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D. ELVIRE.

Voilà donc le fujet qui vous trouble l'esprit ?
D. GARCIE.

Vous ne rougiffez pas en voyant cet écrit ?
D. ELVIRE.

L'innocence à rougir n'eft point accoûtumée.
D. GARCIE.

Il eft vrai qu'en ces lieux on la voit opprimée.
Ce billet démenti pour n'avoir point de seing...
D. ELVIRE.

Pourquoi le démentir, puisqu'il eft de ma main ?
D. GARCIE.

Encore eft-ce beaucoup que, de franchise pure,
Vous demeuriez d'accord que c'est votre écriture;
Mais ce fera fans doute, & j'en ferois garant,
Un billet qu'on envoye à quelque indifférent;
Ou du moins, ce qu'il a de tendreffe évidente,
Sera pour une amie, ou pour quelque parente.

D. ELVIRE.

Non, c'eft pour un amant que ma main l'a formé, Et, j'ajoute de plus, pour un amant aimé.

D. GARCIE.

Et je puis, ô perfide...

D. ELVIRE.

Arrêtez, Prince indigne,

De ce lâche transport l'égarement infigne.

Bien

que de vous mon cœur ne prenne point de loi, Et ne doive en ces lieux aucun compte qu'à foi,

Je veux bien me purger, pour votre seul fupplice,
Du crime que m'impose un infolent caprice.
Vous ferez éclairci, n'en doutez nullement.
J'ai ma défense prête en ce même moment.
Vous allez recevoir une pleine lumiére.
Món innocence ici paroîtra toute entiére;
Et je veux, vous mettant juge en votre interêt,
Vous faire prononcer vous-même votre arrêt.

D. GARCIE.

Ce font propos obfcurs qu'on ne fçauroit comprendre.
D. ELVIRE.

Bientôt à vos dépens vous me pourrez entendre.
Elife, hola.

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Si

par un feul coup d'œil, ou gefte qui l'inftruise, Je cherche de ce coup à parer la surprise.

[à Elife.]

Le

Le billet que tantôt ma main avoit tracé,
Répondez promptement, où l'avez-vous laiffé?

ELISE.

Madame, j'ai fujet de m'avouer coupable.
Je ne fçais comme il eft demeuré fur ma table;
Mais on vient de m'apprendre en ce même moment
Que Dom Lope, venant dans mon appartement,
Par une liberté qu'on lui voit se permettre,
fe

A fureté par tout, & trouvé cette lettre.
Comme il la déplioit, Léonor a voulu
S'en faifir promptement, avant qu'il eût rien lû;
Et, fe jettant fur lui, la lettre contestée

En deux juftes moitiés dans leurs mains est restée,
Et Dom Lope auffi-tôt prenant un promt effor,
A dérobé la fienne aux foins de Léonor.

D. ELVIRE.

Avez-vous ici l'autre?

[à D. Garcie.]

ELISE.

Oui, la voilà, Madame.

D. ELVIRE.

Donnez. Nous allons voir qui mérite le blâme.
Avec votre moitié rassemblez celle-ci,
Lifez, & hautement; je veux l'entendre auffi.

D. GARCIE.

Au prince Dom Garcie. Ah!

D. ELVIRE.

Achevez de lire;

E

Votre ame pour ce mot ne doit pas s'interdire.

Tome II.

D. GARCIE lit.

Quoique votre rival, Prince, alarme votre ame,
Vous devez toutefois vous craindre plus que lui,
Et vous avez en vous à détruire aujourd'hui
L'obftacle le plus grand que trouve votre flâme.
Je chéris tendrement ce qu'a fait Dom Garcie
Pour me tirer des mains de nos fiers raviffeurs,
Son amour, fes devoirs ont pour moi des douceurs;
Mais il m'eft odieux avec sa jalousie.
Otez donc à vos feux ce qu'ils en font paroître,
Méritez les regards que l'on jette fur eux ;
Et lorsqu'on vous oblige à vous tenir heureux,
Ne vous obftinez point à ne pas vouloir l'être,

D. ELVIRE.

Hé bien, que dites-vous?

D. GARCIE.

Ah Madame, je dis

Qu'à cet objet mes fens demeurent interdits;

Que je vois dans ma plainte une horrible injustice,
Et qu'il n'eft point pour moi d'affez cruel fupplice.
D. ELVIRE.

Il fuffit. Apprenez que fi j'ai fouhaité

Qu'à vos yeux cet écrit pût être présenté,

C'eft pour le démentir, & cent fois me dédire
De tout ce que pour vous vous y venez de lire.
Adieu, Prince.

D. GARCIE.

Madame, hélas! où fuyez-vous?

D. ELVIRE.

Où vous ne ferez point, trop odieux jaloux.
D. GARCIE.

Ah! Madame, excufez un amant misérable
Qu'un fort prodigieux a fait vers vous coupable,
Et qui, bien qu'il vous cause un courroux si puissant,
Eût été plus blâmable à refter innocent.

Car enfin, peut-il être une ame bien atteinte
Dont l'espoir le plus doux ne foit mêlé de crainte?
Et pourriez-vous penfer que mon cœur eût aimé,
Si ce billet fatal ne l'eût point alarmé?

S'il n'avoit point frémi des coups de cette foudre,
Dont je me figurois tout mon bonheur en poudre?
Vous même, dites-moi, fi cet événement

N'eût pas dans mon erreur jetté tout autre amant;
Si d'une preuve, hélas ! qui me fembloit fi claire
Je pouvois démentir...

D. ELVIRE.

2

Oui, vous le pouviez faire

Et dans mes fentimens affez bien déclarés

Vos doutes rencontroient des garans affûrés;

Vous n'aviez rien à craindre, & d'autres fur ce gage
Auroient du monde entier bravé le témoignage.
D. GARCIE.

Moins on mérite un bien qu'on nous fait efpérer,
Plus notre ame a de peine à pouvoir s'affûrer.

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