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ce comité change si souvent de titre ; en effet, c'est tantôt l'Association internationale africaine, tantôt l'Association internationale du Congo, ou encore l'Oeuvre africaine tout court, ce qui n'est ni clair, ni correct. >>

CHAPITRE III

La phase politique

L'«Association internationale du Congo» et les traités avec les chefs indigènes.

Stanley raconte lui-même en quels termes il présenta son rapport verbal, à son retour en Europe en 1882 :

« Je déclarai au Comité que le bassin du Congo ne valait pas une pièce de quarante sous dans son état actuel. Impossible d'en tirer parti sans un chemin de fer reliant le Bas et le Haut-Congo. Bien mieux, ajoutai-je, vous ne pouvez arriver à un résultat, même dans un lointain avenir, si vous n'obtenez pas de l'Europe une charte vous autorisant à construire ce chemin de fer, à gouverner le territoire qu'il traversera, en un mot, à en rester les seuls gardiens, à l'exclusion de toute autre puissance.

<<< Reste à obtenir des chefs indigènes qu'ils nous cèdent leur autorité pour empêcher des tiers de venir nous enlever les fruits de nos conquêtes. Il faut pouvoir exercer le pouvoir politique.>>

:

Le grand mot est lâché il faut posséder la souveraineté, le pouvoir politique. Le Comité

d'Etudes aspire à devenir le souverain dans les territoires qu'il a occupés et il va concentrer toutes ses énergies dans un double travail au Congo, pour obtenir des chefs indigènes en faveur de l'Association internationale du Congo (nouveau nom que prend désormais le Comité) l'abandon de leurs droits de souveraineté ; Europe et aux Etats-Unis, pour préparer à cette idée l'opinion publique et les puissances. L'Association internationale du Congo s'est unanimement rangée à cet avis en réclamant en même temps la continuation des services de Stanley pour mener à bien cette œuvre politique.

en

Stanley disait-il tout haut ce qu'il savait être la pensée de derrière la tête de ceux qui l'avaient envoyé ou exprimait-il de son cru une idée nouvelle qui lui avait été suggérée par les faits? Nous ne saurions trancher le problème. On peut s'en tenir à l'is fecit cui prodest. Quoi qu'il en soit de cette suggestion, nous la voyons acceptée avec empressement, car elle répond trop bien à la «grande idée» qu'il s'agit de réaliser.

Le pionnier commercial repart, transformé en pionnier politique. Rien de plus amusant ou de plus triste, suivant le point de vue auquel on se place, que la farce des traités avec les chefs indigènes. Pour éclairer la religion du lecteur, quelques échantillons suffiront:

Extrait des traités. « Nous, soussignés, chefs

de Nzoungi, consentons à reconnaître la souveraineté de l'Association internationale africaine1 en foi de quoi nous adoptons son drapeau (bleu étoilé d'or)».

Autre traité, article 1er: « Les chefs de Ngambi et Mafela reconnaissent qu'il importe hautement, dans l'intérêt du progrès, de la civilisation et du commerce, que l'Association internationale africaine (sic) s'établisse solidement dans leur pays. Ils cèdent donc à ladite Association, librement, de leur propre mouvement, pour toujours, en leur nom et au nom de leurs héritiers et successeurs, la souveraineté et tout droit de souveraineté sur tous leurs territoires. >>

Il semblerait difficile d'être plus coulant. Cependant cette limite fut dépassée dans l'article

2 d'un autre traité :

<< Nous abandonnons aux agents de ladite Association le droit de percevoir taxes et impôts. >>

Jamais guillotiné par persuasion ne s'est livré avec plus d'abandon. Mais là où les pince-sansrire qu'étaient Stanley et ses agents nous semblent avoir dépassé les bornes, c'est lorsqu'ils ont fait «signer » à de pauvres diables de nègres l'article 6 qui suit :

<< Nous n'agirons dans aucun cas en un sens

1 Nouvel avatar de l'Association internationale du Congo; la confusion est toujours entretenue. Jusqu'à la conférence de Berlin, on emploiera indifféremment les deux expressions, en les simplifiant souvent en disant l'Association internationale

tout court.

contraire à l'esprit de cette convention, sous peine de perdre tous droits aux subsides ou cadeaux que nous accordent les agents de l'Association.>>

Ceci prend une saveur toute spéciale lorsqu'on songe que des millions d'hectares ont été cédés pour quelques mètres de cotonnades ou des mouchoirs de Glaris.

Au milieu de l'aveuglement qui règne en Europe, le clairvoyant philanthrope, qui de son cabinet de travail de Genève observe la formation de cet Etat en herbe, s'inquiète de la tournure que prennent les événements; il écrit:

<< Quant au caractère humanitaire de l'œuvre de Stanley, le grand nombre de noirs, Zanzibarites, Haoussas, Krooboys, recrutés aux deux extrémités du continent et armés de fusils à tir rapide, les détails fournis par les reporters qui l'ont vu au milieu de ses gens à Vivi, et qui le représentent entouré de ses soldats et d'une escorte de princes nègres, dans l'équipage d'un roi plus que d'un explorateur, tout cela n'est pas de nature à nous rassurer. Nous ne dirons rien du bruit qui a couru, d'après lequel il aurait, à l'aide de ses Zanzibarites, empêché la libre navigation et le commerce sur le Haut-Congo1.» Le Stanley de cette nouvelle phase, grisé par son pouvoir, s'écrie naïvement - nouveau Miles

1 A. e. et c., 1" octobre 1883.

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