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Mais il veut prévenir, dit-on, cette journée
Qui doit à votre fort unir ma destinée.

SGANARELLE.

Voilà qui ne vaut rien.

ISABELLE.

Oh! que pardonnez-moi!

C'est un fort honnête-homme, & qui ne fent pour moi...

SGANARELLE.

Il a tort; & ceci passe la raillerie.

ISABELLE.

'Allez, votre douceur entretient fa folie:
S'il vous eût vâ tantôt lui parler vertement,
Il craindroit vos transports & mon reffentiment;
Car c'est encor depuis fa lettre méprisée,
Qu'il a dit ce deffein qui m'a scandalisée;
Et fon amour conferve, ainsi que je l'ai fçû,
La croyance qu'il eft dans mon cœur bien reçû,
Que je fuis votre hymen quoique le monde en croye,
Et me verrois tirer de vos mains avec joye.

SGANARELLE.

Il eft fou.

ISABELLE.

Devant vous il fçait se déguiser,

Et fon intention eft de vous amufer.

Croyez par ces beaux mots que le traître vous jouë,
Je suis bien malheureuse, il faut que je l'avouë,
Qu'avecque tous mes foins pour vivre dans l'honneur,
Et rebuter les vœux d'un lâche fuborneur,

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Il faille être expofée aux fâcheuses surprises

De voir faire fur moi d'infames entreprises.

SGANARELLE.

Va, ne redoute rien.

ISABELLE.

Pour moi, je vous le di

Si vous n'éclatez fort contre un trait fi hardi,
Et ne trouvez bientôt moyen de me défaire
Des perfécutions d'un pareil téméraire,
J'abandonnerai tout & renonce à l'ennui
De fouffrir les affronts que je reçois de lui.
SGANARELLE.

Ne t'afflige point tant; va, ma petite femme,
Je m'en vais le trouver, & lui chanter sa gamme.
ISABELLE.

fa

Dites-lui bien au moins qu'il le nieroit envain,
Que c'eft de bonne part qu'on m'a dit fon dessein;
Et qu'après cet avis, quoiqu'il puiffe entreprendre,
J'ofe le défier de me pouvoir furprendre ;

Enfin, que, fans plus perdre & foupirs & momens
Il doit fçavoir pour vous quels font mes fentimens ;
fi d'un malheur il ne veut être cause,

Et que,
Il ne fe faffe pas deux fois dire une chose.

SGANARELLE.

ISABELLE.

Je dirai ce qu'il faut.

Mais tout cela, d'un ton

Qui marque que mon cœur lui parle tout de bon.

SGANARELLE.

Va, je n'oublierai rien, je t'en donne affûrance.

ISABELLE.

J'attends votre retour avec impatience;

Hâtez-le, s'il vous plaît, de tout votre pouvoir.
Je languis quand je fuis un moment fans vous voir.
SGANARELLE.

Va, pouponne, mon cœur, je reviens tout à l'heure.

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SCENE XII.
SGANARELLE feul.

St-il une perfonne, & plus fage & meilleure?
Ah! que je fuis heureux & que j'ai de plaifir
De trouver une femme au gré de mon désir!

Oui, voilà comme il faut que les femmes soient faites ;
Et non, comme j'en fçais, de ces franches coquettes
Qui s'en laiffent conter, & font dans tout Paris
Montrer au bout du doigt leurs honnêtes maris.
[Il frappe à la porte de Valere.]

Hola, notre galant aux belles entreprises.

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Comment?

VALERE.

SGANARELLE.

Vous fçavez bien de quoi je veux parler. Je vous croyois plus fage, à ne vous rien celer. Vous venez m'amufer de vos belles paroles, Et confervez fous-main des espérances folles, Voyez-vous, j'ai voulu doucement vous traiter, Mais vous m'obligerez à la fin d'éclater.

N'avez-vous point de honte, étant ce que vous êtes,
De faire en votre esprit les projets que vous faites?
De prétendre enlever une fille d'honneur,

Et troubler un hymen qui fait tout fon bonheur?
VALERE.

Qui vous a dit, monfieur, cette étrange nouvelle?
SGANARELLE.

Ne diffimulons point, je la tiens d'Isabelle
Qui vous mande par moi, pour la derniére fois,
Qu'elle vous a fait voir affez quel est son choix,
Que fon cœur, tout à moi, d'un tel projet s'offenfe,
Qu'elle mourroit plûtôt qu'en fouffrir l'infolence;
Et que vous cauferez de terribles éclats,

Si vous ne mettez fin à tout cet embarras.

VALERE.

S'il eft vray qu'elle ait dit ce que je viens d'entendre,
J'avouerai que mes feux n'ont plus rien à prétendre;
Par ces mots affez clairs je vois tout terminé,
Et je dois révérer l'arrêt qu'elle a donné.

SGANARELLE.

Si? Vous en doutez donc, & prenez pour des feintes
Tout ce que de fa part je vous ai fait de plaintes?
Voulez-vous qu'elle-même elle explique fon cœur?
J'y confens volontiers pour vous tirer d'erreur.
Suivez-moi, vous verrez s'il eft rien que j'avance,
Et fi fon jeune cœur entre nous deux balance.
[Il va frapper à fa porte.]

SCENE XIV.

ISABELLE, SGANARELLE,
VALERE, ERGASTE.

ISABELLE.

Uoi! vous me l'amenez ? Quel eft votre deffein?

QUoil vous me ? Quel votre

Prenez-vous contre moi ses intérêts en main? Et voulez-vous, charmé de ses rares mérites, M'obliger à l'aimer, & souffrir ses visites?

SGANARELLE.

Non, ma mie, & ton cœur pour cela m'est trop cher:
Mais il prend mes avis pour des contes en l'air,
Croit que c'eft moi qui parle, & te fais, par adresse;
Pleine pour lui de haine, & pour moi de tendresse;
Et par toi-même enfin j'ai voulu, fans retour,
Le tirer d'une erreur qui nourrit fon amour,
ISABELLE à Valere.

Quoi! mon ame à vos yeux ne se montre pas toute,
Et de mes vœux encor vous pouvez être en doute?

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