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ACTE PREMIER.

SCENE PREMIERE.
SGANARELLE, ARISTE.

M

SGANARELLE.

ON frere, s'il vous plaît, ne difcourons point

tant,

Etquechacundenous vivecommeil l'entend;
Bien que fur moi des ans vous ayez l'avantage,
It foyez affez vieux pour devoir être fage,

Je vous dirai pourtant que mes intentions
Sont de ne prendre point de vos corrections:

Que j'ai pour tout confeil ma fantaisie à fuivre,

Et me trouve fort bien de ma façon de vivre.

ARISTE.

Mais chacun la condamne.

SGANARELLE.

Oui, des fous comme vous,

Mon frere:

ARISTE.

Grand-merci, le compliment eft doux.

SGANARELLE.

Je voudrois bien fçavoir, puisqu'il faut tout entendre, Ce que ces beaux cenfeurs en moi peuvent reprendre?

ARISTE.

Cette farouche humeur, dont la féverité

Fuit toutes les douceurs de la fociété,
A tous vos procédés inspire un air bizarre,
Et, jufques à l'habit, rend tout chez vous barbare.
SGANARELLE.

Il est vrai qu'à la mode il faut m'assujettir,
Et ce n'eft pas pour moi que je me dois vêtir.
Ne voudriez-vous point par vos belles fornettes,
Monfieur mon frère aîné, (car Dieu-merci vous l'êtes
D'une vingtaine d'ans, à ne vous rien celer,
Et cela ne vaut pas la peine d'en parler :)
Ne voudriez-vous point, dis-je, fur ces matiéres
De vos jeunes muguets m'infpirer les maniéres,
M'obliger à porter de ces petits chapeaux
Qui laiffent éventer leurs débiles cerveaux,

Et de ces blonds cheveux, de qui la vaste enflure
Des visages humains offusque la figure?

De ces petits pourpoints fous les bras fe perdans,
Et de ces grands colets jusqu'au nombril pendans?
De ces manches qu'à table on voit tâter les fauffes,
Et de ces cotillons appellés haut-de-chauffes?
De ces fouliers mignons de rubans revêtus
Qui vous font ressembler à des pigeons patus?
Et de ces grands canons où, comme en des entraves,
On met tous les matins fes deux jambes esclaves,
Et par qui nous voyons ces meffieurs les galans
Marcher écarquillés ainsi que des volans?
Je vous plairois fans doute équipé de la forte,
Et je vous vois porter les fottifes qu'on porte.
ARISTE.

Toujours au plus grand nombre on doit s'accommoder,
Et jamais il ne faut fe faire regarder.

L'un & l'autre excès choque, & tout homme bien fage
Doit faire des habits ainfi que du langage,
N'y rien trop affecter, &, fans empreffement
Suivre ce que l'ufage y fait de changement.
Mon fentiment n'eft pas qu'on prenne la méthode
qu'on voit toujours renchérir fur la mode;
Et qui, dans cet excès dont ils font amoureux,
Seroient fâchés qu'un autre eût été plus loin qu'eux;
Mais je tiens qu'il eft mal, fur quoi que l'on se fonde,
De fuir obstinément ce que fuit tout le monde,

De ceux

Et qu'il vaut mieux souffrir d'être au nombre des fous, Que du fage parti se voir seul contre tous.

SGANARELLE.

Cela fent fon vieillard, qui, pour en faire accroire,
Cache fes cheveux blancs d'une perruque noire.
ARISTE.

C'est un étrange fait du foin que vous prenez,
A me venir toujours jetter mon âge au nés;
Et qu'il faille qu'en moi fans ceffe je vous voye
Blâmer l'ajustement, auffi-bien que la joye :
Comme fi, condamnée à ne plus rien chérir,
La vieilleffe devoit ne fonger qu'à mourir,
Et d'affez de laideur n'est pas accompagnée,
Sans fe tenir encor mal-propre & rechignée.
SGANARELLE.
Quoiqu'il en foit, je fuis attaché fortement
A ne démordre point de mon habillement.
Je veux une coëffure, en dépit de la mode,
Sous qui toute ma tête ait un abri commode;
Un bon pourpoint bien long, & fermé comme il faut,
Qui, pour bien digérer, tienne l'eftomach chaud;
Un haut-de-chauffes fait justement pour ma cuiffe ;
Des fouliers où mes pieds ne foient point au fupplice,
Ainsi qu'en ont usé fagement nos ayeux :

Et qui me trouve mal, n'a qu'à fermer les yeux.

SCENE II.

LEONOR, ISABELLE, LISETTE, ARISTE & SGANARELLE parlant bas enfemble fur le devant du théatre, fans être apperçûs.

JE

LEONOR à Isabelle.

E me charge de tout, en cas que l'on vous gronde.
LISETTE à Isabelle.

Toujours dans une chambre à ne point voir le monde?

Ti eft ainsi bâti.

ISABELLE.

LEONOR.

Je vous en plains, ma fœur.
LISETTE à Léonor.

Bien vous prend que fon frere ait toute une autre humeur,
Madame, & le deftin vous fut bien favorable,
En vous faisant tomber aux mains du raisonnable.
ISABELLE.

C'est un miracle encor qu'il ne m'ait aujourd'hui
Enfermée à la clef, ou menée avec lui.

LISETTE.

Ma foi, je l'envoyerois au diable avec sa fraize,
Et...

SGANARELLE heurté par Lifette.

Où donc allez-vous, qu'il ne vous en déplaise?

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