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Ceux des créanciers de la dette flottante qui étaient porteurs de jugements faisaient entendre de bruyantes protestations.

En janvier 1878, la Cour d'appel s'émut de cet état de choses.

Le 6 janvier 1878, elle prit une délibération dans laquelle elle rappela qu'elle n'avait cessé de signaler au Gouvernement le danger d'une « crise imminente >> s'il persistait à se soustraire aux conséquences des condamnations portées à sa charge.

<< La Cour, dit-elle, ne saurait subir sans s'émouvoir, une situation, qui, ... compromettrait irréparablement, si elle se prolongeait, l'œuvre de la réforme. » Elle termine ainsi :

«La Cour invite son Vice-Président à transmettre ces déclarations au Gouvernement égyptien, et autorise les membres étrangers à les porter à la connaissance des puissances, dans l'espoir que leur intervention amènera une solution prompte et satisfaisante. >>

Remarquons en passant que l'attitude prise par la Cour, et que M. le baron de Ring loue à bon droit, constitué au premier chef un de ces actes politiques, qu'il croit devoir blâmer d'une façon générale.

Cette protestation, malgré cette solennité, n'eut pas grand effet. La pénurie du Trésor égyptien était si grande qu'on commençait à parler d'une réduction d'intérêts à imposer aux porteurs de la dette consolidée.

La Cour ne trouvait pas un appui bien sérieux auprès des puissances. En effet, leur intervention était paralysée par ce fait que les unes représentaient les intérêts des porteurs de titres de la dette consolidée, les autres celui de leurs nationaux nantis de sentences.

On ne pouvait donner satisfaction à ces derniers sans se mettre dans la nécessité de réduire les droits des premiers. La Cour cependant ne perdit pas courage. Le Gouvernement persistant à ne pas exécuter les sentences rendues contre lui, elle prit une nouvelle délibération à la date du 11 avril 1879 :

« La Cour,

« Attendu que, malgré les protestations réitérées de la magistrature de la réforme, malgré la délibération de la Cour, en date du 6 janvier 1878, le Gouvernement égyptien persiste à laisser sans exécution les décisions des Tribunaux mixtes rendues contre lui;

<«< Que depuis le mois de juin dernier, tout en profitant des sentences qui lui sont favorables, il a systématiquement suspendu tout payement au profit de ses créanciers judiciaires;

«Que la dignité de la Cour ne lui permet pas d'adresser au Gouvernement de nouvelles représentations qui resteraient lettre morte, ni d'accepter une si tuation contraire aux règles élémentaires de la justice et de l'équité, et qui viole ouvertement le principe d'égalité devant la loi.

<< Attendu que cette situation est de nature à porter atteinte à l'autorité de la magistrature mixte; « Délibère :

« Qu'il y a lieu de s'adresser aux puissances dont le concours a présidé à la naissance de la réforme judiciaire, et qui ont placé ainsi, dès son origine, les décisions de ses magistrats sous leur sauvegarde et sous la garantie morale de leur protection.

«< Qu'il y a lieu de leur demander :

«< 1° Qu'un délai soit imparti par elles au Gouvernement égyptien pour l'exécution des sentences émanées contre lui des tribunaux mixtes et des Commissions;

« 2° Pour le cas où satisfaction ne serait pas donnée, de décharger la ma

gistrature de la réforme du devoir de statuer sur les affaires où le Gouvernement égyptien est en cause.

<«< La Cour invite, en conséquence, chacun de ses membres à porter à la connaissance de son gouvernement la présente délibération, en appelant sur la question son attention et toute sa sollicitude;

« Charge, en outre, M. le vice-président d'en transmettre une expédition à Son Excellence le Ministre de la Turquie.

Cette protestation ne parut pas plus toucher le Gouvernement égyptien que la précédente.

Il y répondit par un décret qui, sans tenir compte des hypothèques judiciaires prises par les porteurs de sentences, décidait qu'il leur serait payé 55 0/0 en argent et le reste en papier.

Il importe de remarquer que, malgré ses insuccès répétés, la Cour a montré jusqu'au bout une indépendance et une fermeté qui justifient les éloges de M. le baron de Ring.

Cette constatation répond à une opinion assez répandue et qui a trouvé son écho au sein de la Commission, à savoir que la nouvelle juridiction n'avait rien fait pour assurer l'exécution de ses sentences.

L'attitude du Gouvernement était une violation des Conventions faites avec les puissances. C'était à elles à intervenir et à soutenir les magistrats.

C'est l'Allemagne qui paraît avoir pris l'initiative d'une protestation contre ce décret, en invoquant le caractère international du traité qui avait établi la réforme judiciaire.

Cette intervention directe d'une puissance qui, jusque-là, avait laissé la France et l'Angleterre diriger seules les affaires égyptiennes, amena ces dernières, pour l'écarter, à provoquer la déchéance d'Ismaïl pacha.

On voit quelle a été l'importance de la lutte soutenue par la Cour pour l'exécution de ses sentences et les conséquences de cette lutte. Elle a amené un règne nouveau et un changement de régime.

En sorte qu'on peut dire avec certitude que l'Egypte a dû à la réforme judiciaire et à l'attitude de la Cour d'appel, les deux années de progrès administratif qui ont suivi la chute d'Ismail pacha, et précédé les dernières révolutions.

En tous cas, les créanciers ont gagné que les sentences rendues par les tribunaux ont été exécutées dans leur intégralité, et la magistrature est sortie victorieuse de la lutte qu'elle avait entreprise.

On a fait remarquer dans votre Commission, que, si des jugements rendus par les tribunaux mixtes sont pendant un temps restés lettre morte, il pourrait se faire que le même fait se renouvelât.

Admettons-le mais qu'en peut-on conclure? Rien assurément contre la continuation du système de juridiction, qui, dans les démêlés entre particuliers, a fait cesser l'anarchie judiciaire, et qui, en réalité, a fait régler l'immense arriéré de compte qui existait entre les Européens établis en Égypte et le Gou

vernement.

Qu'on veuille bien le remarquer, la question soumise à la Chambre est de savoir si les tribunaux de la réforme doivent subsister, ou si l'on doit revenir à l'ancien état de choses.

Or, supposons, si l'on veut, que, par suite d'inertie ou d'une résistance brutale, les sentences rendues par les tribunaux mixtes contre le Gouvernement égyptien éprouvent quelques difficultés dans l'exécution. En serait-on mieux si, faute de tribunaux, ces sentences n'avaient pas été rendues? Croit-on qu'il serait plus facile de régler les réclamations des Européens, si, comme cela existait autrefois, il n'était pas possible d'obtenir de sentences?

Quel recours aurait-on? On aurait, comme avant la réforme, la voie diplomatique. Mais ne voit-on pas combien la voie diplomatique est plus facile et plus utile quand un jugement a fixé le montant de la créance, et statué sur sa réalité; quand le consul du réclamant, au lieu de soutenir auprès du Gouvernement qui la nie, la légitimité de la réclamation, se borne à demander l'exécution des conventions en vertu desquelles les tribunaux ont été constitués.

En résumé, la réforme a facilité les relations judiciaires entre les étrangers et les indigènes, elle a permis à nos nationaux de faire avec sécurité des affaires avec le Gouvernement égyptien, et enfin elle a apporté dans le pays des idées de justice et de régularité qui ont facilité les réformes administratives déjà ntroduites par le contrôle financier et faciliteront celles qu'il reste à introduire. Votre Commission n'a donc pas hésité à donner son assentiment à la proposition du Gouvernement de proroger la convention en vertu de laquelle l'organisation actuelle de la justice a été établie.

Le Gouvernement dans sa proposition ne détermine pas la durée de cette prorogation: nous avons pensé qu'il y avait lieu de la fixer au maximum de cinq années; le Gouvernement Egyptien a indiqué lui-même cette limite provisoire, il nous a paru inutile de l'étendre.

C'est d'ailleurs l'avis de nos nationaux établis en Égypte, que la nouvelle juridiction soit conservée pour cinq années nouvelles.

L'idée de ne pas accepter l'organisation actuelle pour un temps indéfini et de fixer un délai provient de ce que l'on paraît d'accord sur la nécessité d'étudier les modifications que l'expérience conseille d'introduire.

C'est là précisément l'étude qu'a commencée, en 1880, la Commission internationale du Caire dont les travaux ont été interrompus par les derniers évènements politiques.

Votre Commission n'a pas cru devoir entrer dans l'étude des modifications qui ont été examinées devant cette Commission.

Elle se borne à appeler l'attention de M. le Ministre des affaires étrangères sur quelques points spéciaux.

Il lui a paru, comme à l'Assemblée de la nation qui a été consultée, qu'il était désirable d'attribuer sans contestation aux nouveaux tribunaux la connaissance des faillites, dès que plusieurs créanciers de nationalité différente pouvaient s'y trouver intéressés.

Elle pense que toutes les questions réelles immobilières, même celles qui sont débattues entre indigènes, doivent appartenir uniquement à ces tribunaux. Il n'y a pas, en effet, de fixité et de sécurité dans la propriété immobilière et les droits réels immobiliers, si les immeubles ne sont pas régis par la même législation et soumis à la même juridiction, quelle que soit la nationalité des parties.

Enfin, elle considère qu'il importe au plus haut degré aux intérêts européens, que dans les relations des indigènes entre eux, une justice régulière soit établie, soit que de nouveaux tribunaux indigènes soient crées, soit que les affaires entre indigènes soient portées devant les tribunaux mixtes actuels, ce qui n'offre rien d'anormal, car ces tribunaux ne sont internationaux que par leur composition, et, en fait comme en droit, ce sont des tribunaux purement égyptiens.

Il n'est pas indifférent à nos nationaux que la fortune des indigènes avec lesquels ils sont en relations continuelles d'affaires soit garantie par la sécurité qu'apporte une bonne administration de la justice.

Cette organisation de la justice indigène devrait, à son avis, comprendre la

création de tribunaux statuant en matière d'impôts, tribunaux dont la création avait été conseillée par la Commission européenne d'enquête de 1879.

Sous le bénéfice de ces observations que votre Commission soumet à l'examen de M. le Ministre des affaires étrangères, elle vous propose d'adopter le projet de loi.

Loi du 21 décembre 1882 qui approuve la convention conclue le 28 décembre 1880 entre la France et la Suisse pour la règlementation de la pêche dans les eaux frontières.

Art. 1er. Le Président de la République est autorisé à ratifier et, s'il y a lieu, à faire exécuter la Convention conclue à Paris, le 28 décembre 1880, entre la France et la Suisse, pour la réglementation de la pêche dans les eaux frontières des deux Pays. Une copie authentique de cette Convention est annexée à la présente loi (1).

Art. 2. Le droit de pêche dans les eaux françaises du lac Léman pourra être concédé au moyen de permis annuels délivrés directement par l'État à chaque pêcheur, sur sa demande.

Art. 3. Un règlement d'administration publique déterminera les conditions à remplir pour être autorisé à pêcher dans le lac Léman avec des engins autres que la ligne flottante tenue à la main, les droits concédés aux pêcheurs par les permis, les prix minimum de ces permis, ainsi que les mesures de police auxquelles sera soumis l'exercice de la pêche.

Rapport fait au Sénat le 28 novembre 1882, par M. Munier, sur le projet de loi approuvant la convention franco-suisse du 28 décembre 1880, sur la pêche dans les eaux frontières. (extrait)

MM., Vers la fin de la dernière session, le Gouvernement a soumis à votre sanction le projet de loi qu'il avait présenté, le 24 novembre 1881, à la Chambre des députés, qui l'a adopté dans sa séance du 3 juillet dernier, portant approbation de la convention diplomatique, signée à Paris, le 28 décembre 1880, entre la France et la Suisse pour réglementer l'exercice de la pêche dans toutes leurs eaux frontières.

Il faut savoir que cet accord n'a pas demandé moins de douze ans d'efforts continus dont l'origine remonte à 1868. En effet, c'est le 25 janvier 1868, que le gouvernement impérial a voulu réglementer, d'une manière uniforme et par décret, la pêche fluviale sur tout le territoire.

A peine le décret avait-il paru, que des pétitions nombreuses et énergiques partaient de toute la rive française du lac de Genève.

On fut obligé de reconnaître que, dans la plupart de ses dispositions, ce décret était inapplicable à cette région, en raison du caractère international des

(1) V. T. XII, p. 619 le texte de cette convention dont les ratifications ont été échangées à Paris le 22 décembre 1882. Les exposés des motifs et les rapports sur les projets de loi de sanction du même arrangement se trouvent dans le T. XII, p. 3 et 382.

eaux du Léman qui baignent à la fois les rives du département de la HauteSavoie et celle de trois cantons de la Suisse (le Valais, Vaud et Genève).

Un premier rapport de M. Coumes, inspecteur général, en date du 11 avril 1868, proposa de suspendre la mise en vigueur de plusieurs des dispositions du décret du 23 janvier sur la rive française du Léman, et d'inviter les ingénieur à préparer, pour être soumise au conseil général de la Haute Savoie et sanctionnés par un nouveau décret selon le vœu de l'article 25 de la loi du 15 avril 1829, des mesures réglementaires spéciales pour la pêche dans les eaux françaises du lac.

Le rapport concluait aussi à ce que le Gouvernement français se concertât avec les Etats riverains pour une réglementation uniforme sur les points essentiels de la matière. Les ingénieurs français préparèrent un règlement, qui fut adopté par le conseil général de la Haute-Savoie, dans sa session extraordinaire de janvier 1869, sous la réserve qu'on y ajouterait une période d'interdiction de la pêche des poissons appelés « féra » et « lavaret. »

Les conseils des trois cantons suisses consultés à son sujet, consentirent à entrer en négociation, et, par l'intermédiaire des deux gouvernements, une conférence internationale fut organisée, qui chargea une commission d'ingénieurs de préparer les bases d'un règlement pour la pêche du lac, et en même temps d'examiner l'importance de la question soulevée par le conseil général de la Haute-Savoie sur le repeuplement du poisson du lac, au moyen de la suppression des obstacles que les barrages établis sur l'Arve et les autres affluents créaient à la remonte du poisson.

Les travaux de la conférence et de la commission allaient aboutir, quand survinrent dans les deux pays deux faits législatifs qu'il faut rappeler.

Le 18 septembre 1875, une loi générale sur la pêche fut votée en Suisse, et à une époque contemporaine en France le décret de 1868 fut abrogé par celui du 18 septembre 1875, qui, à cette heure, régit l'exercice de la pêche dans tous nos cours d'eau, sans être cependant applicable au lac de Genève.

Nécessité par conséquent pour les deux gouvernements de réouvrir des négociations. On en profita pour donner aux délégués internationaux la mission d'étudier les conditions à stipuler pour la pêche dans toutes les eaux frontières du bassin du Rhône, y compris celle du Doubs, dans la portion qui limite les deux pays.

Une première conférence eut lieu le 30 juillet 1878. La tâche des délégués se trouvait facilitée par cette circonstance que la loi suisse du 18 septembre 1875 se rapprochait plus de la législation française que le projet de règlement international primitivement élaboré ; les commissaires purent donc arrêter immédiatement un nouveau projet sous réserve des modifications qui pourraient y être introduites par les gouvernements intéressés.

Dans la session d'août 1878 les conseils généraux de la Haute-Savoie et du Doubs donnèrent leur approbation à ce projet, qui reçut également l'adhésion du canton de Vaux. Les réponses de Genève et du Valais étaient encore attendues lorsque le délégué fédéral, d'accord avec le délégué français, émit le vœu que les dispositions projetées fussent encore étendues à tous les cours d'eau qui empruntent le territoire de la France et de la Suisse, notamment à l'Orbe, rivière très poissonneuse qui prend sa source en France dans le lac des Rousses, pour aller se jeter en Suisse dans le lac de Neufchâtel.

Cette proposition n'était de nature à soulever aucune objection, et la négociation paraissait arrivée à son terme quand le conseil général de la HauteSavoie, revenant dans sa session d'août 1879 sur son approbation de 1879,

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