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directeur de l'Opéra français, et sous Louis XV un abbé de Lagarde remplissait les fonctions de souffleur dans les petits appartements.

Ces messieurs ne voulaient pas se trouver en contact avec des damnés.

Depuis cet édit, plusieurs fils de la bourgeoisie s'étaient engagés dans cette profession relevée de roture et pour la mieux ennoblir ils avaient décoré à l'envie leurs noms de particules de L'Epy, de La Thorillière, de Brie, du Parc, du Fresne, du Croisy.

Molière fit comme les autres; le comédien s'appela de Molière, et l'auteur du Misanthrope Molière tout court.

Ce qui principalement dut affecter le père Poquelin, c'est que le moment était arrivé, pour lui, de rendre ses comptes de tutelle.

Il revenait à chacun de ses enfants du chef de leur mère, cinq mille livres.

Notre jeune comédien, son fils aîné, ne voulut prendre que six cents livres, et en même temps il renonça, en faveur de son frère cadet, à la charge héréditaire de tapissier et valet de chambre du Roi, que le Roi lui-même lui rendra plus tard.

Perrault, au sujet du désespoir du père Poquelin, rapporte une plaisante aventure :

Pour tenter de ramener son fils insoumis, il lui avait dépêché son ancien maître d'écriture, Georges Pinel, en qui il avait mis toute sa confiance. « Pinel, dit Perrault, s'affubla aussitôt d'une perruque et d'un faux nez et se mit à figurer dans la troupe, en jetant la férule et le martinet par derrière les moulins. >> Le métier d'instituteur n'avait pas alors plus de charme qu'aujourd'hui.

Avec ses six cents livres, notre échappé du pavillon des cinges, n'était pas beaucoup plus riche que ses camarades; mais il avait le crédit d'un héritier. Aussi devint-il le bailleur de fonds de l'entreprise : il donna son argent, d'abord; après sa signature, et puis, comme toujours, il sera coffré; ce que nous aurons bientôt à constater.

Cinq sous par spectateur, pour soutenir une entreprise théâtrale, c'était peu; c'était cependant le seul prix autorisé pour les troupes de campagne, et les comédiens de l'Illustre théâtre n'avaient pas un autre rang; ceux du Marais et de l'hôtel de Bourgogne étaient seuls comédiens du Roi avec privilège.

Ni le zèle, ni le dévouement ni les sacrifices n'avaient

fait défaut. On avait acheté à Tristan sa tragédie de Scévole; à du Ryer, la Mort de Crispe; mais ces malins auteurs gardaient leurs meilleurs ouvrages pour les théâtres royaux, et on ne s'en était pas moins trouvé dans la nécessité de souscrire une nouvelle obligation « de dix-huit cents livres, à Louis Baudot, écuyer et maistre d'hostel du Roi, pour loyers arriérés,» puis d'autres: au chandelier, au tapissier, au linger.

Une éclaircie parut un instant aux sombres nuages qui commençaient à s'amonceler sur la tête de nos jeunes sociétaires.

Le frère de Louis XIII, l'oncle du jeune roi, Gaston d'Orléans, les fit mander pour représenter dans son palais du Luxembourg, ce petit chef-d'œuvre d'architecture et de goût, que sa mère, Marie de Médicis, avait fait construire en 1612, sur les dessins de Desbrosses et qui porta tant de noms palais d'Orléans, du Directoire, du Consulat, du Sénat conservateur, de la Chambre des pairs, du Sénat impérial; mais que les enfants n'appelèrent jamais que palais du Luxembourg, du nom de leur jardin privilégié, et qui s'appellera toujours ainsi, parce que la dynastie et les régimes changent, et que les enfants demeurent.

Les fossés de Nesles étant sur la même rive que le palais du Luxembourg, Gaston avait voulu faire un peu de bien à ses petits voisins.

Comme on connaissait son goût pour les ballets, pour mieux lui plaire et se montrer dignes de sa haute protection, on engagea le danseur Mallet, qu'on enleva au théâtre de l'acrobate Cardelin, moyennant << trente cinq livres tournois pour chaque jour jouant ou non. » On improvisa la Fontaine de Jouvence, la Sibylle de Panfoust, et on plut si bien à son altesse, qu'en récompense, on reçut l'autorisation de s'appeler désormais Comédiens de Monseigneur d'Orléans.

Hélas! ce fut plus d'honneur que de profits.

Le populaire ne mordit pas à la bagatelle de la porte.

Ce titre, qui touchait de si près à la couronne, n'aurait-il pas plus de succès en province ?

A Rouen, se tenait un grand pardon, vieux mot qui, dans le vocabulaire des fêtes communales, a été remplacé par celui de foire; le pardon de Saint-Romain, était un rendez-vous très renommé dés troupes de campagne.

On résolut de partir pour Rouen.

Corneille, en ce moment, séjournait dans sa ville natale, où l'avaient appelé quelques affaires de fa

mille; c'était une raison de plus pour entreprendre ce voyage.

L'auteur du Cid et du Menteur n'accueillerait-il pas avec la bienveillance du talent, de jeunes aspirants des lettres, venant se ranger sous sa bannière? On lui confierait ses projets, ses vœux, ses espérances. Rêves d'artistes! L'auteur émérite les accueillit, en effet, de la façon la plus cordiale; les loua, les encouragea, les applaudit, mais ne leur donna que de l'eau bénite de cour; eau bénite de tous les grands, car, lorsqu'ils lui demandèrent la permission de représenter quelqu'un de ses ouvrages, il la leur refusa tout net; Corneille, dans sa gloire, ne pouvait descendre au tripot des Métayers, et ils subirent une déception que bien d'autres ont connue et connaîtront après eux.

Cependant les recettes foraines avaient été assez fructueuses pour qu'on pût rapporter quelques économies à Paris; économies qui ne devaient pas durer longtemps.

Pendant cette courte absence, le terrible Gallois s'étant montré de plus en plus intraitable, Léonard Aubry avait été obligé de transporter, en une nuit, loges, tréteaux, décors, dans un autre jeu de paume situé rue des Barres, celui de la Croix-Noire.

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