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Et goûtât-on cent fois un bonheur tout parfait,

On n'en eft pas content, fi quelqu'un ne le sçait.
Vous prendrez part, je pense, à l'heur de mes affaires.
Adieu. Je vais songer aux chofes nécessaires.

Q

SCENE VII.

ARNOLPHE feul.

Uoi! L'aftre qui s'obstine à me désespérer, Ne me donnera pas le tems de respirer? Coup fur coup je verrai, par leur intelligence, De mes foins vigilans confondre la prudence, Et je ferai la duppe, en ma maturité, D'une jeune innocente, & d'un jeune éventé? En fage philofophe, on m'a vû vingt années Contempler des maris les tristes destinées, Et m'inftruire avec foin de tous les accidens Qui font dans le malheur tomber les plus prudens : Des difgraces d'autrui profitant dans mon ame, J'ai cherché les moyens, voulant prendre une femme, De pouvoir garantir mon front de tous affronts, Et le tirer de pair d'avec les autres fronts: Pour ce noble deffein j'ai crû mettre en pratique Tout ce que peut trouver l'humaine politique; Et, comme fi du fort il étoit arrêté

Que nul homme ici bas n'en feroit exemté,

Après l'expérience, & toutes les lumiéres
Que j'ai pû m'acquérir fur de telles matiéres,
Après vingt ans & plus de méditation
Pour me conduire en tout avec précaution,
De tant d'autres maris j'aurois quitté la trace
Pour me trouver après dans la même disgrace?
Ah! Bourreau de deftin, vous en aurez menti.
De l'objet qu'on poursuit, je fuis encor nanti ;
Si fon cœur m'eft volé par ce blondin funeste,
J'empêcherai du moins qu'on s'empare du reste,
Et cette nuit, qu'on prend pour ce galant exploit,
Ne fe paffera pas fi doucement qu'on croit.
Ce m'eft quelque plaifir, parmi tant de trifteffe,
Que l'on me donne avis du piége qu'on me dresse,
Et que cet étourdi, qui veut m'être fatal,
Fasse son confident de fon propre rival.

SCENE VIII.

CHRISALDE, ARNOLPHE.

CHRISALDE.

É bien? Souperons-nous avant la promenade?

ARNOLPHE.

Non. Je jeûne ce foir.

D'où vient cette boutade?

CHRISALDE.

ARNOLPHE.

De grace, excufez-moi, j'ai quelqu'autre embarras,

CHRISALDE.

Votre hymen réfolu ne se fera-t-il pas ?

ARNOLPHE.

C'est trop s'inquiéter des affaires des autres.

CHRISALDE.

Oh, oh! Si brufquement! Quels chagrins font les vôtres ?
Seroit-il point, compere, à votre passion,
Arrivé quelque peu de tribulation?

Je le jurerois presque à voir votre visage.

ARNOLPHE.

Quoiqu'il m'arrive, au moins aurai-je l'avantage
De ne pas reffembler à de certaines gens,
Qui fouffrent doucement l'approche des galans,
CHRISALDE.

C'est un étrange fait qu'avec tant de lumiéres,
Vous vous effarouchiez toujours fur ces matiéres,
Qu'en cela vous mettiez le fouverain bonheur,
Et ne conceviez point au monde d'autre honneur,
Etre avare, brutal, fourbe, méchant & lâche,
N'est rien, à votre avis, auprès de cette tache;
Et, de quelque façon qu'on puiffe avoir vêcu,
On eft homme d'honneur, quand on n'eft point cocu.
A le bien prendre au fonds, pourquoi voulez-vous croire
Que de ce cas fortuit dépende notre gloire,
Et qu'une ame bien née ait à fe reprocher
L'injustice d'un mal qu'on ne peut empêcher?

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Pourquoi voulez-vous, dis-je, en prenant une femme,
Qu'on foit digne à fon choix de louange ou de blâme,
Et qu'on s'aille former un monftre plein d'effroi,
De l'affront que nous fait fon manquement de foi?
Mettez-vous dans l'efprit qu'on peut du cocuage
Se faire en galant homme une plus douce image,
Que, des coups du hazard aucun n'étant garant,
Cet accident de foi doit être indifférént,
Et qu'enfin tout le mal, quoique le monde glose,
N'est que dans la façon de recevoir la chofe;
Et, pour se bien conduire en ces difficultés,
Il y faut, comme en tout, fuir les extrémités,
N'imiter pas ces gens un peu trop débonnaires
Qui tirent vanité de ces fortes d'affaires,
De leurs femmes toujours vont citant les galans,
En font par tout l'éloge, & prônent leurs talens,
Témoignent avec eux d'étroites fympathies,
Sont de tous leurs cadeaux, de toutes leurs parties,
Et font qu'avec raison les gens font étonnés
De voir leur hardieffe à montrer là leur néz.
Ce procedé fans doute eft tout-à-fait blâmable;
Mais l'autre extrémité n'eft pas moins condamnable.
Si je n'approuve pas ces amis des galans,
Je ne fuis pas auffi pour ces gens turbulens
Dont l'imprudent chagrin, qui tempête & qui gronde,
Attire au bruit qu'il fait, les yeux de tout le monde,
Et qui, par cet éclat, femblent ne pas vouloir
Qu'aucun puiffe ignorer ce qu'ils peuvent avoir.

Entre ces deux partis, il en eft un honnête,

Où, dans l'occasion, l'homme prudent s'arrête;

Et, quand on le fçait prendre, on n'a point à rougir
Du pis dont une femme avec nous puiffe agir.
Quoiqu'on en puiffe dire enfin, le cocuage
Sous des traits moins affreux aifément s'envisage,
Et, comme je vous dis, toute l'habileté
Ne va qu'à le fçavoir tourner du bon côté.
ARNOLPHE.

Après ce beau difcours, toute la confrairie
Doit un remerciment à votre seigneurie;
Et quiconque voudra vous entendre parler,
Montrera de la joye à s'y voir enrôler.

CHRISALDE.

Je ne dis pas cela; car c'eft ce que je blâme:
Mais, comme c'eft le fort qui nous donne une femme,
Je dis que l'on doit faire ainfi qu'au jeu de dez,
Où, s'il ne vous vient pas ce que vous demandez,
Il faut jouer d'adreffe, &, d'une ame réduite,
Corriger le hazard par la bonne conduite.

ARNOLPHE.

C'est-à-dire dormir & manger toujours bien,"
Et fe perfuader que tout cela n'eft rien.

CHRISALDE

Vous pensez vous moquer: mais, à ne vous rien feindre,
Dans le monde je vois cent chofes plus à craindre,
Et dont je me ferois un bien plus grand malheur,
Que de cet accident qui vous fait tant de peur.

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