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avec vivacité; plusieurs fois même, ils se présentèrent franchement bord à bord avec leurs adversaires, qui, profitant du mouvement de la vague, lorsqu'elle découvrait la carène entière des vaisseaux turcs à leur artillerie, y causaient de grands dommages. Enfin, ceux-ci se trouvant, après un engagement de deux heures, dans l'impossibilité de résister, se jetèrent dans leurs embarcations pour se sauver à terre, en mettant le feu aux navires qu'ils montaient. Un grand nombre se noyèrent en cherchant à gagner la terre; les blessés devinrent la proie des flammes, et les Grecs restés maîtres du champ de bataille, ayant aussitôt repêché les canons des vaisseaux ennemis, les embarquèrent, en faisant retentir la plage des cris mille fois répétés de: Victoire à la croix.

Les barbares, qui abordaient en cet instant à la côte d'Asie, n'eurent pas plus tôt repris haleine, qu'ils fondirent sur les paysans grecs, occupés aux travaux des champs, et égorgèrent tous ceux qu'ils purent atteindre. Puis, prenant la direction de Scala Nova, ils entrèrent dans cette ville, pour y signaler leur rage de nouveaux massacres; et ils seraient sans doute retournés à Smyrne, si le capitan pacha ne se fût empressé de les embarquer.

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Cependant il ne résolvait rien et sa flotte, enchaîla frayeur, divinité non moins puissante que celle qui retenait l'armée d'Agamemnon au port d'Aulis, restait tranquille spectatrice du désastre de ses convois. Envain les vents propices s'élevaient en sa faveur, quand deux brûlots lancés par les Grecs, le cinq sep

tembre, étant arrivés, quoique sans succès, jusque sous sa poupe, il se décida à appareiller. Le six, il faisait route vers la Morée; car les insurgés ayant donné le signal de dispersion, le bruit se répandit å Smyrne qu'ils avaient pris la fuite devant la flotte ottomane. Cette manoeuvre aurait été raisonnable, mais il n'en était pas ainsi; car les Turcs naviguant dans un ordre serré, presque toujours beaupré sur poupe, attestèrent que la crainte était de leur côté. Ils agirent avec la même réserve, lorsqu'ils s'approchèrent de Coron et de Modon, qu'ils ravitaillèrent, et jusqu'à Zante, où ils mouillèrent le quatorze Septembre, à six heures et demie du soir, au nombre de trente-quatre voiles.

Pendant ce temps, les vaisseaux grecs de Psara cinglaient vers Cypre, dans l'intention de secourir leurs frères, qui tombaient chaque jour sous le glaive des Asiatiques. Une affreuse anarchie dévorait cette île, naguères si paisible. Les firmans obtenus à la sollicitation de la légation de France à Constantinople, qui devaient y rétablir l'ordre, n'avaient pas été écoutés; le coupable visir qu'on devait destituer, avait été maintenu dans ses fonctions à l'époque du renouvellement des barats, qui a lieu après le baïram. Les villages étaient déserts; les récoltes se trouvaient abandonnées sur le terrain; les Grecs, réduits au désespoir, allaient être poussés à la révolte; les Turcs indigènes s'exaspéraient; les troupes étrangères attendaient avec impatience le signal ou le prétexte de quelques insurrections, quand la gabare française la

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Lionne, commandée par le capitaine Ferrand, arriva pour sauver encore une fois Larnaca d'une ruine qui semblait inévitable.

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Le consul du Roi, M. Méchain, ( car toutes les sentinelles perdues de la diplomatie de S. M. T. C. se couvrirent de gloire dans ces jours désastreux), avait seul fait tête à l'orage. Il aurait sans doute succombé, car le commandant ture de la ville, l'aga des janissaires, et le trésorier, étaient inscrits sur les listes de proscription du pacha. Leur crime était de s'être montrés favorables aux chrétiens, en dérobant plusieurs d'entre eux à la mort; tous les Européens ou Francs devaient périr, et Larnaca aurait été abandonnée au pillage des soldats étrangers. Ainsi ce fut encore à la marine du roi très-chrétien, que tant d'infortunés durent leur salut. L'histoire ajoutera que la sollicitude de Louis XVIII veillait, du sein de sa capitale, sur toutes les victimes désignées, en les faisant non-seulement couvrir de son pavillon, mais en songeant à leurs besoins, car des milliers de rations de biscuit furent envoyées de Toulon, et mises à la disposition de l'amiral Halgan, pour nourrir une foule de malheureux, que la faim, à défaut du fer des barbares, aurait moissonnés : une pareille charité est préférable aux plus beaux triomphes.

Le navarque grec, apprenant ce qui était arrivé en Cypre, changea de résolution. Son apparition n'aurait pu qu'y ranimer la fureur des mahométans; il ordonna même aux croiseurs d'abandonner les stations qu'ils tenaient, en se contentant d'engager les

Samiens à recommencer à faire des descentes sur le continent, pour obliger les Asiatiques qui se trouvaient en Cypre, d'accourir à la défense de leur pays. Il savait d'ailleurs que les Syriens seraient bientôt rappelés de cette île; le pacha de Saint-Jean d'Acre, qui les avait expédiés, se trouvant dans une mésintelligence telle avec le gouvernement du sultan, que tout annonçait une guerre civile en Palestine.

Je ne dirai point ici quel zèle inconsidéré a fait expulser nos missions de Jérusalem. Protégées, ainsi que les pèlerins de l'occident, par les capitulations de nos rois, une femme veilla long-temps avec sollicitude sur ces privilèges qu'elle défendit avec zèle. Elle ne descendait ni du sang des Luzignans, ni de celui des Fatimites. Ce n'était pas une de ces filles privilégiées de la providence, telles que la bergère de Nanterre ou la vierge de Vaucouleurs, ni même une illustre solitaire telle que la nièce de Pitt, lady Stanhope, qui remplit maintenant de l'éclat de son nom le désert de Damas. La postérité épique n'en fera ni une Armide, ni une autre Zaïre; car son nom n'a rien de romantique; madame Grénouillot femme d'un tambour de la neuvième demi-brigade, capturée pendant l'expédition des Français en Syrie en 1799, était passée de la caserne au harem du pacha de Jérusalem, qui n'avait pas dédaigné de lui donner sa main et l'empire sur les odalisques de son bercail. J'ignore si elle renonça à son dieu, mais je puis assurer qu'elle resta toujours française de cœur. Elle avait été le constant appui des chrétiens latins jusqu'en 1815, temps où

son second époux, promu à une préfecture militaire voisine de l'Euphrate, quitta Jérusalem. Depuis cette époque, la France perdit dans la Palestine ses privilèges historiques. Des indiscrétions relativement à je ne sais quelles cérémonies ambitieuses qu'on pratiquait dans la chapelle consacrée au dieu d'humilité, les intrigues de quelques drogmans du Phanal, causèrent l'affliction des ministres de l'église d'occident.

Retirés la plupart dans un monastère du mont Carmel, ils y attendaient le retour des jours de grace, quand le fougueux pacha de Saint-Jean d'Acre, Suleyman frère d'armes d'Aboulouboud pacha, qu'on verra figurer dans les troubles de la Macédoine, osa attenter à cet asyle catholique. En vain le consul de France, M. Ruffin, essaya de le couvrir de la protection de nos rois; le visir, qui prétendait que les Grecs pouvaient s'en emparer et en faire une forteresse, ordonna de le démolir. Le consul dut s'embarquer; et le pacha de Ptolémaïs, sans être inquiété pour ce méfait, déclarant ses sentiments, venait de rompre avec la Sublime Porte. Il avait retiré ses troupes de l'île de Cypre; et le navarque grec informé de cet évènement, déployant aussitôt ses voiles, cingla vers le Péloponèse, où il rejoignit l'escadre grecque.

Les Grecs Ioniens, juges compétents de la politique britannique, qui ne considéra jamais le bien de l'humanité comme but, mais comme moyen jusque dans ses actions de haute philanthropie, avaient eu le pressentiment des événements qui commençaient à s'expliquer. Dès le 14 août les agents de l'Angleterre

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