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Je ne vous dirai point combien j'ai résisté :
Croyez-en cet amour, par vous-même attesté.
Cette nuit même encore, on a pu vous le dire,
J'avais révoqué l'ordre où l'on me fit souscrire :
Sur l'intérêt des Grecs vous l'aviez emporté ;
Je vous sacrifiais mon rang, ma sûrete.
Arcas allait du camp vous défendre l'entrée :
Les Dieux n'ont pas voulu qu'il vous ait rencontrée ;
Ils ont trompé les soins d'un pére infortuné,
Qui protégeait en vain ce qu'ils ont condamnè.
Ne vous assurez point sur ma faible puissance :
Quel frein pourrait d'un peuple arrêter la licence,
Quand les Dieux, nous livrant à son zèle indiscret,
L'affranchissent d'un joug qu'il portait à regret?
Ma fille, il faut céder. Votre heure est arrivée.
Songez bien dans quel rang vous êtes élevée.
Je vous donne un conseil qu'à peine je reçoi.
Du coup qui vous attend, vous mourrez moins que moi.
Montrez, en expirant, de qui vous êtes née.

Faites rougir ces Dieux qui vous ont condamnée.
Allez. Et que les Grecs, qui vont vous immoler,
Reconnaissent mon sang en le voyant couler.

Cly. Vous ne dénementez point une race funeste.
Oui, vous êtes le sang d'Atrée et de Thyeste.
Bourreau de votre fille, il ne vous reste enfin
Que d'en faire à sa mère un horrible festin.
Barbare! C'est donc là cet heureux sacrifice
Que vos soins préparaient avec tant d'artifice?
Quoi, l'horreur de souscrire à cet ordre inhumain,
N'a pas en le traçant arrêté votre main ?

Pourquoi feindre à nos yeux une fausse tristesse ?
Pensez-vous par des pleurs prouver votre tendresse ?
Où sont-ils ces combats que vous avez rendus ?
Quels flots de sang pour elle avez-vous répandus ?
Quel débris parle ici de votre résistance?

Quel champ couvert de morts me condamne au silence?
Voilà par quels tèmoins il fallait me prouver,
Cruel, que votre amour a voulu la sauver.
Un oracle fatal ordonne qu'elle expire!

Un oracle dit-il tout ce qu'il semble dire?
Le Ciel, le juste Ciel, par le meurtre honoré,
Du sang de l'innocence est-il donc altéré ?
Si du crime d'Hélène on punit sa famille,
Faites chercher a Sparte Hermione sa fille.
Laissez à Ménélas racheter d'un tel prix
Sa coupable moitié dont il est trop épris.
Mais vous, quelles fureurs vous rendent sa victime?
Pourquoi vous imposer la peine de son crime?
Pourquoi, moi-même enfin, me déchirant le flanc,
Payer sa folle amour du plus pur de mon sang?
Que dis-je? Cet objet de tant de jalousie,
Cette Hélène, qui trouble et l'Europe et l'Asie,
Vous semble-t-elle un prix digne de vos exploits?
Combien nos fronts pour elle ont-ils rougi de fois?
Avant qu'un nœud fatal l'unît à votre frère,
Thésée avait osé l'enlever à son père.

Vous savez, et Calchas mille fois vous l'a dit,
Qu'un hymen clandestin mit se prince en son lit;
Et qu'il en eut pour gage une jeune princesse,
Que sa mère a cachée au reste de la Grece.

Mais non, l'amour d'un frère, et son honneur blessé
Sont les moindres des soins dont vous êtes pressé.
Cette soif de régner, que rien ne peut éteindre,
L'orgueil de voir vingt rois vous servir et vous craindre,
Tous les droits de l'Empire en vos mains confiés,
Cruel! c'est à ces Dieux que vous sacrifiez;
Et loin de repousser le coup qu'on vous prépare,
Vous voulez vous en faire un mérite barbare.
Trop jaloux d'un pouvoir qu'on peut vous envier,
De votre propre sang vous courez le payer;
Et voulez, par ce prix, épouvanter l'audace
De quiconque vous peut disputer votre place.
Est-ce donc être père? Ah! toute ma raison
Cède à la cruauté de cette trahison.
Un Prêtre, environné d'un foule cruelle,
Portera sur ma fille une main criminelle !
Déchirera son sein! et, d'un cell curieux,
Dans son cœur palpitant consultera les Dieux!

Et moi, qui l'amenai triomphante, adorée,
Je m'en retournerai seule et désespérée !
Je verrai les chemins encor tout parfumés
Des fleurs, dont sous ses pas on les avait semés!
Non, je ne l'aurai point amenée au supplice,
Ou vous ferez aux Grecs un double sacrifice.
Ni crainte, ni respect ne m'en peut détacher.
De mes bras tout sanglans il faudra l'arracher.
Aussi barbare époux qu'impitoyable père,
Venez, si vous l'osez la ravir à sa mère.

Et vous, rentrez, ma fille, et du moins à mes lois
Obéissez encor pour la dernière fois.

Agamemnon seul.

A de moindres fureurs je n'ai point dû m'attendre.
Voilà, voilà les cris que je craignais d'entendre.
Heureux, si dans le trouble où flottent mes esprits,
Je n'avais toutefois à craindre que ces cris!

Hélas! en m'imposant une loi si sévère,

Grands Dieux, me deviez-vous laisser un cœur de père !

Racine.

XXXVII.

SCÈNE DE PHÈDRE.

Un effroyable cri, sorti du fond des flots,
Des airs, en ce moment, a troublé le repos :
Et, du sein de la terre, une voix formidable
Répond, en gémissant, à ce cri redoutable.
Jusqu'au fond de nos cœurs notre sang s'est glacé.
Des coursiers attentifs le crin s'est hérissé.
Cependant, sur le dos de la plaine liquide,
S'élève à gros bouillons une montagne humide.
L'onde approche, se brise et vomit à nos yeux,
Parmi des flots d'écume, un monstre furieux.
Son front large est armé de cornes menaçantes;

Tout son corps est couvert d' écailles jaunissantes;
Indomptable taureau, dragon impétueux,

Sa croupe se recourbe en re plis tortueux;
Ses longs mugissemens font trembler le rivage.
Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage.
La terre s'en émeut, l'air en est infecté.
Le flot qui l'apporta recule épouvanté.
Tout fuit; et, sans s'armer d'un courage inutile,
Dans le temple voisin chacun cherche un asile,
Hippolyte lui seul, digne fils d'un héros,

Arrête ses coursiers, saisit ses javelots,

Pousse au monstre, et, d'une dard lancé d'une main sûre,

Il lui fait dans le flanc une large blessure.

De rage et de douleur le monstre bondissant,

Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant
Se roule et leur présente une gueule enflammée,
Que les couvre de feu, de sang, et de fumée.
La frayeur les emporte; et, sourds à cette fois,
Ils ne connaissent plus ne le frein, ni la voix.
En efforts impuissans leur maître se consume.
Ils rougissent le mords d'une sanglante écume.
On dit qu'on a vu même, en se désordre affreux,
Un dieu qui d'aiguillons pressait leurs flancs poudreux.
A travers les rochers la peur les précipite.

L'essieu crie et se rompt. L'intrépide Hippolyte
Voit voler en éclats tout son char fracassé.
Dans les rênes lui-même il tombe embarrassé.
Excusez ma douleur. Cette image cruelle
Sera pour moi de pleurs une source éternelle.
J'ai vu, seigneur, j'ai vu votre malheureux fils
Traîné par les chevaux que sa main a nourris.
Il veut les rappeler, es sa voix les effraie.

Ils courent. Tout son corps n'est bientôt qu'une plaie.
De nos cris douloureux la plaine retentit.
Leur fougue impétueuse enfin se ralentit.

Ils s'arrêtent, non loin de ces tombeaux antiques,
Où des rois ses aïeux sont les froides reliques.
J'y cours, en soupirant, et sa garde me suit.
De son généreux sang la trace nous conduit.

Les rochers en sont teints; les ronces dégouttantes
Portent de se cheveux les dépouilles sanglantes.
J'arrive, je l'appelle; et me tendant la main,
Il ouvre un œil mourant qu'il referme soudain.

Racine.

XXXVIII.

SCÈNE DU QUATRIÈME ACTE.

Ꮓ Ꭺ Ꭵ Ꭱ Ꭼ .

Orosmane, Zaïre.

Zaï. Seigneur, vous m'étonnez; quelle raison soudaine Quel ordre si pressant près de vous me ramène ?

Oros. Eh bien! madame, il faut que vous m'èclaircissiez; Cet ordre est important plus que vous ne croyez. Je me suis consulté... Malheureux l'un par l'autre, Il faut régler d'un mot et mon sort et le vôtre. Peut-être qu'en effet ce que j'ai fait pour vous, Mon orgueil oublié, mon sceptre à vos genoux, Mes bienfaits, mon respect, mes soins, ma confiance, Ont arraché de vous quelque reconnaissance. Votre cœur, par un maître attaqué chaque jour, Vaincu par mes bienfaits, crut l'être par l'amour. Dans votre ame avec vous il est temps que je lise, Il faut que ses replis s'ouvrent à ma franchise: Jugez-vous; répondez avec la vérité

Que vous devez au moins à ma sincérité.

Si de quelque autre amour l'invincible puissance
L'emporte sur mes soins, ou même les balance,
Il faut me l'avouer, et dans ce même instant,
Ta grâce est dans mon cœur; prononce, elle t'attend.
Sacrifie à ma foi l'insolent qui t'adore ;

Songe que je te vois, que je te parle encore,
Que ma foudre à ta voix pourra se détourner,
Que c'est le seul moment où je peux pardonner.

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