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inférieur. Ce préjugé n'est d'ailleurs pas une excuse, car il a sa racine dans l'iniquité du blanc, qui estime n'avoir plus à ménager le noir, dès qu'on pose en axiome que son âme est à peu près intermédiaire entre celles du blanc et du plus intelligent des animaux.

Malheureusement pour le noir, son âme est aussi sensible que la nôtre à la douleur morale; il a, comme nous, son amour-propre, différent du nôtre, mais aussi vif, aussi susceptible, aussi vulnérable, et plus difficile à guérir et à cicatriser. A part l'œuvre des missionnaires, l'éducation que le souverain du Congo ait daigné donner à ses sujets est principalement celle de la chiourme. On a brisé l'âme de ce peuple à coups de cravache. Comment guérir ses plaies? comment le relever de son abrutissement? Va-t-on, pour cela, lui imposer de nouveau les travaux forcés à perpétuité? Telle est la question, une des plus graves qui se soient jamais posées, que nous adressons au peuple belge, qui en a pris sur lui la responsabilité.

XVI

Les témoins oculaires des atrocités congolaises. Activité déployée par E. D. Morel.

Naturellement, ceux des Européens qui ne faisaient pas partie de l'administration ont élevé la voix contre de pareils abus; seulement, comme

ils n'étaient pas au courant de la machinerie et qu'ils en ignoraient le suprême primum movens, ils eurent la naïveté, pour obtenir des réformes, de s'adresser aux fonctionnaires secondaires, puis aux fonctionnaires supérieurs. Cela fit un très mauvais effet; et là où le sang répandu criait trop haut vengeance, M. le gouverneur général se fâcha et adressa de vives réprimandes aux chefs de districts, leur recommandant de ne pas aller trop loin.

C'est ainsi que, le 7 novembre 1893, ce haut fonctionnaire adresse à ses subordonnés une circulaire pour se plaindre de palabres, d'expéditions guerrières, d'assassinats dont on ne s'est pas donné la peine de lui faire rapport; les agents procèdent de leur chef à des exécutions sommaires; ce sont là des excès déplorables qui doivent cesser, «< car si l'arbitraire individuel se substitue à la loi, nous tomberons, dans quelques parties du Domaine, au-dessous de ces sauvages que nous prétendons gagner à la civilisation. >>

Cela était fort bien pensé et fort bien dit; mais tout demeura comme devant.

Les plus anciennes plaintes portées à l'administration remontent à 1890. Il me souvient cependant que, antérieurement déjà, un savant allemand, M. Peschuel-Lösche, ayant voulu adresser au roi un rapport sur les atrocités commises au Congo et demandé une audience à cet effet, n'a pas été admis à cette faveur.

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A partir de 1891, il y a dans toute l'administration du Congo un redoublement de sévérité, dû à des ordres secrets du gouvernement, par lesquels celui-ci déclare sa propriété absolue la production totale du pays, et d'où dérivent aussi toutes les circulaires et tous les règlements de cette année et des années suivantes. L'effet immédiat de ce décret, qui insiste avec force sur l'augmentation constante et progressive de la production du caoutchouc, est attesté par une recrudescence de plaintes et de protestations.

En février 1891, la Société géographique de Manchester avait déjà reçu d'un négociant de Yambaya un rapport constatant que le pays était ruiné. «<Les passagers du paquebot le Roi des Belges ont pu se convaincre par eux-mêmes que, à partir de Bontya qui est à une demi-journée de steamer en-dessous d'Upoto, notre station il ne reste plus un seul village jusqu'à Bomuba, c'est-à-dire à la distance d'une journée de voyage en bateau à vapeur à travers une contrée jadis opulente, aujourd'hui complètement ruinée. »

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A la suite des décrets secrets de 1891-92, concernant le caoutchouc, affluèrent les plaintes de tous les missionnaires des nationalités les plus diverses Anglais, Américains, Irlandais, Danois, Suédois, etc.; plaintes ininterrompues toujours adressées de la manière la plus loyale aux autorités mêmes du Congo. Quel accueil leur fut réservé ? Un membre de la mission baptiste amé

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