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OU

DE L'ÉDUCATION

PAR

J. J. ROUSSEAU.

SANABILIBUS AEGROTAMUS MALIS; IPSAQUE NOS
IN RECTUM NATURA GENITOS, SI, EMENDARI

VELIMUS, JUVAT. SEN. DE IRA, L. 2, c. 13.
NON, CE N'EST PAS UNE MALADIE INCURable.
LA NATURE, QUI NOUS A FAIT NAITRE POUR

LA VERTU, SECONDERA NOS EFFORTS SI NOUS
VOULONS NOUS REFORMER.

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LE

1 4 MAY 1931

PRÉFACE.

Ce recueil de réflexions et d'observations, sans ordre et presque sans suite, fut commencé pour complaire à une bonne mere qui sait penser. Je n'avois d'abord projeté qu'un mémoire de quelques' pages; mon sujet m'entraînant malgré moi, ce mé-" moire devint insensiblement une espece d'ouvrage," trop gros, sans doute, pour ce qu'il contient, mais trop petit pour la matiere qu'il traite. J'ai balancé long-temps à le publier; et souvent il m'a fait sentir, en y travaillant, qu'il ne suffit pas d'avoir écrit quelques brochures pour savoir composer un livre. Après de vains efforts pour mieux faire, je crois' devoir le donner tel qu'il est, jugeant qu'il importe de tourner l'attention publique de ce côté-là, et que quand mes idées seroient mauvaises, si j'en fais naître de bonnes à d'autres, je n'aurai pas toutà-fait perdu mon temps. Un homme qui, de sa retraite, jette ses feuilles dans le public, sans pro neurs, sans parti qui les défende, sans savoir même ce qu'on en pense ou ce qu'on en dit, ne doit pas craindre que, s'il se trompe, on admette ses erreurs

sans examen.

Je parlerai peu de l'importance d'une bonne édu cation; je ne in'arrêterai pas non plus à prouver que celle qui est en usage est mauvaise: mille autres l'ont fait avant moi, et je n'aime point à remplir un livre de choses que tout le monde sait. Je remarquerai seulement que depuis des temps infinis il n'y a qu'un cri contre la pratique établie, sans que per

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sonne s'avise d'en proposer une meilleure. La littérature et le savoir de notre siecle tendent beaucoup plus à détruire qu'à édifier. On censure d'un ton de maître; pour proposer, il en faut prendre un autre, auquel la hauteur philosophique se complaît moins. Malgré tant d'écrits, qui n'ont, dit-on, pour but que l'utilité publique, la premiere de toutes les utilités, qui est l'art de former des hommes, est encore oubliée. Mon sujet étoit tout neuf après le livre de Locke, et je crains fort qu'il ne le soit encore après le mien.

On ne connoît point l'enfance: sur les fausses idées qu'on en a, plus on va, plus on s'égare. Les plus sages s'attachent à ce qu'il importe aux hommes de savoir, sans considérer ce que les enfants sont en état d'apprendre. Ils cherchent toujours l'homme dans l'enfant, sans penser à ce qu'il est avant que d'être homme. Voilà l'étude à laquelle je me suis le plus appliqué, afin que, quand toute ma méthode seroit chinérique et fausse, on put toujours profiter de mes observations. Je puis avoir très mal vu ce qu'il faut faire; mais je crois avoir bien vu le sujet sur lequel on doit opérer. Commencez donc par mieux étudier vos éleves; car très assurément vous ne les connoissez point: or, si vous lisez cẻ livre dans cette vue, je ne le crois pas sans utilité pour vous.

A l'égard de ce qu'on appellera la partie systématique, qui n'est autre chose ici que la marche de la nature, c'est là ce qui déroutera le plus le lecteur; c'est aussi par-là qu'on m'attaquera sans doute, et peut-être n'aura-t-on pas tort. On croira moins lire un traité d'éducation, que les rêveries d'un visionnaire sur l'éducation. Qu'y faire? Ce n'est pas sur les idées d'autrui que j'écris; c'est sur les miennes. Je

ne vois point comme les autres hommes; il y a longa temps qu'on me l'a reproché. Mais dépend-il de moi de me donner d'autres yeux, et de m'affecter d'autres idées? non. Il dépend de moi de ne point abonder dans mon sens, de ne point croire être seul plus sage que tout le monde; il dépend de moi, non de changer de sentiment, mais de me défier du mien: voilà tout ce que je puis faire, et ce que je fais. Que si je prends quelquefois le ton affirmatif, ce n'est point pour en imposer au lecteur; c'est pour lui parler comme je pense. Pourquoi proposerois-je par forme de doute ce dont, quant à moi, je ne doute point? Je dis exactement ce qui se passe dans mon esprit.

En exposant avec liberté mon sentiment, j'entends si peu qu'il fasse autorité que j'y joins toujours mes raisons, afin qu'on les pese et qu'on me juge; mais quoique je ne veuille point m'obstiner à défen dre mes idées, je ne me crois pas moins obligé de les proposer; car les maximes sur lesquelles je suis d'un avis contraire à celu des autres ne sont point indifférentes. Ce sont de celles dont la vérité ou la fausseté importe à connoître, et qui font le bonheur ou le malheur du genre humain.

Proposez ce qui est faisable, ne cesse-t-on de me répéter. C'est comme si l'on me disoit: Proposez de faire ce qu'on fait; ou du moins proposez quelque bien qui s'allie avec le mal existant. Un tel projet, sur certaines matieres, est beaucoup plus chimérique que les miens; car dans cet alliage le bien se gate, et le mal ne se guérit pas. J'aimerois mieux suivre en tout la pratique établie, que d'en prendre une bonne à demi : il y auroit moins de contradiction dans l'homme il ne peut tendre à la fois à deux buts opposés, Peres et meres, ce qui est faisable est

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