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et ils ont le droit, si cela est nécessaire, de requérir l'assistance des autorités locales.

Voilà, en termes généraux, dans quelles conditions et sous l'empire de quelles règles fonctionne la justice en Egypte dans les matières civiles.

Il est facile de voir que l'organisation actuelle, en matière civile, est de beaucoup supérieure au système de juridictions multiples qui existait avant la ré

forme.

En matière de répression, les puissances intéressées n'ont pas cru pouvoir adopter les conclusions de la Commission du Caire, bien que cette Commission fût peu suspecte de témérité, puisqu'elle était composée de consuls généraux et de consuls-juges.

Ces conclusions tendaient à établir, en Egypte « en matière correctionnelle et criminelle, l'unité de juridiction nécessaire à la sécurité de tous les intérêts. »> Son « avis unanime » était «< que l'inconvénient du système actuel se trouvant dans l'inégalité de la répression, et dans son peu de sûreté, le remède direct et nécessaire se trouvait précisément dans la constitution d'une justice unique, appliquant une loi égale pour tous. >

Les cabinets Européens n'ont pas pensé qu'il fallait aller aussi loin; on a cependant concédé ceci, c'est que la répression des crimes et délits commis contre l'exécution des sentences ou contre les magistrats et officiers de justice dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions, ne pouvait appartenir aux Consulats sans risquer de mettre en lutte deux juridictions parallèles.

Par la même raison les magistrats ne pouvaient être déférés à la juridiction consulaire pour des crimes et délits qu'ils seraient accusés d'avoir commis dans l'exercice de leurs fonctions ou par suite d'un abus de ces fonctions.

C'est la nouvelle juridiction qui est saisie dans ces circonstances.

Les infractions qui peuvent lui être soumises ont d'ailleurs été déterminées d'une manière très précise, par une commission réunie dans les premiers mois de 1873, à Constantinople, et composée de délégués des ambassadeurs près la Sublime-Porte et de délégués Egyptiens.

Cette Commission a étudié également les conditions dans lesquelles devait fonctionner la nouvelle juridiction en matière de répression.

Voici, à la suite de cette étude, le système qui a été adopté et qui est appliqué aujourd'hui.

Les contraventions sont jugées par un juge délégué par le tribunal. Ce juge est étranger si l'inculpé est étranger.

Pour les crimes et délits attribués à la nouvelle juridiction, toute procédure fait l'objet d'une ordonnance de la Chambre du conseil composée de trois magistrats, un indigène et deux étrangers et quatre assesseurs étrangers.

Le tribunal correctionnel a la même composition.

Les crimes sont déférés à la Cour d'assises composée de deux conseillers étrangers et un indigène.

Les jurés sont au nombre de douze, tous étrangers, quand l'inculpé est étranger. La moitié appartient à la nationalité de l'accusé.

La liste des jurés étrangers est dressée par les consuls, et il y a lieu à récusation dans les mêmes conditions que d'après notre droit français.

L'instruction écrite offre certaines garanties dont l'énoncé a peut-être un intérêt d'actualité.

Ainsi, quand l'inculpé est étranger, le juge d'instruction est étranger. L'ar

TRAITÉS. T. XIV.

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restation préventive n'a lieu que dans les cas de crimes et pour un nombre très restreint de délits déterminés.

Le mandat d'amener, aussi bien que le mandat d'arrêt, doit indiquer l'objet de l'inculpation.

La mise en liberté sous caution est de droit en matière de délit et peut être accordée même en matière de crime.

L'inculpé qui n'a pas de défenseur, en reçoit un d'office au début de l'instruction, au plus tard au moment de l'interrogatoire.

La mise au secret ne peut être autorisée que pour un temps très court (quarante-huit heures), sauf au tribunal à apprécier s'il doit accorder une prolongation de six jours si le juge d'instruction la demande.

Cette mise au secret n'empêche jamais l'inculpé de communiquer avec son avocat.

Tous les témoins indiqués par l'inculpé doivent être cités sans frais.

Tous les huit jours, le juge d'instruction rend compte au tribunal des affaires dont il est saisi et des motifs qui retardent l'instruction.

La procédure, avant d'être close, est communiquée à l'inculpé qui peut requérir un supplément d'instruction.

Devant la Chambre du Conseil, où le juge d'instruction n'a pas voix délibérative, le débat est contradictoire; il est public si l'inculpé le demande.

Aucun recours n'est admis contre une ordonnance de non-lieu.

L'instruction écrite ne sert que pour la décision de la Chambre du Conseil. L'instruction devant les tribunaux de jugement ou la Cour d'assises est purement orale.

Il n'y a pas d'acte d'accusation.

Il n'y a pas d'interrogatoire à l'audience.

Les témoins sont interrogés directement par les parties et le ministère public, sauf débat sur la pertinence des questions, et sauf les questions d'office posées par le président.

La question des circonstances atténuantes est toujours posée au jury.
La position des questions fait l'objet d'un débat contradictoire.

Enfin ajoutons que les peines corporelles sont subies dans la prison du consulat du condamné.

Cet ensemble de garanties en matière de répression est de nature à rassurer. Il faut considérer d'ailleurs qu'en fait, il y a eu infiniment peu de poursuites pour les faits spéciaux dont la connaissance est attribuée aux nouveaux tribunaux.

Il suffit qu'on sache que ces faits ne peuvent être impunément commis, et qu'il existe un tribunal sérieux pour les réprimer, pour qu'ils ne se produisent

pas.

De toutes les explications qui précèdent, on peut conclure que rien, en considérant en lui-même le nouveau système judiciaire, n'autorise à l'abandonner et à revenir à l'ancien état de choses.

II. On peut se demander toutefois si, dans la pratique, les nouveaux tribunaux ont fonctionné de manière à tranquilliser les intérêts de nos nationaux.Sur ce point, il n'y a aucun doute.

La Cour d'appel a fait publier le recueil des jugements et arrêts rendus par la nouvelle juridiction dans les affaires qui lui ont été soumises, toutes les fois que la question résolue par ces arrêts offrait un intérêt juridique.

L'étude de ce recueil montre chez les magistrats de qui émanent ces sentences une remarquable connaissance du droit et une grande habitude des affaires. Au surplus, sur les services que ces nouveaux tribunaux ont rendus, de précieux témoignages ont été produits à votre Commission.

Dans les procès-verbaux de la Commission consulaire réunie au Caire en 1880, vers la fin de la période de cinq ans, nous lisons ceci :

(1er protocole, p. 5). Le Ministre de la justice dit : « Personne ne pourra contester le grand succès qu'a obtenu l'institution de la réforme judiciaire pendant les cinq années de son fonctionnement, non plus que les grands services qu'elle a rendus et dont a bénéficié l'intérêt général autant que les intérêts privés. »

(1er protocole, p. 11.) « Le baron de Schaeffer, agent diplomatique et consul général d'Autriche-Hongrie, rend justice à l'intégrité, à l'intelligence, à l'indépendance et au dévouement des membres des tribunaux mixtes. »>

M. le baron de Ring, tout en faisant quelques réserves sur un point qui ne touche pas aux intérêts de nos nationaux, dit ceci :.

(Protocole n° 2, p. 6.) «Bien que composée d'éléments disparates, la Cour d'Àlexandrie est devenue en peu de temps un corps judiciaire homogène, très solide et très sérieux... La Cour a rendu une foule d'arrêts qui font honneur à la science et à l'application de ses membres, et, dans des circonstances mémorables, elle a été le champion de la cause européenne en Égypte, cause qui pour moi se confond avec celle du progrès et de la civilisation. >>

M. le baron de Ring, pendant les conférences, avait demandé à la colonie française de lui faire connaître ses vœux.

Dans une réunion de la nation convoquée par les députés, ces derniers ont proposé le vote d'une proposition ainsi conçue: «L'assemblée est d'avis que les tribunaux de la réforme doivent être maintenus au moins pour une nouvelle période de cinq ans. »

Deux amendements ont été proposés. L'un qui portait cette période à dix ans l'autre qui la réduisait à trois ans.

« Ces amendements, dit le procès-verbal de la réunion, ont été successivement mis aux voix et rejetés.

«L'assemblée adopte, à une grande majorité, la résolution proposée sans amendement. >>

Assurément aucun témoignage n'aura sur la Chambre plus d'autorité que celui qui émane de nos nationaux eux-mêmes.

On peut discuter l'opinion de la colonie française en Egypte, la combattre quand elle porte sur des mesures nouvelles à appliquer et dont elle peut ne pas entrevoir clairement les conséquences.

Mais il s'agit ici d'une expérience faite pendant près de sept années, sous ses yeux et dans une matière où ses intérêts étaient engagés.

Son appréciation est d'autant plus importante, qu'au moment où il a été pour la première fois question d'introduire la réforme, son opposition avait été presque unanime, et si, pendant les pourparlers, qui ont duré près de dix années avant l'installation des tribunaux,ces appréhensions s'étaient un peu calmées, il est certain qu'elles étaient encore fort vives au moment où la réforme a été introduite et que les magistrats ont dû conquérir la confiance des justiciables au milieu d'une surveillance inquiète et toujours en éveil.

Nous avons dit plus haut que M. de Ring, tout en rendant justice devant la Commission de 1880 aux qualités des magistrats, avait fait des réserves sur un point qui ne touchait pas aux intérêts de nos nationaux.

Voici en quoi consiste le reproche qu'il faisait, non pas à l'ensemble de la magistrature, mais à la Cour d'appel seulement.

« On ne saurait nier, je crois, dit-il, que la Cour se soit montrée d'un esprit trop envahissant; que poussée par cet esprit, elle ait cherché à diminuer plus que de raison l'indépendance du parquet et des tribunaux de première instance; qu'elle se soit montrée souvent vis-à-vis du Gouvernement, épineuse et tracas

sière sans nécessité; enfin qu'elle n'ait pas toujours su éviter le soupçon d'avoir donné place à la politique dans ses préoccupations. »

Ce reproche qui aurait pu être présenté plus opportunément, quoi qu'avec moins d'autorité, par le représentant du Gouvernement égyptien, ce reproche qui ne concerne pas les intérêts de nos nationaux a quelque chose de fondé, et, puisque M. le Ministre des affaires étrangères, en présentant ce projet de loi, annonce qu'il est question de rechercher, d'accord avec le Gouvernement égyptien et les autres puissances, les modifications qu'il serait utile d'introduire dans le fonctionnement des tribunaux égyptiens, il appréciera s'il doit tenir compte des observations de son représentant. Mais il convient de rechercher la portée de ces griefs.

La Cour d'appel, dit M. de Ring, s'est montrée tracassière avec le gouvernement égyptien, et s'est laissé dominer par des préoccupations politiques.

Cela est possible; mais il faut bien reconnaître que, dans tout le cours des pourparlers qui ont précédé l'acceptation de la réforme, l'idée dominante, avouée, proclamée par les puissances auxquelles les magistrats étaient empruntés, c'était une défiance absolue contre le Gouvernement égyptien. On annonçait d'avance aux magistrats qu'ils auraient à combattre, on les a armés pour la lutte; on les a tellement armés au moyen des garanties dont on a entouré leur fonctionnement, qu'il faut leur savoir gré de n'avoir pas été plus loin.

Quand donc, d'ailleurs, s'est-on aperçu que le pouvoir exercé par la Cour était abusif et gênant? est-ce au temps d'Ismaïl pacha? Non; on louait alors la fermeté des magistrats. Le grief s'est formulé quand le pouvoir en Egypte s'est trouvé, en fait, aux mains des représentants de la France et de l'Angleterre.

La Cour, dit M. de Ring, aurait donné place à la politique dans ses préoccupations ?

Mais n'est-ce pas un peu la faute de sa constitution? Dans le choix des magistrats qui devaient composer la Cour d'appel on aurait pu tomber d'accord que le gouvernement Egyptien s'adresserait aux puissances chez lesquelles les tribunaux ont à appliquer des lois reposant sur les mêmes bases que les codes Egyptiens qui sont redigés d'après les principes du droit français. C'eût été à l'avantage des justiciables.

Mais non, on a voulu tenir compte des nationalités.

Eh bien ! s'il en était ainsi, on aurait pu demander des magistrats aux Gouvernements qui avaient le plus grand nombre d'administrés en Égypte.

Au lieu de cela, on a exigé que les magistrats étrangers de la Cour fussent demandés également aux sept grandes puissances qui seules avaient été représentées à la Commission du Caire de 1869. En sorte qu'il n'y a rien d'étonnant que les membres de la Cour se soient crus chargés d'une espèce de mission de politique internationale en Egypte.

C'est un tort sans doute, mais dans la discussion des modifications a introduire, M. le Ministre des affaires étrangères verra s'il n'y a pas lieu d'y apporter remède en ne faisant pas une question politique de la nationalité des magistrats de la Cour d'appel.

Le reproche le plus sérieux porte sur les empiètements de la Cour qui aurait cherché à diminuer plus que de raison l'indépendance du parquet et des tribunaux de première instance.

L'étude du règlement judiciaire formulé par la Cour montre que le grief est fondé, en ce sens que le parquet n'a pas les prérogatives qui doivent lui appartenir et que les tribunaux sont sous la dépendance administrative de la Cour d'appel. Il y a entre les mains du vice-président de cette Cour une telle con

centration de pouvoirs qu'en dehors de lui il n'y a rien, et qu'il est le véritable Ministre de la Justice.

Il sera utile et facile de remédier à cette situation en modifiant le règlement. Mais il faut dire que les faits qui l'ont amenée rendent bien excusable qu'on l'ait créée.

Quoique l'initiative de la réforme vienne du gouvernement Egyptien, il s'en faut de beaucoup que parmi les personnages qui ont occupé le pouvoir dans ce pays, la majorité fût favorable aux projets de réorganisation.

En février 1876, quand les tribunaux ont commencé à fonctionner, celui qui avait été l'initiateur de la réforme, Nubar pacha était éloigné du ministère.

Le Président du Conseil et le Ministre de la Justice passaient pour être hostiles à la nouvelle juridiction qu'ils étaient chargés d'installer, et à laquelle, depuis, ils ont rendu tous deux très loyalement hommage.

On a pu craindre que, dans les détails de la réorganisation, ils ne donnassent même malgré eux, satisfaction à leur hostilité ancienne, et qu'en tous cas, ils fissent dévier la réforme des principes sur lesquels on avait entendu la fonder. Le Président effectif de la Cour, M. le baron Lapenna, était très dévoué à l'œuvre et voulait son succès.

C'est lui qui pour parer à tout danger, rédigea ce règlement judiciaire un peu draconnien qui mettait entre ses mains toute l'administration de la justice. Il fut assez habile pour le faire accepter par le Gouvernement égyptien.

Armé du pouvoir que le règlement lui attribuait, il rendit toute opposition impossible, et l'on peut dire que si la réforme a couru un danger lors de son installation c'est lui qui l'a sauvée.

M. de Ring, lui a rendu justice.

Quand il disait devant la Commission du Caire que la Cour d'appel constituait un corps judiciaire homogène, très solide et très sérieux, il ajoutait : «< ce résultat,je me hâte de le constater, a été en grande partie dû au mérite et à la fermeté exceptionnelle du vice-président européen M. de Lapenna.» (Protocole 2, p. 6.)

Le règlement judiciaire dans ses dispositions excessives, est devenu inutile. La réforme n'est plus menacée. Le vice-président, M. Giaccone, ancien jugeconsul d'Italie à Alexandrie, ancien conseiller à la Cour de Brescia, membre de la Cour d'appel d'Alexandrie depuis l'installation, et qui a représenté l'Italie dans les discussions qui ont eu lieu devant la Commission du Caire de 1869 et devant celle de Constantinople en 1873, joint un caractère modéré à une grande expérience des affaires d'Egypte et à un grand savoir; le procureur général, M. Vacher, ancien magistrat du ministère public en France, a importé dans son parquet les saines traditions; l'administration de la justice peut donc, aujourd'hui, au moyen d'un nouveau règlement judiciaire rentrer dans les véritables règles et elle y rentrera sans doute.

Quoi qu'il en soit au surplus des griefs soulevés par M. le baron de Ring, ii est certain, comme il le dit lui-même, qu'il y a une contre-partie, c'est que la Cour a toujours fait preuve d'une grande indépendance, et « qu'elle a été dans des circonstances mémorables le champion de la cause européenne en Egypte.»> Voici, en deux mots, quelles sont ces circonstances.

De 1876 à 1878, de nombreuses condamnations à des sommes importantes étaient intervenues contre le Gouvernement et la Daïra du Khédive.

Mais ces sentences étaient le plus souvent restées inexécutées. L'état financier de l'Egypte obligeait à réserver toutes les ressources pour l'acquittement du coupon de la dette consolidée.

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