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elle-même. En attendant qu'elle puisse faire une guerre ouverte, elle commence cette lutte sourde, cette lutte de détail d'autant plus dangereuse, qu'on a devant soi un ennemi presque insaisissable. Ainsi, elle tâche d'occuper la France dans son intérieur et sur ses frontières, pour qu'elle ne s'aperçoive pas des empiétements que Saint-Pétersbourg réalise au loin, et pour qu'elle n'aille pas prêter la main aux peuples qu'il écrase.

Là encore se retrouve cette politique des czars, dont la devise est : « Diviser pour régner; diviser pour intervenir. » A cette fin tous les moyens sont bons, toutes les armes permises. La Moskovie appuiera les Vendéens, s'il le faut, et leur fournira des armes; elle sera avec la dynastie exilée contre le principe libéral; elle sera avec don Carlos, don Miguel pour embarrasser la France; elle exaltera les républicains contre le régime constitutionnel, dans l'espoir d'allumer une guerre civile. Puis, lorsqu'à la suite de ces tramessecrètes, sera venue l'occasion de pousser de nouveau vers Paris des hordes de Kosaks et de Kirguis, la Moskovie ne manquera point à sa mission de propagande barbare et conquérante; elle essaiera de renouveler ce qu'elle a fait deux fois, non à la suite de victoires, mais avec l'appui de trahisons secrètes. Ce qu'elle trame aujourd'hui pour l'Espagne,

pour le Portugal, pour la Hollande, n'est qu'une suite de marchepieds afin d'arriverà une croi, sade contre la France!

Que la France tienne donc son patriotisme constamment en éveil! La Moskovie n'attend que ses divisions intérieures pour marcher vers elle. Unie et forte, la France n'a rien à redouter du géant lointain, car elle s'appuierait aujourd'hui avec quelque succès sur les sympathies secrètes des petits Etats allemands, las du patronage moskovite; mais qu'elle se livre à des luttes de parti, qu'elle subisse les horreurs de la guerre civile, et à l'instant même la guerre étrangère sera à ses portes, menaçante, compacte, difficile à conjurer. D'une guerre civile en France renaîtrait au dehors ce que l'on a nommé la Sainte-Alliance, ligue caduque et flétrie, née d'un malentendu entre les peuples, et qu'un autre malentendu galvaniserait encore. La Moskovie, âme de cette ligue, prendrait à l'instant même fait et cause pour le parti des vieilles idées, et chercherait à restaurer en France, à l'aide de millions d'hommes, un gouvernement docile à ses vues, et instrument de ses plans rétrogrades. Cet avenir est moins reculé peut-être qu'on ne le suppose; il suffit d'une étincelle pour allumer le plus vaste incendie. En juillet 1835, supposez que le roi et sa famille fussent tombés sous les coups d'un

misérable! sans doute une guerre civile eût suivi la catastrophe, et à l'instant même le camp de Kalisz eût vomi sur Paris ses bataillons sauvages. Et qu'on remarque en passant ce qu'il y a d'étrange dans cette coïncidence entre un horrible attentat, précurseur d'une lutte civile, et cette armée moskovite qui attend l'arme au bras, sur l'extrême limite de ses frontière occidentales, le signal de la marche et de la bataille. Il est impossible, à l'aspect de ce rapprochement, de ne pas réfléchir et de ne pas s'épouvanter.

Quant à l'Angleterre, les haines moskovites sont pour elle d'une autre nature. Difficilement attaquable, l'Angleterre peut attaquer et écraser en un jour la Russie dans sa marine naissante. Or, sans marine, la Russie n'a plus à jouer qu'un rôle continental; elle est annulée militairement et commercialement sur toutes les mers du globe. Cette situation difficile oblige le cabinet de Saint-Pétersbourg à tenir, vis-à-vis du cabinet britannique, une conduite de prudence et de ruse, Aussi essaie-t-il de prendre une attitude qui lui permette de développer ses plans, et d'augmenter ses forces navales, sans arriver pourtant jusqu'à une rupture qui serait désastreuse. En même temps, et comme représailles d'un abaissement sur mer, il présente en perspective à l'Angleterre la possibilité d'une

irruption dans ses comptoirs de l'Inde, menaçant ainsi son royaume du Gange, le plus beau fleuron de la couronne britannique. Ecoutez, en effet, la voix des organes censurés de la presse moskovite.

« Comment cette Albion endettée ose-t-elle >> réveiller l'ours polaire? Non; il faut que le » tour de l'Angleterre vienne sous peu, il n'y » aura plus de traité à signer avec ce peuple, » si ce n'est à Calcutta. » (Gazette de Moskou, 27 décembre 1832.)

Et pendant qu'on menace ainsi l'Angleterre dans l'Inde, on a le soin de prendre contre elle quelques garanties en Europe. Par le traité d'Unkiar-Skelessi (1), le passage des Dardanelles est fermé à la flotte anglaise, et la mer Noire est désormais un lac moskovite, comme l'était déjà la mer Caspienne. Quant à la route vers l'Inde, les jalons en sont tracés (2). La Perse, désormais patronée par la Moskovie, ouvrira passage au czar au jour voulu, au jour nécessaire. Et quand une rupture en Europe sera devenue imminente, les shahs seront les premiers à offrir leur concours pour une invasion dans l'Indostan, invasion fatale que ne compenserait pas l'anéantissement de toute la marine russe.

(1) Voyez Pièce justificative q. (2) Voyez Pièce justificative 7.

En vain espérerait-on neutraliser, à l'aide de combinaisons diplomatiques, cet ascendant que la dernière guerre a donné aux Moskovites sur les dynasties persanes. Ces peuples, dans leur état d'isolement et de demi-barbarie, ne comprennent qu'une chose, la force matérielle. La Moskovie a fait auprès d'eux la preuve de cette force; c'est là une influence acquise qu'on ne détruira qu'à l'aide d'une influence de même nature. Si l'Angleterre est connue en Perse, c'est de loin seulement et par tradition, tandis que la Moskovie est venue elle-même y fonder son protectorat, les armes à la main. On a admiré en Perse la tactique moskovite, victorieuse du nombre; on cherche maintenant à en imiter les errements. Les diverses ambitions indigènes cherchent à se ménager les faveurs et la protection de la Russie. Les princes royaux se font créatures moskovites, afin que la Moskovie les appuie, dans les cas de vacance au trône. Telle est la situation politique de la Perse; des chargés d'affaires ne la modifieraient pas.

Ces faits, du reste, sont connus des hommes d'Etat du cabinet et du parlement britanniques. On comprend à Calcutta et à Londres tout ce qu'il y a d'exorbitant dans cette influence que la Moskovie s'est créée du côté de l'Orient; on cherche par quelles mesures on pourra contre

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