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CAUSERIES DU LUNDI.

Lundi 1er octobre 1849.

COURS DE LITTÉRATURE DRAMATIQUE, par M. SaintMarc Girardin. (2 vol.) — ESSAIS DE LITTÉRATURE ET DE MORALE, par le même. (2 vol.)

Les pages qu'écrit le journaliste s'envolent; les paroles que distribue durant des années le professeur courent risque de se perdre. Également distingué comme professeur et comme journaliste, homme d'esprit sous toutes les formes, M. Saint-Marc Girardin a pris soin de recueillir quelques-unes de ses meilleures paroles et de ses meilleures pages dans les agréables volumes qu'il publie aujourd'hui.

Il y a bien dix-huit ans qu'il est monté pour la première fois en chaire, si l'on peut appeler de ce nom solennel le lieu d'où il cause si familièrement et si à son aise. Il semble avoir pris tout aussitôt pour devise ce mot de Vauvenargues : « La familiarité est l'apprentissage des esprits. » Dans des conseils qu'il adressait à un jeune homme, Vauvenargues, développant cette même pensée, disait encore : « Aimez la familiarité, mon cher ami; elle rend l'esprit souple, délié, modeste, maniable, déconcerte la vanité, et donne, sous un air de liberté et de franchise, une prudence qui n'est pas fondée sur les illusions de l'esprit, mais sur les principes indubitables de l'expérience. Ceux qui ne sortent pas d'eux-mêmes sont tout d'une pièce..... » M. Saint-Marc Girardin pratiqua, pour son propre compte, ce conseil si juste, et prêcha d'exemple. Par sa parole vive, souple, déliée, il allait chercher l'esprit de ses auditeurs, l'attirait à lui, l'engageait à se développer librement, naturellement,

sans faux pli et sans boursouflure. Le moment où il commença à parler était celui où la retraite des trois éloquents professeurs, MM. Guizot, Cousin et Villemain, faisait comme un grand silence. Il y avait deux manières de rompre ce silence, l'une en parlant haut et en déclamant, l'autre en venant causer sans apparat et sans prétention. L'habileté, la prudence, le bon goût, tout conseillait ce dernier parti, en le suivant, M. Saint-Marc Girardin obéissait de plus à sa nature.

Il a l'esprit, le cœur naturellement modérés, et je ne lui ai jamais vu de passion. C'est un grand profit et une grande avance dès la jeunesse. Pascal, en son temps, remarquait que «< c'est un grand avantage que la qualité (la naissance) qui, dès dix-huit ou vingt ans, met un homme en passe d'être connu et respecté comme un autre pourrait avoir mérité à cinquante ans ce sont trente ans gagnés sans peine. » Je ne sais si cela a cessé d'être vrai aujourd'hui qu'on se flatte d'avoir aboli les distinctions de naissance; il me semble que les fils de personnages considérables, que les noms historiques, ne laissent pas d'avoir encore au moins dix ans d'avance sur les autres au début de la carrière. Eh bien ! en ce qui est des choses de l'esprit et de l'expérience, n'avoir point de passion dans sa jeunesse, cela donne dix ou quinze ans d'avance pour la maturité. Les passions exagèrent la vue des choses, même pour les meilleurs esprits; elles détournent, elles amusent; on a du jugement, mais on le suspend dans les occasions où il nous gène; on a le sentiment des ridicules, mais on l'étouffe sous une certaine chaleur d'enthousiasme qui séduit. On se jette en avant, on s'engage, on est en peine ensuite pour revenir. M. Saint-Marc Girardin n'a jamais fait ainsi; il a été frappé à première vue des défauts, des travers, des ridicules du temps, et il les a raillés, il en a badiné avec un côté de raison sérieuse et piquante; il a tiré parti de tout ce qu'il voyait, de tout ce qu'il lisait, pour se livrer au jeu auquel son esprit se complaît surtout et excelle, pour moraliser.

Le titre, le sujet de son Cours, est la poésie française. Il s'est bien gardé de prendre ce mot dans le sens qu'un amateur des modernes lui eût probablement donné. La poésie lyrique, cette branche heureuse qui fait le plus d'honneur aux grands talents de notre âge, l'a très-peu occupé. Il dirait volontiers avec ce personnage de Montesquieu, dans les Lettres per

sanes : « Voici les poëtes dramatiques, qui, selon moi, sont les poëtes par excellence et les maîtres des passions... Voici les lyriques, que je méprise autant que j'estime les autres, et qui font de leur art une harmonieuse extravagance. » Il y a là, certainement, une lacune dans la manière dont M. Saint-Marc Girardin entend et présente la poésie. Avec son esprit et son habileté, il dissimule cette lacune du mieux qu'il peut. Mais il a beau faire, l'absence d'amour et de foyer se fait sentir sur un point. Il n'aime pas la poésie pure, la poésie à l'état de rêve ou de fantaisie. Jeune, il l'aimait encore moins, s'il est possible. Quand j'ai dit qu'il n'avait jamais eu de passion et d'excès, je me suis trop avancé : il a eu, à un moment, un excès de raison; cette poésie lyrique, alors toute jeune et florissante, il la niait, il la raillait, s'il nous en souvient, et ne la notait au passage qu'avec ironie. Aujourd'hui qu'elle est hors de cause et aux trois quarts établie, il se contente de ne pas la combattre; il la tolère. Le fort de sa spirituelle critique s'est concentré sur le dramatique, et c'est de ce côté qu'il bat les modernes. Battu lui-même sur un point, sur le lyrique, il n'en a rien dit, et il a mené vivement sa victoire sur l'autre aile. M. Saint-Marc Girardin a si souvent raison dans ses critiques contre les modernes, qu'il doit nous excuser de rappeler qu'il ne l'a pas eue toujours. Cela serait trop humiliant pour nous et pour tous, qu'il y eût un critique en ce temps-ci qui ait eu toujours raison. Le paysan d'Athènes ne le pardonnait pas à Aristide; je ne saurais le passer à M. Saint-Marc Girardin.

Je sais bien ce que l'homme d'esprit pourrait me répondre et ce qu'il a déjà répondu. Il empruntera ses paroles à Fénelon, qu'il aime tant à citer; il dira que ce n'est nullement la poésie lyrique en elle-même qu'il condamne, mais l'abus qu'on en fait, et le luxe d'images où elle se perd : « Un auteur qui a trop d'esprit, et qui en veut toujours avoir, disait Fénelon, lasse et épuise le mien je n'en veux point avoir tant. S'il en montrait moins, il me laisserait respirer et me ferait plus de plaisir : il me tient trop tendu; la lecture de ses vers me devient une étude. Tant d'éclairs m'éblouissent; je cherche une lumière douce qui soulage mes faibles yeux. Je demande un poëte aimable, proportionné au commun des hommes, qui fasse tout pour eux, et rien pour lui. Je veux un sublime si familier, si doux et si simple, que chacun soit d'abord tenté de croire qu'il

l'aurait trouvé sans peine, quoique peu d'hommes soient capables de le trouver. Je préfère l'aimable au surprenant et au merveilleux... » Voilà ce que M. Saint-Marc Girardin nous dira avec Fénelon; et il nous répondrait encore avec Voltaire, car je me plais à laisser parler ces esprits excellents; toute la vraie rhétorique française, la rhétorique naturelle est comme éparse dans leurs écrits; il ne s'agit que de la recueillir. Je suppose donc que M. Saint-Marc Girardin, pour s'excuser de ne point paraître admirer le lyrique des modernes, nous répondrait encore par ces paroles de Voltaire, lesquelles s'accordent si bien avec celles de Fénelon : « Le grand art, ce me semble, est de passer du familier à l'héroïque, et de descendre avec des nuances délicates. Malheur à tout ouvrage de ce genre qui sera toujours sérieux, toujours grand ! il ennuiera : ce ne sera qu'une déclamation. Il faut des peintures naïves; il faut de la variété ; il faut du simple, de l'élevé, de l'agréable. Je ne dis pas que j'aie tout cela, mais je voudrais bien l'avoir; et celui qui y parviendra sera mon ami et mon maître. » On sent à ces derniers mots que c'est bien Voltaire qui parle, c'està-dire un poëte amoureux de son art, et qui, dans un moment d'admiration, serait capable d'applaudir même son rival, et de lui sauter au cou en l'embrassant. Or, le dirai-je ? c'est ce mouvement propre au poëte que je ne sens jamais dans le spirituel critique. Anacréon dit quelque part qu'il y a un petit signe, un je ne sais quoi auquel on reconnaît les amants: ce je ne sais quoi manque à M. Saint-Marc Girardin à l'égard de la poésie pure, de la poésie lyrique.

Mais la poésie dramatique, celle qui présente les passions du cœur humain aux prises dans les diverses variétés sociales, celle-là il la recherche et il la goûte; il aime à en disserter, et il trouve à en dire les choses les plus ingénieuses et les moins prévues, qui n'en sont pas moins justes pour cela. Les deux volumes de son Cours, qui traitent de l'Usage des passions dans le drame, se composent d'une suite de chapitres plus curieux et plus variés les uns que les autres. Il fait dans son sujet des coupes heureuses ; il l'entame par des biais hardis et neufs, qui en montrent les veines prolongées. C'est ainsi que, prenant un à un les différents sentiments, les différentes passions qui peuvent servir de ressorts au drame, il nous en fait l'histoire chez les Grecs, chez les Latins, chez les modernes,

avant et après le christianisme : « Chaque sentiment, dit-il, a son histoire, et cette histoire est curieuse, parce qu'elle est, pour ainsi dire, un abrégé de l'histoire de l'humanité. » M. de Chateaubriand avait, le premier chez nous, donné l'exemple de cette forme de critique; dans son Génie du Christianisme, qui est si loin d'être un bon ouvrage, mais qui a ouvert tant de vues, il choisit les sentiments principaux du cœur humain, les caractères de père, de mère, d'époux et d'épouse, et il en suit l'expression chez les anciens et chez les modernes, en s'attachant à démontrer la qualité morale supérieure que le christianisme y a introduite, et qui doit profiter, selon lui, à la poésie. Ce dernier point seul est contestable, et tient à tout un système. Il en résulte que les conclusions de M. de Chateaubriand sont plutôt en faveur des modernes; celles de M. Saint-Marc Girardin sont presque toujours à leur désavantage. A cela près, le procédé est le même ; mais l'homme d'esprit l'a fort développé et renouvelé en l'appliquant; il se l'est rendu tout à fait original et propre. L'échelle qu'il parcourt est des plus étendues, et comprend toutes les variétés poussées jusqu'au contraste dans le cours d'un même sentiment. Et, par exemple, il passera en un clin d'œil de l'OEdipe ou du Roi Lear à une scène du Père Goriot, ou encore d'un père noble de Térence à une parabole de l'Évangile. S'agit-il de peindre la lutte de l'homme contre le danger? il n'y a que la main, pour lui, d'Ulysse à Robinson; il se ressouvient de la tempête de saint Paul dans les Actes des Apôtres, et nous ramène à l'incendie du Kent, vaisseau de la Compagnie des Indes, en 1825. Des réflexions morales, vives et pénétrantes, sur la différence des temps et des civilisations, viennent animer et sauver ces brusques trajets on n'est pas en risque de s'ennuyer un instant avec lui. Tandis que d'autres jouent sur les antitheses de mots, M. Saint-Marc Girardin se plaît aux antithèses morales, et il en fait jaillir les aperçus. Sa critique, à cet égard, est pleine d'invention et de fertilité. Des parties tout à fait belles et sérieuses, comme lorsqu'il parle de l'antiquité grecque et des personnages d'Homère ou de Sophocle, ou encore lorsqu'il aborde cette autre antiquité chrétienne des Augustin et des Chrysostome, font voir le maître dans son élévation et sa gravité, et rachètent quelques abus.

Il y a de l'abus en effet. M. Saint-Marc Girardin est trop en

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