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J'aurois tort de vouloir démentir votre vûë,
Et votre ame fans doute a dû paroître émûë.

D. GARCIE.

Et n'eft-ce pas...

D. ELVIRE.

Encore un peu d'attention,

Et vous allez fçavoir ma réfolution.

Il faut que de nous deux le deftin s'accompliffe;
Vous êtes maintenant fur un grand précipice,
Et ce que votre cœur pourra déliberer

Va vous y faire cheoir, ou bien vous en tirer.
Si, malgré cet objet qui vous a pû surprendre,
Prince, vous me rendez ce que vous devez rendre,
Et ne demandez point d'autre preuve que moi
Pour condamner l'erreur du trouble où je vous voi:
Si de vos fentimens la promte déférence,
Veut fur ma feule foi croire mon innocence,
Et de tous vos foupçons démentir le crédit
Pour croire aveuglément ce que mon cœur vous dit,
Cette foumiffion, cette marque d'eftime
Du paffé dans ce cœur efface tout le crime;
Je rétracte, à l'inftant, ce qu'un jufte courroux
M'a fait dans la chaleur prononcer contre vous,
Et, fi je puis un jour choisir ma destinée,

Sans choquer les devoirs du rang où je fuis née,
Mon honneur, fatisfait par ce respect foudain,
Promet à votre amour, & mes vœux,
& ma main:

Mais prêtez bien l'oreille à ce que je vais dire.
Si cette offre fur vous obtient fi peu d'empire,
Que vous me refusiez de me faire entre nous
Un facrifice entier de vos foupçons jaloux;
S'il ne vous fuffit pas de toute l'affûrance

Que vous peuvent donner mon cœur, & ma naiffance;
Et que de votre efprit les ombrages puissans
Forcent mon innocence à convaincre vos fens,
Et porter à vos yeux l'éclatant témoignage
D'une vertu fincére à qui l'on fait outrage;
Je fuis prête à le faire, & vous ferez content:
Mais il vous faut de moi détacher à l'instant,
A mes vœux, pour jamais, renoncer de vous-même;
Et j'attefte du Ciel la puiffance fuprême

Que, quoi que le destin puisse ordonner de nous,
Je choisirai plûtôt d'être à la mort qu'à vous.
Voilà dans ces deux choix de quoi vous fatisfaire;
Avisez maintenant celui qui peut vous plaire,

D. GARCIE.

Jufte Ciel! jamais rien peut-il être inventé
Avec plus d'artifice, & de déloyauté ?
Tout ce que des enfers la malice étudie
A-t-il rien de fi noir que cette perfidie?
Et peut-elle trouver dans toute fa rigueur
Un plus cruel moyen d'embarrasser un cœur?
Ah! que vous fçavez bien ici contre moi-même,
Ingrate, vous fervir de ma foibleffe extrême,

Et

Et ménager pour vous l'effort prodigieux

De ce fatal amour né de vos traîtres yeux!

Parce qu'on eft furprise, & qu'on manque d'excuse
D'une offre de pardon on emprunte la ruse:
Votre feinte douceur forge un amusement
Pour divertir l'effet de mon reffentiment;

Et, par
le nœud fubtil du choix qu'elle embarraffe,
Veut fouftraire un perfide au coup qui le menace.
Oui, vos dextérités veulent me détourner

D'un éclaircissement qui vous doit condamner;
Et votre ame, feignant une innocence entiére,
Ne s'offre à m'en donner une pleine lumiére
Qu'à des conditions, qu'après d'ardens fouhaits
Vous penfez que mon cœur n'acceptera jamais ;
Mais vous ferez trompée en me croyant furprendre.
Oui, oui, je prétends voir ce qui doit vous défendre
Et quel fameux prodige, accufant ma fureur,
Peut de ce que j'ai vâ juftifier l'horreur.

D. ELVIRE.

Songez que par ce choix vous allez vous prescrire
De ne plus rien prétendre au cœur de Done Elvire,
D. GARCIE.

Soit, je foufcris à tout, & mes vœux auffi bien,
En l'état où je fuis, ne prétendent plus rien.
D. ELVIRE.

Vous vous repentirez de l'éclat que vous faites.
D. GARCIE.

Non, non, tous ces difcours font de vaines défaites,

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Et c'eft moi bien plûtôt qui dois vous avertir
Que quelqu'autre dans peu fe pourra repentir;
Le traître, quel qu'il soit,'n'aura pas l'avantage
De dérober fa vie à l'effort de ma rage.
D. ELVIRE.

'Ah! c'eft trop en fouffrir, & mon cœur irrité
Ne doit plus conserver une fotte bonté;
Abandonnons l'ingrat à son propre caprice,

Et puifqu'il veut périr, confentons qu'il périffe.
Elife. [à Dom Garcie.] A cet éclat vous voulez me forcer,
Mais je vous apprendrai que c'eft trop m'offenfer.

SCENE IX.

D. ELVIRE, D. GARCIE, ELISE, D. ALVAR.

D. ELVIRE à Elife.

Aites un peu fortir la perfonne chérie....

Faites un peu fortir

Allez, vous m'entendez, dites que je l'en prie.

Et je puis...

D. GARCIE.

D. ELVIRE.

Attendez, vous ferez fatisfait.

ELISE à part en fortant.

Voici de fon jaloux fans doute un nouveau trait.
D. ELVIRE.

Prenez garde qu'au moins cette noble colére,
Dans la même fierté jufqu'au bout persévére;

Et fur tout déformais fongez bien à quel prix
Vous avez voulu voir vos foupçons éclaircis.

SCENE X.

D. ELVIRE, D. GARCIE, D. IGNES déguifée en homme, ELISE, D. ALVAR. D. ELVIRE à D. Garcie, en lui montrant D. Ignés.

Voici, graces au Ciel, ce qui les a fait naître

Ces foupçons obligeans que l'on me fait paroître ; Voyez bien ce visage, &, fi de Done Ignés Vos yeux au même instant n'y connoiffent les traits. D. GARCIE.

O Ciel!

D. ELVIRE.

Si la fureur, dont votre ame eft émûë,
Vous trouble jufques-là l'usage de la vûë,
Vous avez d'autres yeux à pouvoir confulter,
Qui ne vous laifferont aucun lieu de douter.
Sa mort est une adreffe au befoin inventée
Pour fuir l'autorité qui l'a perfécutée:
Et, fous un tel habit, elle cachoit fon fort
Pour mieux jouir du fruit de cette feinte mort.
[à Done Ignés.]

Madame, pardonnez, s'il faut que je consente
A trahir vos fecrets, & tromper votre attente;
Je me vois expofée à fa témérité,

Toutes mes actions n'ont plus de liberté,

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