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D'autres allaient siéger sans cravatte, sans col, la poitrine nue, un bâton noueux à la main, les pieds nus dans des sabots garnis de paille. Tel était le député Sergent et le capucin Chabot.

Toute espèce de luxe était proscrite parmi les femmes. De simples cornettes remplacèrent l'élégance des bonnets et des chapeaux. Les dames, pour échapper aux poursuites des patriotes qui se pavanaient du nom de sans-culottes, se cachaient sous ce costume. Les tribunes de la Convention étaient remplies de femmes hideuses qu'on appelait des harpies de guillotine. Plusieurs d'entre elles portaient en pendans d'oreille la représentation de cet instrument de mort; d'autres un collier terminé par le portrait de Marat. Nul honnête homme n'eût osé sortir avec un habit décent; îl aurait été poursuivi par les petits sans-culottes, et dénoncé par les grands. Quelques députés seuls profifèrent de leur inviolabilité pour garder leur habit, leur cravatte et leur chapeau : il fallut, après le régime de la terreur, beaucoup de temps pour rétablir l'ancienne décence des habits, proscrire la carmagnole et le bonnet rouge: Le Directoire commença à y travailler. Les cinq membres qui le composaient prirent un costumé : l'habit long en en soie nacarat, le manteau de même étoffe, chargé de broderies. On habilla à la romaine les membres du Conseil des cinqcents et du Conseil des anciens. Buonaparte les déshabilla; la décence reparut, et s'est soutenne jusqu'à présent avec l'habit français.

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Il n'est pas surprenant que, dans l'ancien Recueil des lois saliques, on n'en trouve aucune qui ait eu pour objet la réforme du luxe. Comme ce vice n'est ordinairement produit que par les richesses et l'abondance, on ne l'a guère vu paraître dans le commencement des empires, et quand les Etats ont commencé à se former ce sont ordinairement des conquérans qui l'ont rapporté avec les dépouilles des pays conquis, Ce ne fut que l'an 536 de Rome que les Romains furent obligés, pour réprimer ce désordre, d'avoir recours aux lois somptuaires.

Les Français ignorèrent encore plus long-temps le mal et le remède. Cette nation, comme on sait, habitait autrefois au-delà du Rhin; soit, dit un ancien historien, qu'elle en fût originaire, ou qu'elle fût venue s'y établir de plus loin. Tant qu'ils restèrent dans la Germanie, leurs maisons, ou plutôt leurs cabanes, n'étaient bâties que de bois, encore sans être dolé, et couvertes seulement de chaume, comme le

rapporte Tacite. Les hommes n'avaient ordinairement pour habit qu'un sayon fait de gros drap ou de ou de peaux, le poil en dehors, et attaché avec une seule agrafe; quelques-uns ajoutaient une espèce de pantalon fort étroit. C'est ainsi qu'ils parurent dans les Gaules sous la conduite de Clodion : Veste strictá, dit Apollinaris Sidonius, ac singulos artus exprimente. L'or et l'argent leur étaient inconnus, ou du moins, n'entraient point dans le commerce. Personne, parmi eux, n'avait de fonds de terre en propre; leurs chefs leur en assignaient tous les ans une certaine mesure proportionnée à leurs besoins : ainsi la terre, le sujet aujourd'hui des guerres entre les prince's et des procès entre les particuliers, leur servait de patrimoine universel, où tous avaient droit et où chacun avait part; et si le dérangement des saisons produisait la stérilité et trompait leurs espérances, ils allaient en course, et faisaient leur récolte sur les terres de leurs ennemis: Etenim hæc illis servitus est nullos habere

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quos

Une vie libre, mais sauvage, des mœurs féroces, le peu de commerce qu'ils avaient avec des nations policées, l'ignorance des cómmodités, tout contribuait à éloigner le luxe de leurs cabanes; et nous ne pouvons nous faire une idée plus juste de ces premiers temps, qu'en les comparant au genre de vie. que mènent encore aujourd'hui les Hurons et les Iroquois. Quand nos premiers rois eurent passé le Rhin, les guerres continuelles qu'ils eurent à soutenir contre les Romains, les Bourguignons et les Visigoths, et

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souvent même des guerres civiles, ne leur permirent guère de rechercher des parures superflues. Les Français tiraient leur principal ornement de leurs armes, qui étaient ordinairement d'un fer ou d'un acier bien poli; et on voit dans Grégoire de Tours, le premier de nos historiens, que Clovis, dans une revue générale de son armée, prit occasion du mauvais état où il trouva la hache d'armes d'un soldat qui lui avait manqué de respect dans une autre occasion, pour lui en

fendre la tête.

Ce prince, au rapport de l'historien français, entreprit la conquête des Gaules sans avoir ni or ni argent: Cum hoc faceret, dit-il, neque aurum, neque argentum habebat. Thierri, son fils aîné, fut charmé d'avoir eu un bassin d'argent pour sa part des dépouilles de Bazin, roi de Thuringe: ce fut un bijou pour ce prince encore barbare, et peut-être le premier qui eût paru sur la table de nos rois. Mais rien ne prouve mieux combien, dans toute cette première race, on était éloigné de tout ce qui approchait du luxe, que la basterne ou le charriot, traîné par deux bœufs, et conduits par un bouvier, dont nos rois se servaient pour voiture : Quocumque eundum erat, carpento ibat, dit Éginard, quod bobus junctis et bubulco, rustico more, agente trahebatur. On voit que la basterne de nos premiers Français n'était pas tout à fait aussi magnifique que nos berlines, quoique l'invention de ces deux voitures vienne à peu près du même pays.

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On sait que le royaume de France devint un grand

empire sous Charlemagne : cependant cet empereur, au milieu de cette foule de princes, de grands seigneurs et de capitaines de différens pays et de diffé rentes nations, qui composaient une cour nombreuse et magnifique, conserva toujours dans ses habillemens la simplicité de ses ancêtres. On le voyait toujours vêtu à la française, vestitu patrio, hoc est francico, utebatur, à moins qu'il ne fût obligé de donner audience à des ambassadeurs, ou qu'il se trouvât dans ces assemblées générales où la majesté de l'Etat doit paraître dans le souverain. Hors ces occasions, son habillement différait peu de celui même du peuple: Aliis autem diebus, habitus ejus parùm à communi ac plebeio discrepabat. Il portait en hiver, dit Eginard, un pourpoint fait de peaux de loutre, sur une tunique de laine avec, un simple bordé de soie : il mettait sur ses épaules un sayon de couleur bleue; et pour chaussures et pour brodequins, il se servait de bandes de diverses couleurs, croisées les unes sur les autres: Ex pellibus lutrinis thorace confecto humeros pectusque tegebat. Il s'enveloppait ensuite d'un long manteau fait d'une manière singulière; par-devant et par-derrière, il touchait aux pieds; et il était si. court par les côtés, qu'à peine approchait-il des noux: Ultimum habitus eorum erat pallium canum vel saphirinum, quadrangulum duplex, sic formatum ut cùm imponeretur humeris, antè et retrò pedes tangeret; de lateribus verò vix genua contegeret.

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Tel était à peu près l'habillement des Français.

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