Si nous n'avons pas la liste des vingt-cinq représentations données à Dresde en 1813, pendant un armistice de quarante jours, nous trouvons du moins à ce sujet quelques détails caractéristiques dans les Mémoires de M. de Bausset. Le préfet du palais impérial, parmi les pièces choisies par Napoléon pour ces représentations, signale quelques comédies, et il note cette part faite à la comédie comme une preuve « d'un changement remarquable qui se fit à cette époque dans les goûts de Napoléon, lequel aurait eu jusqu'alors une préférence marquée pour la tragédie. (On vient de voir que le chiffre comparé des tragédies et des comédies représentées à la cour sous son règne ne justifie pas tout à fait cette assertion.) M. de Bausset nomme cinq de ces pièces; ce sont : la Gageure imprévue de Sedaine, la Suite d'un bal masqué de Mme de Bawr, l'intrigue épistolaire de Fabre d'Églantine, l'Épreuve nouvelle de Marivaux, le Secret du ménage de Creuzé de Lesser. Aucune pièce de Molière'. En outre, malgré le prétendu changement noté dans le goût de Napoléon par M. de Bausset, les comédies ne furent représentées que sur un théâtre construit pour la circonstance dans l'orangerie du palais Marcolini, « et qui pouvait contenir deux cents personnes.... Les tragédies, pour lesquelles l'enceinte du petit théâtre du palais aurait été peu convenable, furent réservées pour le grand théâtre de la ville, où l'on n'était admis ces jours-là qu'avec des billets du comte de Turenne et sans aucune rétribution. » Une ligne de démarcation décente, entre le genre noble et celui qui ne l'est point, se trouvait ainsi observée. Il nous reste enfin, avant de donner le tableau des représentations de Molière à la cour sous les divers règnes, à déclarer que pour les deux premiers, ceux de Louis XIV et de Louis XV, il est incomplet, et à expliquer au lecteur comment il nous a été impossible de le compléter. Pour la première période du règne de Louis XIV (1659-1673), la Grange mentionne assez régulièrement les visites de la troupe de Molière, soit à la cour, soit chez les particuliers; mais il ne dit pas toujours ce que l'on a joué ou ne le dit que d'une façon incomplète : il met, par exemple, que le 17 septembre 1669 on a été à Chambord et « qu'on y a joué, entre plusieurs comédies, le Pourceaugnac pour la première fois. » A une date antérieure, le 13 octobre 1664, on est parti pour Versailles et on y a joué dix fois, et il nomme huit 1. Nous devons dire toutefois que le Journal de l'Empire mentionne pour le 24 juin 1813 la représentation à Dresde d'une comédie de Molière, qu'il ne nomme point. Peut-être cette nouvelle, destinée à la France, n'était-elle pas bien authentique. Il est quelquefois arrivé au Journal de l'Empire d'être volon tairement mal informé. 2. Bausset, Mémoires, tome II, p. 183. : comédies seulement. Quelles étaient celles qu'on avait jouées plus d'une fois? Nous avions espéré que, pour toute cette période, la Gazette nous servirait à compléter la Grange. A défaut de renseignements précis sur ce que nous cherchions, nous y avons du moins trouvé un fait curieux que nous soumettons aux réflexions du lecteur c'est que la Gazette, qui mentionne quelquefois, mais d'ordinaire vaguement, les représentations à la cour, a soin de nommer les pièces et les auteurs quand ces pièces sont jouées par «< la seule troupe royale » (Hôtel de Bourgogne), et non-seulement celles de Pierre et de Thomas Corneille, de Racine et de Quinault, mais aussi celles d'autres auteurs, moins célèbres. Au contraire, quand il s'agit de la troupe de Monsieur, plus tard troupe du Roi, elle fait parfois l'éloge obligé de la pièce, mais ne la désigne pas le plus souvent par son titre, et ne nomme jamais Molière du moins n'avons-nous pas trouvé une seule fois son nom jusqu'en 1673'. Il est possible que le valet de chambre d'Alceste fût <«< mis dans la Gazette, comme le dit Molière; mais quant à Molière lui-même, il n'y est point. Il est bien certain toutefois qu'on trouve, soit dans la Gazette, soit ailleurs, l'indication, le plus souvent assez vague, de quelques représentations de Molière à la cour, qui ne sont point portées sur le Registre de la Grange. Ces indications se rapportent presque toutes à des pièces intercalées dans des ballets. Il n'est pas douteux, par exemple, que les Amants magnifiques, écrits pour la cour et sur une donnée fournie par Louis XIV, aient eu plusieurs représentations. Combien ? C'est ce que nous ignorons. Mais un tableau comme celui que nous avons dressé ne peut se prêter à des évaluations approximatives. Nous nous sommes donc borné à marquer les représentations données par le Registre de la Grange, tout en constatant que d'autres pièces de Molière ont été évidemment jouées à la et que plusieurs de celles qu'il mentionne l'ont été plus souvent qu'il ne le dit. Quant aux renseignements plus ou moins précis que nous avons recueillis dans la Gazette, dans Loret, dans Robinet ou ailleurs, et qui nécessitent presque toujours quelques explications, ils trouveront place dans la notice qui précède chaque pièce. cour, Pendant la seconde période, de 1673 à 1680, la troupe de l'Hôtel Guénegaud va très-rarement à la cour, et nous n'avons trouvé qu'une pièce de Molière jouée par elle une fois pendant cette période: c'est le Malade imaginaire, en 1674. Comme nous l'avons dit plus haut (p. 542), la seule troupe royale semble avoir eu alors l'avantage de jouer à la cour les pièces de son ancien rival. 1. Ce fait avait déjà été remarqué par M. Taschereau, Histoire de Corneille, éd. Jannet, 1855, p. 31 A partir de 1680, les représentations à Versailles sont exactement mentionnées sur les registres; mais celles que l'on donne à Fontainebleau ne le sont pas toujours. Nous avons tâché d'y suppléer au moyen du Journal de Dangeau et du Mercure galant : nous croyons être à peu près complet pour cette période jusqu'à la fin du règne de Louis XIV 1. Nous le sommes beaucoup moins pour le règne de Louis XV : les indications pour Fontainebleau manquent encore assez souvent, et nous n'avons pas toujours pu combler ces lacunes. Mais nous pensons que le chiffre de 1139 représentations, que nous avons recueillies pour le règne de Louis XV et parmi lesquelles nous trouvons 253 représentations de Molière, est une base bien suffisante pour asseoir un jugement raisonné sur l'esprit du répertoire de la cour pendant cette période. Pour le règne de Louis XVI et celui de Napoléon Ier, sauf les représentations de Dresde, nous croyons être complet. Nous n'avons pas marqué dans ce tableau les représentations à la cour sous les règnes qui ont suivi le premier Empire. La raison en est simple c'est que l'usage régulier de ces représentations cesse presque complétement en 1814. Les princes de la maison de Bourbon viennent de temps en temps au théâtre, sans que leur présence y soit pourtant indiquée avec une précision suffisante pour que nous puissions dresser un tableau exact de ces visites. Sous le second Empire, elles sont mentionnées avec plus de solennité, mais, du reste, assez rares. Quant aux représentations à la cour même, voici ce que nous avons relevé depuis 1814: sous la Restauration, quatorze représentations, deux pièces de Molière (le Misanthrope et les Précieuses); sous Louis-Philippe, onze représentations, parmi lesquelles le Misanthrope, le Mariage forcé, le Malade imaginaire (deux fois); sous le second Empire, onze représentations de la Comédie-Française dans les résidences impériales, mais rien de Molière. 1. Nous ferons remarquer que dans les dernières années du règne les représentations à la cour deviennent moins nombreuses, et sont souvent interrompues par les deuils répétés qui viennent frapper la famille royale. IV ADDITION AUX NOTICES DE L'ÉTOURDI ET DU DÉPIT AMOUREUX. Distribution des deux comédies en 1685. Nous avons donné, pages 95, 96 et 396, la liste des acteurs, qui, vers le milieu du règne de Louis XIV, jouaient dans les deux premières comédies de Molière, en ajoutant que leurs noms étaient mentionnés dans les registres, mais sans l'indication des rôles que chacun remplissait. Au moment où ce volume s'achève, nous venons de lire à la Bibliothèque nationale (Manuscrits français, no 2509) un petit registre intitulé Répertoire des comédies qui se peuvent jouer en 1685: il est somptueusement relié et vient de la bibliothèque du Roi à Versailles. Il donne la liste des pièces que la Comédie était prête à jouer cette année; cette liste servait au choix définitif de celles qui se devaient représenter à la cour. Il donne aussi les noms des acteurs pouvant jouer dans chacune d'elles, avec l'indication de leurs rôles, mais seulement pour les pièces importantes. Voici à cette date la distribution de l'Étourdi et du Dépit amoureux, telle que nous la trouvons dans ce registre : |