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POÉSIES DIVERSES.

XLIII.

COMBAT DE TURENNE ET D'AUMALE.

PARIS, le roi, l'armée, et l'enfer et les cieux,
Sur ce combat illustre avaient fixé les yeux.
Bientôt les deux guerriers entrent dans la carrière.
Henri du champ d'honneur leur ouvre la barrière.
Leur bras n'est point chargé du poids d'un bouclier :
Ils ne se cachent point sous ces bustes d'acier,
Des anciens chevaliers ornement honorable,
Eclatant à la vue, aux coups impénétrable;
Ils négligent tous deux cet appareil qui rend
Et le combat plus long et le danger moins grand.
Leur arme est une épée; et sans autre défense,
Exposé tout entier, l'un et l'autre s'avance.

"O Dieu!" cria Turenne, "arbitre de mon roi,
Descends, juge sa cause, et combats avec moi:
Le courage n'est rien sans ta main protectrice :
J'attends peu de moi-même, et tout de ta justice."
D'Aumale répondit: "J'attends tout de mon bras;
C'est de nous que dépend le destin des combats;
En vain l'homme timide implore un Dieu suprême;
Tranquille au haut du ciel, il nous laisse à nous-même :
Le parti le plus juste est celui du vainqueur,
Et le Dieu de la guerre est la seule valeur."
Il dit, et d'un regard enflammé d'arrogance,
Il voit de son rival la modeste assurance.
Mais la trompette sonne.
Ils commencent enfin ce combat dangereux.
Tout ce qu'ont pu jamais la valeur et l'adresse,
L'ardeur, la fermeté, la force, la souplesse,
Parut des deux côtés en ce choc éclatant,
Cent coups étaient portés et parés à l'instant.
Tantôt avec furieur, l'un d'eux se précipite;

Ils s'élancent tous deux;

L'autre, d'un pas léger, se détourne et l'évite;
Tantôt plus rapprochés ils semblent se saisir;
Leur péril renaissant donne un affreux plaisir ;
On se plaît à les voir s'observer et se craindre,
Avancer, s'arrêter, se mesurer, s'atteindre;
Le fer étincelant, avec art détourné,

Par de feints mouvements trompe l'œil étonné :
Telle on voit du soleil la lumière éclatante,
Briser ses traits de feu dans l'onde transparente;
Et, se rompant encor par des chemins divers,
De ce crystal mouvant repasser dans les airs.

Le spectateur, surpris et ne pouvant le croire,
Voyait à tout moment leur chute et leur victoire.
D'Aumale est plus ardent, plus fort, plus furieux;
Turenne est plus adroit, et moins impétueux :
Maître de tous ses sens, animé sans colère,
Il fatigue à loiser son terrible adversaire.
D'Aumale en vains efforts épuise sa vigueur;
Bientôt son bras lassé ne sert plus sa valeur.
Turenne qui l'observe, aperçoit sa faiblesse ;
Il se ranime alors, il le pousse, il le presse
Enfin, d'un coup mortel il lui perce le flanc
D'Aumale est renversé dans les flots de son sang.
Il tombe, et de l'enfer tous les monstres frémirent;
Ces lugubres accents dans les airs s'entendirent:
"De la ligue à jamais le trône est renversé ;
Tu l'emportes, Bourbon! notre règne est passé."
Tout le peuple y répond par un cri lamentable.
D'Aumale, sans vigueur, étendu sur le sable,
Menace encor Turenne, et le menace en vain;
Sa redoutable épée échappe de sa main.

;

Il veut parler; sa voix expire dans sa bouche:
L'horreur d'être vaincu rend son air plus farouche,
Il se lève, il retombe, il ouvre un œil mourant ;
Il regarde Paris, et meurt, en soupirant.
Tu le vis expirer, infortuné Mayenne !
Tu le vis, tu frémis, et ta chute prochaine
Dans ce moment affreux s'offrit à tes esprits.

Voltaire.

XLIV.

LA FERME.

LA ferme à ce nom seul, les moissons, les vergers,
Le règne pastoral, les doux soins des bergers,
Ces biens de l'âge d'or, dont l'image chérie
Plut tant à mon enfance, âge d'or de la vie,
Réveillent dans mon cœur mille regrets touchants.
Venez de vos oiseaux j'entends déjà les chants;
J'entends rouler les chars qui traînent l'abondance,
Et le bruit des fléaux qui tombent en cadence.

Ornez donc ce séjour; mais, absurde à grands frais, N'allez pas ériger une ferme en palais.

Elégante à la fois, et simple dans son style,

La ferme est aux jardins ce qu'aux vers est l'idylle.
Ah! par les Dieux des champs, que le luxe effronté
De ce modeste lieu soit toujours rejeté.

N'allez pas déguiser vos pressoirs et vos granges;
Je veux voir l'appareil des moissons, des vendanges.
Que le crible, le van où le froment doré
Bondit avec la paille et retombe épuré,
La herse, les traîneaux, tout l'attirail champêtre,
Sans honte à mes regards osent ici paraître.
Surtout des animaux que le tableau mouvant
Au-dedans, au-dehors, lui donne un air vivant.
Ce n'est plus du château la parure stérile,
La grâce inanimée et la pompe immobile;

Tout vit, tout est peuplé dans ces murs, sous ces toits.
Que d'oiseaux différents et d'instinct et de voix,
Habitant sous l'ardoise, ou la tuile, ou le chaume,
Famille, nation, république, royaume,

M'occupent de leurs mœurs, m'amusent de leurs jeux!
A leur tête est le coq: pére, amant, chef heureux,
Qui, roi sans tyrannie, et sultan sans mollesse,
A son sérail ailé prodiguant sa tendresse,
Aux droits de la valeur joint ceux de la beauté,
Commande avec douceur, caresse avec fierté,
Et, fait pour les plaisirs, et l'empire, et la gloire,

Aime, combat, triomphe, et chante sa victoire.

Vous aimerez à voir leurs jeux et leurs combats, Leurs haines, leurs amours, et jusqu'à leurs repas. La corbeille, à la main, la sage ménagère,

A peine a reparu; la nation légère,

Du sommet de ses tours, du penchant de ses toits,
En tourbillons bruyants descend tout à la fois :
La foule avide en cercle autour d'elle se presse ;
D'autres toujours chassés, et revenant sans cesse,
Assiégent la corbeille, et jusque dans la main,
Parasites hardis, viennent ravir le grain.

Soignez donc, protégez ce peuple domestique.
Que leur logis soit sain, et non pas magnifique.
Que leur font des réduits richement décorés,
Le marbre des bassins, les grillages dorés ?
Un seul grain de millet leur plairait davantage;
La Fontaine l'a dit: ô véritable sage!

La Fontaine, c'est toi qu'il faudrait en ces lieux;
Chantre heureux de l'instinct, il t'inspirerait mieux.
Le paon, fier d'étaler l'iris qui le décore,
Du dindon rengorgé l'orgueil plus sot encore,
Pourraient à nos dépens égayer ton pinceau;
Là de tes deux pigeons tu verrais le tableau,
Et deux coqs amoureux, à la discorde en proie,
Te feraient dire encore;

Amour, tu perdis Troie !"

Delille.

XLV.

LAFAYETTE EN AMÉRIQUE,

Republicains, quel cortège s'avance?

-Un vieux guerrier débarque parmi nous,
-Vient-il d'un roi vous jurer l'alliance?
-Il a des rois allumé le courroux.

-Est-il puissant ?---Seul il franchit les ondes.
Qu'a-t-il donc fait ? Il a brisé des fers.

Gloire immortelle à l'homme des deux mondes ! Jours de triomphe, éclairez l'univers !

Européen, partout sur ce rivage,

Qui retentit de joyeuses clameurs,

Tu vois régner, sans trouble et sans servage,
La paix, les lois, le travail, et les mœurs.
Des opprimés ces bords sont le refuge :
La tyrannie a peuplé nos déserts.
L'homme et ses droits ont ici Dieu pour juge.
Jours de triomphe, éclairez l'univers !

Mais que de sang nous coûta ce bien-être !
Nous succombions; Lafayette accourut,
Montra la France, eut Washington pour maître,
Lutta, vainquit, et l'Anglais disparut.
Pour son pays, pour la liberté sainte.
Il a depuis grandi dans les revers.
Des fers d'Olmutz nous, effaçons l'empreinte.
Jours de triomphe, éclairez l'univers !

Ce vieil ami que tant d'ivresse accueille,
Par un héros ce héros adopté,
Bénit jadis, à sa première feuille,
L'arbre naissant de notre liberté.

Mais, aujourd'hui que l'arbre et son feuillage
Bravent en paix la foudre et les hivers,
Il vient s'asseoir sous son fertile ombrage.
Jours de triomphe, éclairez l'univers !

Autour de lui vois nos chefs, vois nos sages,
Nos vieux soldats, se rappelant ses traits;
Vois tout un peuple, et ces tribus sanvages,
A son nom seul sortant de leurs forêts.
L'arbre sacré sur ce concours immense
Forme un abri de rameaux toujours vert.
Les vents au loin porteront sa semence.
Jours de triomphe, éclairez l'univers !

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