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Cyrille, évêque d'Égine et des îles du golfe de Saros, en prit occasion pour rappeler aux Grecs leurs devoirs envers la patrie. Ministre du Tout-Puissant, il n'eut point recours aux artifices de l'éloquence pour enflammer les fidèles. Simple comme la vérité, il annonça au peuple qu'une flotte turque, plus formidable que celle qui avait abordé à Lesbos, montee par le capitan pacha Kara Ali en personne, se Alien trouvait aux Dardanelles. Son projet était d'attaquer Samos; et la teneur du firman, daté de l'étrier impérial du Tartare usurpateur de la couronne des Constantins, portait: que tous les Samiens au-dessus de l'âge de huit ans seraient passés au fil de l'épée (1). A ces mots, un cri unanime se fit entendre sous les portiques et dans le temple du Seigneur : levez-vous, vents de la vengeance à la voile, Hydriotes! partons.

Tout était préparé depuis plusieurs jours pour mettre une seconde division navale en mer; et les éléments, d'accord avec les vœux des marins, les ayant favorisés, les vaisseaux qu'ils montaient se réunirent dès le lendemain aux escadres combinées de l'Archipel.

Un pareil empressement était bien opposé aux nouvelles répandues à Smyrne, où la calomnie représentait les Grecs consternés et en proie aux discordes civiles. Ils avaient assassiné, disait-on, leurs amiraux. Le sénat d'Hydra était sous le joug de la populace.

(1) Spectateur Oriental, no 13, col. 5.

Les marins de Spetzia exigeaient trois mois de solde avant de s'embarquer; les riches armateurs songeaient à quitter un sol volcanisé; les Moraïtes étaient indignés de ce que le frère d'Hypsilantis ne leur avait apporté, au lieu de trésors, que son manteau et son épée; Ali pacha de Janina, qu'on préférait au plus pur sang des chrétiens, était réconcilié avec le sultan. A ces mensonges imprimés le journal turc de Smyrne ajoutait de lâches insinuations contre la probité des insurgés, qu'il rendait suspects de piraterie; tant il est vrai qu'il n'y a rien de sacré pour la plume empoisonnée du méchant (1)! Mais les Grecs allaient répondre à l'injure par des martyres et des triomphes inouis. Un homme de bien, député de l'Europe civilisée, venait d'arriver dans les mers de la Grèce, pour être spectateur de la gloire des Hellènes, et rendre témoignage de la vérité.

L'amiral Halgan, dont la réputation nationale ne peut être comparée qu'à sa modestie et aux nobles qualités de son cœur, était le modérateur, sans peur et sans reproche, que la Majesté du Roi Très chrétien avait envoyé, pour faire respecter son pavillon, au milieu des Grecs et des barbares, qui se trouvaient engagés dans une guerre atroce. L'ambition de ce chef était toute pour la gloire du descendant au guste d'Henri IV, et sa passion dominante ne respirait que l'amour de l'humanité. Homme de mer et Français, l'équité lui prescrivait une sévère neutralité entre les

(1) Id. col. 5 et 6.

parties belligérantes, sans lui défendre de compatir au malheur, quelle que fût la condition de ceux qu'il frappait. Il connaissait les hommes et les choses, par une campagne qu'il avait faite en 1817 dans le levant. Il avait prévu les évènements, et son œil pénétrant lui fit juger sa position. Il savait l'affront fait à à notre pavillon par les Turcs, dans l'affaire du bâtiment Sarde, que les lois divines et humaines prescrivaient de protéger. Mais le mal était sans remède; et dès qu'il eut établi son quartier-général à bord de la frégate la Guerrière, il entra dans ces mers nouvellement illustrées par les Hellènes vainqueurs à Sygrium et à Mycale.

La Grèce, qui pouvait déja se vanter de quelques beaux faits d'armes, était à la veille de plus grands évènements. La persécution, favorable à sa cause, venait de lui donner de nouveaux défenseurs. La Crète, soumise au gouvernement militaire le plus inhumain, opprimée par des agas, sans la permission desquels aucun Grec ne pouvait se marier, ni sortir de son canton, où les populations asservies étaient solidaires en masse des fautes particulières, ce qui n'empêchait pas la spécialité des peines afflictives, ni les vengeances individuelles des dominateurs, venait d'arborer l'étendard de la croix. Pendant tout le mois de juin, les Turcs Candiotes, (espèce la plus féroce de l'empire ottoman), qui habitent les places fortes situées au septentrion de l'île, avaient assassiné une foule de chrétiens, pendu plusieurs ecclésiastiques, profané des églises, lorsqu'après un massacre considérable de

Grecs, qui eut lieu à la Canée le 24 du même mois, les barbares se crurent assez forts de la terreur qu'ils inspiraient, pour sommer les peuplades du midi de l'île de livrer leurs armes.

Une pareille demande devait exaspérer les habitants du mont Ida, qui ont vu passer, Romains, Vandales, Sarrazins, Génois, Vénitiens et Turcs, sans avoir soumis leur tête au joug de l'esclavage. Sujets de la Porte, après les désastres qu'ils éprouvèrent en 1770 (1), les montagnards n'avaient jamais payé d'autre redevance que les provisions de glace et de neige nécessaires à la sensualité des Turcs de Rhétymos et de la Canée. Chaque hiver ils fournissaient quelques sacs des marrons renommés qu'on récolte dans les monts Blancs, comme une redevance d'hommage au sérail du sultan; mais livrer leurs armes était un affront que les femmes même des Sphaciotes n'auraient pu entendre sans frémir d'indignation.

Le territoire de Sphakia, dans l'île de Candie, est, de temps immémorial, libre et autonome ou régi par ses lois. Ses habitants, établis au penchant méridional du mont Ida, que les modernes appellent Monts blancs, à cause de ses neiges presque perpétuelles, ont un port situé sur la mer d'Afrique, les navigateurs trouvent après avoir reconnu deux

que

(1) Soulevés et abandonnés à cette époque par les Russes qui les sacrifièrent, les Turcs, au nombre de quinze mille, étant parvenus à pénétrer dans leurs montagnes, les obligèrent à reconnaître l'autorité du sultan.

îles nommées Gozzo di Candia, en portant le cap au nord demi-quart est pendant dix milles.

La ville ou bourgade de Sphakia n'est éloignée, par terre, de Rhétymos on Rhétymne que de quelques lieues, et c'est au diaphragme escarpé du mont Ida, qui coupe l'île dans son grand diamètre, à ses ravins, à ses éboulements, que les Sphaciotes étaient redevables d'être restés presque libres, comme les Crétois, leurs ancêtres, dont ils ont conservé le courage, la force et l'usage de danser armés, ainsi que celui de s'expatrier pour servir à l'étranger. Nous avons fait connaître précédemment la valeur de ceux qui noururent avec tant de gloire au combat de Skullen sur le Pruth. Ainsi, dès que les gérontes ou vieillards de Sphakia connurent les desseins des Turcs, ils députèrent vers les Abadiotes, leurs voisins, avec lesquels ils n'eurent pas de peine à s'entendre pour terminer à l'amiable quelques-uns de ces différends ordinaires aux nomades, qui sont accoutumés à vider leurs querelles particulières en famille.

1

Cette autre peuplade, issue d'une colonie militaire que les Sarrazins envoyèrent, dit-on, dans le neuvième siècle, en Candie, sous la conduite d'un chéik nommé Abadia, s'y est perpétuée jusqu'à nos jours, en conservant la religion primitive de Mahomet, qui est un pur déisme. Cependant, comme il est probable que les néophytes du prophète ne renoncèrent pas tout à coup au sabéïsme, on remarque parmi les Abadiotes quelques traces du culte ancien des astres, qui fut l'idolatrie, presque naturelle, des hommes,

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