J'aurois tort de vouloir démentir votre vûë, Et votre ame fans doute a dû paroître émûë.
D. ELVIRE.
Encore un peu d'attention,
Et vous allez fçavoir ma réfolution.
Il faut que de nous deux le deftin s'accompliffe; Vous êtes maintenant fur un grand précipice, Et ce que votre cœur pourra déliberer
Va vous y faire cheoir, ou bien vous en tirer. Si, malgré cet objet qui vous a pû surprendre, Prince, vous me rendez ce que vous devez rendre, Et ne demandez point d'autre preuve que moi Pour condamner l'erreur du trouble où je vous voi: Si de vos fentimens la promte déférence, Veut fur ma feule foi croire mon innocence, Et de tous vos foupçons démentir le crédit Pour croire aveuglément ce que mon cœur vous dit, Cette foumiffion, cette marque d'eftime Du paffé dans ce cœur efface tout le crime; Je rétracte, à l'inftant, ce qu'un jufte courroux M'a fait dans la chaleur prononcer contre vous, Et, fi je puis un jour choisir ma destinée,
Sans choquer les devoirs du rang où je fuis née, Mon honneur, fatisfait par ce respect foudain, Promet à votre amour, & mes vœux, & ma main:
Mais prêtez bien l'oreille à ce que je vais dire. Si cette offre fur vous obtient fi peu d'empire, Que vous me refusiez de me faire entre nous Un facrifice entier de vos foupçons jaloux; S'il ne vous fuffit pas de toute l'affûrance
Que vous peuvent donner mon cœur, & ma naiffance; Et que de votre efprit les ombrages puissans Forcent mon innocence à convaincre vos fens, Et porter à vos yeux l'éclatant témoignage D'une vertu fincére à qui l'on fait outrage; Je fuis prête à le faire, & vous ferez content: Mais il vous faut de moi détacher à l'instant, A mes vœux, pour jamais, renoncer de vous-même; Et j'attefte du Ciel la puiffance fuprême
Que, quoi que le destin puisse ordonner de nous, Je choisirai plûtôt d'être à la mort qu'à vous. Voilà dans ces deux choix de quoi vous fatisfaire; Avisez maintenant celui qui peut vous plaire,
Jufte Ciel! jamais rien peut-il être inventé Avec plus d'artifice, & de déloyauté ? Tout ce que des enfers la malice étudie A-t-il rien de fi noir que cette perfidie? Et peut-elle trouver dans toute fa rigueur Un plus cruel moyen d'embarrasser un cœur? Ah! que vous fçavez bien ici contre moi-même, Ingrate, vous fervir de ma foibleffe extrême,
Et ménager pour vous l'effort prodigieux
De ce fatal amour né de vos traîtres yeux!
Parce qu'on eft furprise, & qu'on manque d'excuse D'une offre de pardon on emprunte la ruse: Votre feinte douceur forge un amusement Pour divertir l'effet de mon reffentiment;
Et, par le nœud fubtil du choix qu'elle embarraffe, Veut fouftraire un perfide au coup qui le menace. Oui, vos dextérités veulent me détourner
D'un éclaircissement qui vous doit condamner; Et votre ame, feignant une innocence entiére, Ne s'offre à m'en donner une pleine lumiére Qu'à des conditions, qu'après d'ardens fouhaits Vous penfez que mon cœur n'acceptera jamais ; Mais vous ferez trompée en me croyant furprendre. Oui, oui, je prétends voir ce qui doit vous défendre Et quel fameux prodige, accufant ma fureur, Peut de ce que j'ai vâ juftifier l'horreur.
Songez que par ce choix vous allez vous prescrire De ne plus rien prétendre au cœur de Done Elvire, D. GARCIE.
Soit, je foufcris à tout, & mes vœux auffi bien, En l'état où je fuis, ne prétendent plus rien. D. ELVIRE.
Vous vous repentirez de l'éclat que vous faites. D. GARCIE.
Non, non, tous ces difcours font de vaines défaites,
Et c'eft moi bien plûtôt qui dois vous avertir Que quelqu'autre dans peu fe pourra repentir; Le traître, quel qu'il soit,'n'aura pas l'avantage De dérober fa vie à l'effort de ma rage. D. ELVIRE.
'Ah! c'eft trop en fouffrir, & mon cœur irrité Ne doit plus conserver une fotte bonté; Abandonnons l'ingrat à son propre caprice,
Et puifqu'il veut périr, confentons qu'il périffe. Elife. [à Dom Garcie.] A cet éclat vous voulez me forcer, Mais je vous apprendrai que c'eft trop m'offenfer.
D. ELVIRE, D. GARCIE, ELISE, D. ALVAR.
D. ELVIRE à Elife.
Aites un peu fortir la perfonne chérie....
Faites un peu fortir
Allez, vous m'entendez, dites que je l'en prie.
D. ELVIRE.
Attendez, vous ferez fatisfait.
ELISE à part en fortant.
Voici de fon jaloux fans doute un nouveau trait. D. ELVIRE.
Prenez garde qu'au moins cette noble colére, Dans la même fierté jufqu'au bout persévére;
Et fur tout déformais fongez bien à quel prix Vous avez voulu voir vos foupçons éclaircis.
D. ELVIRE, D. GARCIE, D. IGNES déguifée en homme, ELISE, D. ALVAR. D. ELVIRE à D. Garcie, en lui montrant D. Ignés.
Voici, graces au Ciel, ce qui les a fait naître
Ces foupçons obligeans que l'on me fait paroître ; Voyez bien ce visage, &, fi de Done Ignés Vos yeux au même instant n'y connoiffent les traits. D. GARCIE.
Si la fureur, dont votre ame eft émûë, Vous trouble jufques-là l'usage de la vûë, Vous avez d'autres yeux à pouvoir confulter, Qui ne vous laifferont aucun lieu de douter. Sa mort est une adreffe au befoin inventée Pour fuir l'autorité qui l'a perfécutée: Et, fous un tel habit, elle cachoit fon fort Pour mieux jouir du fruit de cette feinte mort. [à Done Ignés.]
Madame, pardonnez, s'il faut que je consente A trahir vos fecrets, & tromper votre attente; Je me vois expofée à fa témérité,
Toutes mes actions n'ont plus de liberté,
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