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sentations dramatiques dont nous avons parlé. Il fut si charmé des vers que dans cette circonstance on avait composés à sa gloire qu'il dit à l'un des seigneurs qui applaudissaient derrière lui au succès de la pièce et des acteurs : « Faut-il vous en étonner, c'est mon collège ! »

Sur le fronton de l'hôtel on lut le lendemain : COLLEGIUM LUDOVICI MAGNI.

En 1710, le jeune Arouet entrait à son tour à Louis-le-Grand; Clermont et Louis-le-Grand n'ayant formé depuis qu'un seul établissement, les deux auteurs de Candide et du Misanthrope furent donc élevés au même collège, s'assirent sur les mêmes bancs.

Voltaire dans sa correspondance rappelle souvent avec reconnaissance les pères Tournemine et Poirée, ses professeurs; Molière n'a jamais parlé des siens, avait-il été un élève studieux ou tapageur? un lauréat de son temps? on l'ignore. Les palmes universitaires n'existaient pas encore; on sait seulement qu'il avait eu pour compagnons, dans ses premières études, Chapelle, Bernier, Hénault et Armand de Bourbon, prince de Conti, ce filleul du cardinal de Richelieu, ce frère du grand Condé qui, destiné à la prélature, devint un des héros de la

Fronde, rêva la gloire et la pourpre et mourut janséniste.

Nous retrouverons plus tard ces amis de collège.

En quittant Clermont, le jeune Poquelin suivit avec Chapelle, quelques-unes des leçons de Gassendi, que le père de Chapelle logeait chez lui; mais il ne faut pas croire pour cela que Molière ait été un disciple de l'illustre professeur, surtout avec la mauvaise acception que l'on y sous-entend.

Pierre Gassend, plus connu sous le nom de Gassendi, avait expliqué la philosophie d'Epicure. Sans remonter au déluge, il nous faut dire que trois cents ans avant Jésus-Christ, deux sectes philosophiques s'étaient partagé le monde connu et pensant : les stoïciens et les épicuriens.

Zénon, le chef des stoïciens, sous un froid portique, à Athènes, enseignait que le bonheur n'étant que dans la vertu, et que les Dieux épiant nos faiblesses pour nous en punir cruellement, il fallait, plutôt que de subir la domination de nos sens, nous y soustraire même par le suicide.

Epicure, au contraire, au bord de frais ruisseaux, à l'ombre des bocages, environnés de parterres embaumés, déclarait que les dieux bons et généreux souriaient à nos joies, permettaient qu'on semât

quelques fleurs sur le chemin de la vie et qu'user sans abuser était la volupté de la vertu.

Les disciples de Zénon avalaient la ciguë, tandis que ceux d'Epicure remplissaient leur coupe de vins de Chypre et de Falerne. On se lassa de la ciguë, moins du Falerne et du Chypre; alors l'hypocrisie apparut et crescendo rinforzando, la calomnie fit d'Epicure un matérialiste, de son traducteur Gassendi un sensualiste; comme de l'élève de Gassendi, ceux qui poursuivirent sa mémoire jusque par delà le tombeau, auraient voulu faire un épicurien, un athée.

Molière ne fut rien de tout cela. Philosophe sous le rire, si l'on veut qu'il ait été philosophe, sa leçon était dans la moquerie de nos faiblesses, de nos sottes passions, de nos téméraires aventures; mais dans la leçon, il ne se contentait pas de dire la vérité, il y entrait de plain pied comme dans son domaine, et quand il avait adopté un caractère, il le développait avec toute sa logique, et le poussait jusqu'à ses dernières conséquences.

C'est ainsi que cette fameuse phrase, tant attaquée dans la scène du pauvre, du Festin de Pierre : « Tu passes ta vie à prier Dieu et tu meurs de faim? Tiens, prends ce louis, je te le donne pour l'amour de l'humanité», était le langage que devait tenir son

héros; c'était Don Juan qui parlait et non l'auteur, dans lequel on crut, à tort, avoir découvert un précurseur des d'Holbach, des Diderot et des Helvétius.

Molière ne fut d'aucune secte, d'aucune école; mais, certes, s'il avait adopté une doctrine, c'eùt été celle de Descartes, dont il savait par cœur le Discours sur la méthode : « Je pense, donc je suis, » -plutôt que cet autre axiome matérialiste : « Je marche, je bois, je mange, donc j'existe, » d'autant plus qu'il digérait fort mal.

Etudia-t-il ensuite le droit ? c'est possible; la théologie ? c'est moins sûr. Il se livra à la versification, c'est certain.

En quittant les bancs, l'enfant n'est plus; comme la chrysalide, il a laissé sa dépouille à l'école, et le jeune homme va nous apparaître avec toutes ses aspirations, ses audaces.

D'abord il abandonnera le sillon paternel, le nom de son père, celui du tapissier des halles, non par dédain, car lorsque le succès aura couronné son œuvre, il réunira ce nom à celui qu'il se sera choisi, pour les transmettre tous les deux ensemble à la postérité. Il ne fit que suivre un usage longtemps conservé à la scène.

Mais il ne sera encore que petit comédien d'une

petite troupe, dans un petit théâtre; Molière comme Poquelin sera petit; l'esprit comme le corps devaient subir chez lui la même loi de nature, ne grandir qu'avec le temps.

Jean-Baptiste, nous l'appelons ainsi pour la dernière fois, alla se loger dans une maison de la rue des Jardins-Saint-Paul, non loin de l'lllustre Théâtre.

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