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Et cent fois j'ai maudit cette innocente envie
Qui m'a pris à dîné de voir la comédie,
Où, penfant m'égayer, j'ai miférablement
Trouvé de mes péchés le rude châtiment.
Il faut que je te faffe un recit de l'affaire,
Car je m'en fens encor tout émû de colére.
J'étois fur le théatre en humeur d'écouter
La piéce, qu'à plufieurs j'avois oui vanter,
Les acteurs commençoient, chacun prêtoit silence ;
Lorsque, d'un air bruyant & plein d'extravagance,
Un homme à grands canons eft entré brusquement
En criant, holà-ho, un fiége, promtement,
Et de fon grand fracas furprenant l'affemblée,
Dans le plus bel endroit a la piéce troublée.
Hé, mon Dieu! nos françois, fi fouvent redreffés
Ne prendront-ils jamais un air de gens sensés,
Ai-je dit, & faut-il, fur nos défauts extrêmes,
Qu'en théatre public nous nous jouïons nous-mêmes,
Et confirmions ainfi, par des éclats de foux,

Ce

que chez nos voisins on dit par tout de nous?
Tandis que là-dessus je haussois les épaules,
Les acteurs ont voulu continuer leurs rôles;
Mais l'homme pour s'affeoir a fait nouveaux fracas,
Et traverfant encor le théatre à grands pas,
Bien que dans les côtés il pût être à son aise,
Au milieu du devant il a planté sa chaife,
Et, de fon large dos morguant les fpectateurs,
Aux trois quarts du parterre a caché les acteurs.

Un bruit s'eft élevé, dont un autre eût eu honte; Mais lui ferme & conftant n'en a fait aucun compte, Et fe feroit tenu comme il s'étoit posé,

Si, pour mon infortune, il ne m'eût avisé.

Ah! Marquis, m'a-t-il dit, prenant près de moi place,
Comment te portes-tu? Souffre que je t'embrafse.
Au visage, fur l'heure, un rouge m'eft monté,
Que l'on me vît connu d'un pareil éventé.

Je l'étois peu pourtant; mais on en voit paroître,
De ces gens qui de rien veulent fort vous connoître,
Dont il faut au falut les baifers effuyer,

Et qui font familiers jufqu'à vous tutoyer.
Il m'a fait à l'abord cent questions frivoles,
Plus haut que les acteurs élevant fes paroles.
Chacun le maudiffoit, & moi, pour l'arrêter,
Je ferois, ai-je dit, bien aife d'écouter.

Tu n'as point vû ceci, Marquis? Ah! Diéu me damne,
Je le trouve affez drôle, & je n'y fuis pas âne;
Je sçais par quelles loix un ouvrage est parfait,
Et Corneille me vient lire tout ce qu'il fait.
Là-dessus de la piéce il m'a fait un sommaire,
Scene à scene averti de ce qui s'alloit faire,
Et jufques à des vers qu'il en fçavoit par cœur,
Il me les récitoit tout haut avant l'acteur.
J'avois beau m'en défendre, il a pouffé fa chance,
Et s'eft devers la fin levé long-tems d'avance;
Car les gens du bel air, pour agir galamment,
Se gardent bien, fur tout, d'oüir le dénouement.

Je rendois grace au Ciel, & croyois de justice,
Qu'avec la comédie eût fini mon fupplice :
Mais, comme si c'en eût été trop bon marché,

Sur nouveaux frais mon homme à moi s'eft attaché,
M'a conté fes exploits, fes vertus non communes,
Parlé de fes chevaux, de fes bonnes fortunes,
Et de ce qu'à la cour il avoit de faveur,
Difant, qu'à m'y fervir il s'offroit de grand cœur.
Je le remerciois doucement de la tête,
Minutant à tous coups quelque retraite honnête;
Mais lui, pour le quitter me voyant ébranlé,
Sortons, ce m'a-t-il dit, le monde est écoulé :
Et fortis de ce lieu, me la donnant plus féche,
Marquis, allons au cours faire voir ma caléché,
Elle est bien entenduë, & plus d'un duc & pair
En fait à mon faifeur faire une du même air.
Moi de lui rendre grace, & pour mieux m'en défendre,
De dire que j'avois certain repas à rendre.

Ah! parbleu, j'en veux être, étant de tes amis,
Et manque au maréchal à qui j'avois promis.
De la chere, ai-je dit, la doze eft trop peu forte
Pour ofer y prier des gens de votre forte.
Non, m'a-t-il répondu, je fuis fans compliment,
Et j'y vais pour caufer avec toi feulement;
Je fuis des grands repas fatigué, je te jure :
Mais fi l'on vous attend, ai-je dit, c'eft injure.
Tu te moques, Marquis, nous nous connoiffons tous;
Et je trouve avec toi des passe-tems plus doux.

Je

Je peftois contre moi, l'ame trifte & confuse
Du funefte fuccès qu'avoit eu mon excuse,
Et ne fçavois à quoi je devois recourir,
Pour fortir d'une peine à me faire mourir;
Lorfqu'un caroffe fait de fuperbe maniére,
Et comblé de laquais, & devant & derriére,
S'eft avec un grand bruit devant nous arrêté ;
D'où fautant un jeune homme amplement ajusté,
Mon importun & lui courant à l'embraffade
Ont furpris les paffans de leur brusque incartade;
Et tandis que tous deux étoient précipités
Dans les convulfions de leurs civilités,
Je me fuis doucement efquivé fans rien dire ;
Non fans avoir long-tems gémi d'un tel martyre,
Et maudit le fâcheux, dont le zéle obstiné
M'ôtoit au rendez-vous qui m'eft ici donné.

LA MONTAGNE.

Ce font chagrins mêlés aux plaisirs de la vie.
Tout ne va pas, monsieur, au gré de notre envie,
Le Ciel veut qu'ici bas chacun ait ses fâcheux,
Et les hommes feroient fans cela trop heureux.
ERASTE.

Mais de tous mes fâcheux, le plus fâcheux encore
C'eft Damis, le tuteur de celle que j'adore,
Qui rompt ce qu'à mes vœux elle donne d'efpoir,
Et malgré fes bontés lui défend de me voir.

Tome II.

A a

Je crains d'avoir déjà passé l'heure promise,

Et c'eft dans cette allée où devoit être Orphise.
LA MONTAGNE.

L'heure d'un rendez-vous d'ordinaire s'étend,
Et n'eft pas refferrée aux bornes d'un instant.
ERASTE.

Il eft vray; mais je tremble, & mon amour extrême
D'un rien fe fait un crime envers celle que j'aime.
LA MONTAGNE.

Si ce parfait amour, que vous prouvez fi bien,
Se fait vers votre objet un grand crime de rien,
Ce
que fon cœur pour vous sent de feux légitimes,
En revanche, lui fait un rien de tous vos crimes.

ERASTE..

Mais, tout de bon, crois-tu que je fois d'elle aimé? LA MONTAGNE.

Quoi! Vous doutez encor d'un amour confirmé?
ERASTE.

Ah! c'eft mal-aifément qu'en pareille matiére,
Un cœur bien enflammé prend affûrance entiére.
Il craint de fe flater, &, dans fes divers foins,
Ce que plus il fouhaite, eft ce qu'il croit le moins:
Mais fongeons à trouver une beauté fi rare.

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