudit si vous le bernez avec esprit et enjouement; mais essayez d'en user de même avec un autre négociant, la loi se dresse aussitôt devant vous, pour vous empêcher de nuire à un homme en le gênant pour gagner sa vie. La loi tolère si peu que l'on coupe les vivres d'un homme, que si vous congédiez une servante avec de légitimes motifs de mécontentement, sur le certificat que vous lui remettez, vous ne pouvez qu'inscrire la date de son entrée chez vous et celle de sa sortie, et si vous donnez de mauvais renseignements sur son compte, elle peut, en fournissant des preuves, vous faire condamner par un juge de paix. Ce qu'il faut conclure de là, c'est que, lorsque l'écrivain médiocre ne barre pas la route à ceux qui possèdent un réel mérite, nous ne devons pas l'attaquer. Nos attaques ne l'atteignent d'ailleurs pas seulement dans ses intérêts matériels, mais aussi

dans sa considération. Il y va de la gloire de Chapelain à ne pas bien écrire; il s'est donné comme un historien, il s'est cru savant et a su le persuader aux autres; en établissant qu'il n'est qu'un sot, vous le rendez ridicule aux yeux de ses amis et ennemis, devant sa propre famille. Sans doute Boileau ne charge Chapelain d'aucun crime; mais il aurait pu se dire qu'on est souvent malheureux ici-bas simplement pour être convaincu de ne point posséder un talent que l'on croyait avoir.

On peut encore demander au satirique: « Cet ouvrage que vous jugez ennuyeux, si vous l'aviez entendu lire par l'auteur dans un salon, en eussiez-vous fait publiquement la satire? Non; car vous auriez été considéré comme un malappris. Comment donc avez-vous le droit de faire de loin ce que vous n'avez pas le droit de faire de près? Mais, répondra-t-il, je ne fais que profiter d'un pacte que l'auteur a conclu lui-même. En publiant son ouvrage, il se soumet au jugement public, il s'expose au blâme aussi bien qu'à l'éloge? » Ce n'est pas là le moins du monde une conséquence logique. Un père me présente un enfant aimable, charmant; je me plais à le reconnaître et j'en ai le droit ; un autre me montre un enfant disgracieux; ai-je alors le droit de dire : « Votre enfant sera un sot »? il est évident que non. Un auteur, dit Boileau, est esclave-né de quiconque l'achète ». Cela est vrai non de l'auteur lui-même, mais de l'exemplaire de son ouvrage qu'on a payé au libraire. On peut l'annoter à sa guise, ne pas le lire, si on veut, s'en moquer même en petit comité; mais en public, c'est autre chose, si de fortes raisons ne nous dégagent pas des obligations de la charité. Boileau se trompe donc quand il pense avoir acquis tous les droits sur un auteur dont il achète le livre.

Mais alors comment la critique doit-elle s'exercer? Elle doit ou bien louer tout le monde ou ne parler que de ce qui est louable. Cette conséquence n'a rien qui doive effrayer. A quoi bon parler d'un ouvrage dont le public ne se soucie pas ? Pourquoi le réveiller dans son sommeil ? La Harpe passe une partie de sa vie à dire des vérités désagréables à un certain nombre de personnes ignorées. Quel service a-t-il rendu à lui-même et aux autres ? Il s'est aigri et il a suscité contre lui des haines qui l'ont entravé dans certaines tentatives utiles. Quand il a voulu discerner dans l'œuvre des philosophes le bon et le mauvais, il a trouvé tout le monde prévenu contre lui; à force de voir trop le mal et pas assez le bien, il a faussé l'esprit de ses lecteurs et les a prédisposés à se méfier de lui.

Mais lorsque des écrivains sollicitent eux-mêmes votre avis, ne faut-il pas le donner avec franchise? Sans doute; mais alors

soyez bref, usez de phrases polies et habiles pour leur faire entendre la vérité. Si cela vous est impossible, c'est que vous n'êtes pas capable d'exercer votre métier et vous devez par conséquent y renoncer à jamais. Ne pouvez-vous encore arrêter au passage quelques doctrines fâcheuses, les réfuter et rétablir la vérité dans ses droits? Le critique peut donc toujours parler avec franchise et dignité lorsqu'il n'est pas libre de garder le silence. Ce qui importe, c'est qu'il fasse la distinction entre l'auteur qui peut nuire, comme Chapelain, et l'écrivain qui ne peut rien, auquel le public n'accorde aucune importance; à l'égard de ce malheureux il doit refuser le rôle de bourreau.

D'ailleurs, si le critique a le droit d'exercer la séverité, il doit le racheter par un autre côté; il doit faire admirer les œuvres dignes de respect, non seulement parce qu'elles le méritent, mais encore parce qu'il est bon et sain pour l'âme d'admirer, et qu'il est mauvais de toujours rire.

Enfin le critique a aussi pour obligation de s'entretenir dans la modestie. Dans ce genre plus que dans tout autre genre littéraire, l'écrivain est menacé de tomber dans l'infatuation. Le critique qui s'érige en juge, est naturellement enclin à la suffisance. Qu'il prenne donc garde que, si le juge prononce une sentence, cette sentence ne fait que sanctionner une enquête à laquelle d'autres que lui ont pris part, les avocats et les témoins, par exemple. Le critique au contraire a fait l'enquête à lui seul, a joué tous ces rôles à la fois. Il lui convient donc de méditer souvent ce vieux proverbe : la critique est aisée, mais l'art est difficile. Assurément un joli feuilleton dramatique coûte quelque peine à écrire, combien n'a-t-il pas été plus pénible pour l'auteur d'écrire la pièce qui sert de prétexte au feuilleton! Le plan du critique coûte bien moins à établir que celui de l'auteur. Le premier n'a eu qu'un petit nombre de pages à envisager; le second s'est trouvé en présence de la création tout entière, il a dû parcourir tout le monde de l'imagination, et c'est là sans conteste une tâche beaucoup plus lourde. Voilà ce que le critique doit se rappeler sans cesse.

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Dissertations françaises.

I. Pourquoi le chapitre de La Bruyère qui a pour titre De l'Homme, est-il intitulé ainsi ?

II. Les ouvrages mélancoliques, dit un auteur du XVIIIe siècle, sont ceux qui plaisent et attachent le plus. Quelles peuvent être les raisons d'une telle préférence ?

III. Qu'est-ce qui fait, selon vous, le charme essentiel de la correspondance de Voltaire ?

I.

Dissertations latines.

Quo consilio et qua arte Vergilius nonam eclogam composuerit ostendetis.

II. · De Satirarum Horatianarum natura et indole disseretis. III. Quam callide Tullius Ligarium defenderit ostende tis.

Thème grec.

Si Caton eut tort de mépriser les lettres et la philosophie, il avait bien raison de railler, dans son discours au Sénat, les « enfants des Grecs », dont les occupations étaient en effet assez ridicules, depuis qu'ils avaient été condamnés aux loisirs forcés de la servitude. Sous la domination macédonienne ou romaine, ne pouvant plus agir, ils se dédommageaient en parlant. Le scepticisme de la Nouvelle-Académie, par cela qu'il n'affirmait rien, permettait de disputer sur tout. Un contemporain, un Grec, Polybe, nous a laissé un spirituel tableau où il nous fait assister à cette folie savante et bavarde qui s'était emparée des maîtres et des élèves. « Quelques-uns de ces philosophes, pour embarrasser leurs adversaires, dans les questions les plus claires aussi bien que les plus obscures, usent de telles subtilités, savent vous troubler l'esprit par de si trompeuses vraisemblances, qu'on en est à se demander s'il ne serait pas possible de sentir à Athènes

l'odeur des œufs cuits à Ephèse. »... Il eût été fâcheux, en effet, que celle espèce de maladie mentale pénétrât dans Rome; mais il n'était pas à craindre que la jeunesse romaine s'éprit de ces inutiles exercices.

Matières à option.

(LITTÉRATURES GRECQUE, LATINE ET FRANÇAISE.)

I. Les discours dans Thucydide.

II. Apprécier la valeur historique et littéraire de la Germanie de Tacite.

III.

Par où la Défense et Illustration de la langue française de Du Bellay aurait-elle plu à Boileau, s'il avait eu la patience de l'examiner.

GRAMMAIRE GRECQUE.

I. — Donner le futur actif et passif de νομίζω à tous les modes dans le dialecte attique.

II.

Relever les formes particulières que contiennent les vers

suivants de Théocrite (id. VII, 10-14) :

· III.

Κούπω τὴν μετάταν ὁδὸν ἄνυμες, οὐδὲ τὸ σῶμα

ἀμῖν τὸ βρασίλα κατεφαίνετο, καὶ τιν' ὁδίταν
ἐσθλὸν σὺν Μοίσαισι Κυδωνικὸν εὕρομες ἄνδρα,

οὔνομα μεὶ Λυκίδαν, ἧς δ' αἰπόλος, οὐδέ κε τίς γιν

ἠγνοίησην ἰδών, ἐπεὶ αἰπόλῳ ἔξοχ' ἐῴκει.

Comment rend-on l'idée du que français après les verbes montrer, savoir et apprendre.

IV. Etudier le style, la langue et la syntaxe de ce passage de Thucydide (I, 84, 3) :

Πολεμικοί τε καὶ εὔβουλοι δια τὸ εὔκοσμον γιγνόμεθα, τὸ μὲν ὅτι αἰδὼς σωφροσύνης πλεῖστον μετέχει, αἰσχύνης δὲ εὐψυχία, εὐβουλοι δ' ἀμαθέστερον τῶν νόμων τῆς ὑπεροψίας παιδευόμενοι καὶ ξὺν χαλεπότητι σωφρονέστερον ἢ ὥστε αὑτῶν ἀνηκουστεῖν, καὶ μὴ τὰ ἀρχεῖα ξυνετοὶ ἄγαν ὄντες τὰς τῶν πολεμίων παρασκευὰς λόγῳ καλῶς μεμφόμενοι ἀνομοίως ἔργῳ ἐπεξιέναι, νομίζειν δὲ τάς τε διανοίας τῶν πέλας παραπλησίους εἶναι καὶ τὰς προσπιπτούσας τύχας οὐ λόγῳ διαιρετάς.

II.

GRAMMAIRE FRANÇAISE.

I. Effets des lois phonétiques sur les radicaux verbaux. Expliquer et commenter grammaticalement ces vers des Tragiques d'Agrippa d'Aubigné (I, 989-1000):

Tel fut l'autre moyen de nos rudes Misères,
L'Achitophel bandant les fils contre les pères ;

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