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plus douce, en emprunte encore des grâces nouvelles ; et ce qui met le comble au charme que fait éprouver ce style enchanteur, on sent que tant de beautés ont coulé de source, et n'ont rien coûté à celui qui les a produites. Il lui échappe même quelquefois, soit dans les expressions, soit dans les tours, soit dans la mélodie si touchante de son style, des négligences qu'on peut appeler heureuses, parce qu'elles achèvent de faire disparaître non-seulement l'empreinte, mais jusqu'au soupçon du travail. C'est par cet abandon de lui-même que Massillon se fesait autant d'amis que d'auditeurs; il savait que plus un orateur paraît occupé d'enlever l'admiration, moins ceux qui l'écoutent sont disposés à l'accorder, et que cette ambition est l'écueil de tant de prédicateurs, qui, chargés, si on peut s'exprimer ainsi, des intérêts de Dieu même, veulent y mêler les intérêts si minces de leur vanité.

D'Alembert.

XXIX.

DESCARTES ET NEWTON.

Les deux grands hommes qui se trouvent dans une si grande opposition, ont eu de grands rapports. Tous deux ont été des génies du premier ordre, nés pour dominer sur les autres esprits, et pour fonder des empires. Tous deux, géomètres excellens, ont vu la nécessité de transporter la géométrie dans la physique. Tous deux ont fondé leur physique sur une géométrie qu'ils ne tenaient presque que de leurs propres lumières. Mais l'un, prenant un vol hardi, a voulu se placer à la source de tout, se rendre maître des premiers principes par quelques idées claires et fondamentales, pour n'avoir, plus qu'à descendre aux phénomènes de la nature, comme à des conséquences nécessaires. L'autre, plus timide, ou plus modestè, a commencé sa marche par s'appuyer sur les phénomènes, pour remonter aux principes inconnus, résolu de les admettre, quels que les pût donner l'enchaînement des conséquences. L'un part de ce qu'il entend nettement, pour trouver la cause de ce qu'il voit; l'autre part de ce qu'il voit, pour

en trouver la cause, soit claire, soit obscure. Les principes évidens de l'un ne le conduisent pas toujours aux phénomènes tels qu'ils sont, les phénomènes ne conduisent pas toujours l'autre à des principes assez évidens. Les bornes qui, dans ces deux routes contraires, ont pu arrêter deux hommes de cette espèce, ne sont pas les bornes de leur esprit, mais celle de l'esprit humain.

Fontenelle.

XXX.

SCÈNES COMIQUES.

SCÈNES DU BOURGEOIS GENTILHOMME.

ACTE PREMIER.

Scène I.

M. Jourdain, en robe de chambre et en bonnet de nuit; le Maître de musique, le Maître à danser, l'Elève du Maître de musique, une Musicienne, deux Musiciens, Danseurs, deux Laquais.

M. Jour. Hé bien, messieurs, qu'est-ce? Me ferezvous voir votre petite drôlerie?

Le m. à dans. Comment! quelle petite drôlerie?

M. Jour. Hé! la-comment appelez-vous cela? votre prologue ou dialogue de chansons et de danse?

Le m. à dans. Ah! ah!

Le m. de mus. Vous nous y voyez préparés.

M. Jour. Je vous ai fait un peu attendre; mais c'est que je me fais habiller aujourd'hui comme les gens de qualité, et mon tailleur m'a envoyé des bas de soie que j'ai pensé ne mettre jamais.

Le m. de mus. Nous ne sommes ici que pour attendre votre loisir.

M. Jour. Je vous prie tous deux de ne vous point en aller qu'on ne m'ait apporté mon habit, afin que vous me puissiez voir.

Le m. à dans. Tout ce qu'il vous plaira.

M. Jour. Vous me verrez équipé comme il faut, depuis les pieds jusqu'à la tête.

Le m. de mus. Nous n'en doutons point.

M. Jour. Je me suis fait faire cette indienne-ci.
Le m. à dans. Elle est fort belle.

M. Jour. Mon tailleur m'a dit que les étaient comme cela le matin.

gens

Le m. de mus. Cela vous sied à merveille.
M. Jour. Laquais, holà! mes deux laquais !
Premier laq. Que voulez-vous, monsieur ?

de qualité

M. Jour. Rien. C'est pour voir si vous m'entendez bien. (Au maître de musique et au maître à danser.) Que dites-vous de mes livrées ?

Le m. à dans. Elles sont magnifiques.

M. Jour. (entr'ouvrant sa robe, en fesant voir son hautde-chausses étroit de velours rouge, et sa camisole de velours vert.) Voici encore un petit déshabillé pour faire le matin mes exercices.

Le m. de mus. Il est galant.
M. Jour. Laquais !

Premier lag. Monsieur.

M. Jour. L'autre laquais !

Second laq. Monsieur.

M. Jour. (ótant sa robe de chambre.)

Tenez ma robe.

Au maître de musique et au maître à danser.) Me trouvezvous bien comme cela?

Le m. à danser. Fort bien. On ne peut pas mieux. M. Jour. Voyons un peu votre affaire.

Le m. de mus. Je voudrais bien auparavant vous faire entendre un air (montrant son élève) qu'il vient de composer pour la sérénade que vous m'avez demandée. C'est un de mes écoliers, qui a pour ces sortes de choses un talent

admirable.

M. Jour. Oui; mais il ne fallait pas faire faire cela par un écolier; et vous n'étiez pas trop bon vous-même pour cette besogne-là.

Le m. de mus. Il ne faut pas, monsieur, que le nom d'écolier vous abuse. Ces sortes d'écoliers en savent autant que les plus grands maîtres; et l'air est aussi beau qu'il s'en puise faire. Ecoutez seulement.

M. Jour. (à ses laquais.) Donnez-moi ma robe pour mieux entendre-attendez, je crois que je serai mieux sans robe-non, redonnez-la-moi; cela ira mieux.

La musicienne.

Je languis nuit et jour, et mon mal est extrême,
Depuis qu'à vos rigueurs vos beaux yeux m'ont soumis;
Si vous traitez ainsi, belle Iris, qui vous aime,
Hélas! que pourriez-vous faire à vos ennemis ?

M. Jour. Cette chanson me semble un peu lugubre; elle endort; et je voudrais que vous la puissez un peu regaillardir par-ci par-là.

Le m. de mus. Il faut, monsieur, que l'air soit accommodé aux paroles.

M. Jour. On m'en apprit un tout-à-fait joli, il y a quelque temps. Attendez-là- Comment est-ce qu'il dit?

Le m. à dans. Par ma foi, je ne sais.
M. Jour. Il y a du mouton dedans.
Le m. à dans. Du mouton ?

M. Jour. Oui. Ah! (Il chante.)

Je croyais Janneton

Aussi douce que belle;
Je croyais Janneton

Plus douce qu'un mouton.

Hélas! hélas! elle est cent fois,

Mille fois plus cruelle

Que n'est le tigre aux bois.

N'est-il pas joli?

Le m. de mas. Le plus joli du monde.

Le m. à dans. Et vous le chantez bien.

M. Jour. C'est sans avoir appris la musique.

Le m. de Mus. Vous devriez l'apprendre, monsieur, comme vous faites la danse; ce sont deux arts qui ont une étroite liaison ensemble.

Le

m.

à dans. Et qui ouvrent l'esprit d'un homme aux belles choses.

M. Jour. Est-ce que les gens de qualité apprennent aussi la musique?

Le m. de mus. Oui, monsieur.

M. Jour. Je l'apprendrai donc. Mais je ne sais quel temps je pourrai prendre; car outre le maître d'armes qui me montre, j'ai arrêté encore un maître de philosophie, qui doit commencer ce matin.

Le m. de mus. La philosophie est quelque chose; mais la musique, monsieur, la musique—

Le m. à dans. La musique et la danse-la musique et la danse, c'est là tout ce qu'il faut.

Le m. de mus. Il n'y a rien qui soit si utile dans un état que la musique.

Le m. à dans. Il n'y a rien qui soit si nécessarie aux hommes que la danse.

Le m. de mus. Sans la musique un état ne peut subsister.

Le m. à dans. Sans la danse un homme na saurait rien faire.

Le m. de mus. Tous les désordres, toutes les guerres qu'on voit dans le monde, n'arrivent que pour n'apprendre pas la musique.

Le m. à dans. Tous les malheurs des hommes, tous les revers funestes dont les histoires sont remplies, les bévues des politiques, les manquemens des grands capitaines; tout cela n'est venu que faute de savoir danser.

M. Jour. Comment cela?

Le m. de mus. La guerre ne vient-elle pas d'un manque d'union entre les hommes ?

M. Jour. Cela est vrai.

Le m. de mus. Et si tous les hommes apprenaient la musique, ne serait-ce pas le moyen de s'accorder ensemble, et de voir dans le monde la paix universelle ?

M. Jour. Vous avez raison.

Le m. à dans. Lorsqu'un homme a commis un manquement dans sa conduite, soit aux affaires de sa famille, ou au gouvernement d'un état, ou au commandement d'une

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