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bois sacrés, auxquels ils attribuaient la même vertu? Le nom de la déesse Strenua confirme mes soupçons sur l'origine de cette superstition. Il a bien du rapport au mot hébreu Eloïm, qui peut signifier le Dieu fort, le Dieu de la force. C'est de ce mot que Moïse s'est servi dans les premiers chapitres de la Genèse, où il parle de l'arbre de vie que Dieu avait mis dans le paradis terrestre.

!

Les Romains, devenus grossiers, négligèrent une cérémonie dont l'expérience leur avait appris l'inutilité. On continua néanmoins de se faire des présens au commencement de l'année; on se donnait du miel, des dattes, des figues sèches; c'étaient les mets les plus délicieux d'un peuple encore sobre et frugal. Lipenius et M. Spon, après Ovide, prétendent qu'on voulait marquer, par la douceur de ces présens, le désir que l'année passât doucement. L'allusion est fade. Ovide la relève par un trait ingénieux. Il demande pourquoi on joignait à ces présens rustiques une pièce de monnaie, et se fait répondre par Janus:

O! quàm te fallunt tua sæcula, dixit,

Qui stipe mel sumptâ, dulcius esse putes!
Vix ergo Saturno quemquam regnante videbam,
Cujus non animo dulcia lucra forent.

Tempore crevit amor, qui nunc est summus, habendi:
Vix ultra, quò jam progrediatur, habet.

La vérité est qu'on offrait ces mets, parce qu'on les estimait alors. On continua de les offrir par coutume,

quand le luxe et la mollesse romaine furent montés aussi haut que leur puissance.

La monnaie que l'on présentait portait, d'un côté, la tête de Janus, de l'autre, la figure d'un navire. C'est la forme la plus ancienne des monnaies. J'en dis les raisons dans un éclaircissement sur Janus, que j'ai eu l'honneur d'envoyer à S. A. S. Msr le duc d'Enghien.

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Auguste aimait à recevoir les étrennes, même du petit peuple; et dans son absence, on les portait dans le vestibule de sa maison. Il employait cet argent en statues de ses dieux, qu'il plaça en divers endroits de la ville. Le temps nous a conservé les inscriptions de quelques-unes de ces statues ; en voici une:

IMP. CAESAR DIVI F. AUGUSTUS.

PONTIFEX MAXIMUS.

t

IMP. XII. COS. XI. TRIB. POTEST. XI.
EX STIPE QUAM ·

POPULUS ROMANUS.

ANNO NOVO ABSENTI CONTULIT.
NERONE CLAUDIO, DRUSO, T.
QUINTIO CRISPINO COSS.
VULCANO.

Tibère, suivant son humeur sombre et farouche, blâmait ces manières bonnes et familières d'Auguste. Il s'absentait, les premiers jours de l'année, pour s'exempter de donner et de recevoir des étrennes (1);

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et son chagrin alla jusqu'à défendre qu'on en donnât passé le premier jour de janvier. Cette cérémonie s'était étendue jusqu'au septième.

Marcellus Donatus s'imagine ici, entre Dion et Suétone, une contradiction (1) qui n'y fut jamais.

Suétone parle de ce que Tibère fit d'abord : Dion parle de ce qu'il fit le reste de sa vie. Caligula imita Auguste, et Claude suivit l'exemple de Tibère. Celui d'Auguste paraît enfin l'avoir emporté; mais la matière des présens a changé, selon le temps et les lieux. Notre siècle, plus sage, a presque aboli l'usage des présens, et n'a retenu que celui des complimens et des vœux.

M. Spon déclame fort sérieusement contre la coutume de donner les étrennes, comme contre une cérémonie païenne. Lipenius cite des passages de saint Augustin et de saint Chrysostôme, et d'un concile d'Auxerre, tenu l'an 587, où l'on donne aux étrennes l'épithète fâcheuse de diaboliques. Cependant la conclusion du docte Allemand n'est pas si sévère que celle de M. Spon. Lipenius n'a entendu le pas d'Auxerre qu'il cite. C'est le premier canon de ce concile: Non licet kal. januariis vecula aut cervata facere, vel strenas diabolicas observare. Le Père Sirmond a prouvé qu'il fallait lire vetula aut cervola. Lipenius, après le Père Sirmond, croit que vetula est là pro vitula, et que le concile défend de

[ (1) Dilucidat. in Suet. Tiber.

passage

du concile

se déguiser en prenant des figures de bêtes. Je doute qu'on trouve ailleurs vitula facere, pour dire prendre la figure d'une génisse. Même en latin du Bas-Empire, il faudrait dire vitulam facere. Le concile, ce me semble, défend là de faire, le premier jour de l'an, des sacrifices de génisses ou de biches (1). C'est le sens propre de ces mots, vitula facere. Virgile les a mis en ce sens :

Cum faciam vitula fructibus.

pas

Il n'est extraordinaire de voir les conciles occupés à détruire les restes d'idolâtrie; et le concile dont nous parlons défend, dans le canon, d'aller faire des vœux devant les arbres consacrés aux faux dieux. Les étrennes, jointes à des sacrifices, étaient véritablement diaboliques. Pour les étrennes dégagées de toute superstition, quel mal de les conserver? Bientôt les hérétiques, ennemis des cérémonies, et certains catholiques bizarrement scrupuleux, défendront qu'on dise bonjour et bonsoir, parce que les païens en usaient ainsi. Ils verront dans cette manière de parler quelque rapport à la superstition des jours heureux et malheureux. Si ce que j'ai l'honneur de vous offrir vous déplaît, faites-en le même usage qu'Auguste des étrennes des Romains: consacrez-le au dieu Vulcain.

(1) Voyez, sur cette particularité, la Lettre de l'abbé Lebeuf au sujet de deux anciennes figures gauloises, etc., t. I, p. 280 de ses Divers écrits pour servir d'éclaircissement à l'histoire de France. (Edit. C. L.)

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LETTRE

AU SUJET DES ÉTRENNES (1).

PAR RIBAUD DE ROCHEFORT.

Je vois, monsieur, aux pages 650 et 651 du Mercure d'avril 1735, que le savant éditeur du troisième volume des Ordonnances de nos rois, a fait une observation au sujet du jour des Etrennes, terme qui se trouve employé dans deux ordonnances, l'une de janvier 1358, l'autre de juillet 1362.

Il s'agit de fixer l'époque des étrennes dans ce temps-là, et de savoir quel jour on donnait les étrennes, en France, en 1362. Faute de passage précis sur les étrennes, M. Secousse présume que l'on a toujours conservé, en France, l'ancien usage de les donner le 1er de janvier, parce que, dans le temps même où l'année commençait à Pâques, on ne laissait pas de regarder le 1er janvier comme le premier jour de l'an.

L'autorité d'un habile homme est toujours une forte présomption pour la vérité; et si le sentiment de M. Secousse laissait subsister des doutes, je suis en

(1) Extr. du Mercure de juillet 1735.

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