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pour faire échouer l'entreprise la mieux calculée, si le vice-amiral n'avait été en rapport parfait d'ignorance avec ceux qu'il commandait.

C'était une des créatures du capitan pacha Kara Ali, qui était resté en arrière pour organiser une seconde escadre, avec laquelle il devait rejoindre son protégé à Mitylène, où le rendez-vous était fixé. Après avoir louvoyé pendant quinze jours sur la Propontide et l'Hellespont, les argonautes du croissant, dont les joyeux entrétiens roulaient, chaque jour,sur le plaisir d'incendier les vaisseaux grecs, de dévaster les îles, et de rapporter des cargaisons de têtes, mouillèrent aux Dardanelles. Le sultan les croyait, comme on l'a su depuis, déja arrivés à Mitylène; et, l'œil fixé sur les mers, il en attendait des nouvelles, lorsqu'il apprit que ses braves étaient encore à peu près aux portes de la capitale. Ils s'étaient, au demeurant, signalés à leur premier attérage, en égorgeant une soixantaine d'artisans grecs, domiciliés dans la ville asiatique des Dardanelles. Ils avaient ensuite pillé des maisons, des églises; brûlé et saccagé le village de Maito, situé de l'autre côté du détroit; mais, à cela près, ce n'était rien, puisqu'il n'avait péri que des chrétiens, pourvu qu'on remît en mer. L'ordre leur en fut de nouveau expédié par un bateau fin voilier, qui ne les quitta qu'après leur avoir vu doubler le cap Sigée.

Le grand Imam avait predit aux mahométans : que les infidèles baisseraient pavillon à l'aspect du croissant. On cinglait, dans cette confiance vers Imbros, lorsqu'on découvrit l'avant-garde de l'escadre

grecque, courant bord sur bord, avec l'étendard de la croix déployé. La tenue de ces petits navires, leur marche rapide, la précision des manoeuvres qu'ils exécutèrent autour des citadelles flottantes des barbares, commencèrent à leur faire baisser le ton. Cependant les Grecs prirent chasse; et les Turcs, ayant continué leur route vers Ténédos, aperçurent bientôt une autre division chrétienne, qui s'éloigna comme la première à leur approche. Mais, en fuyant ainsi, les bâtiments des insurgés semblaient se multiplier et sortir, comme autant de divinités menaçantes, du sein des ondes, de sorte que les Osmanlis, qui les avaient observés depuis le cap Sigée, arrivèrent estés par soixante-dix bricks, à Lesbos. Leur escadre, si fière de sa supériorité, lorsqu'elle était au mouillage des Dardanelles, entra précipitamment dans la rade d'Euripe, que les modernes appellent le Port des oliviers, sans oser brûler une amorce contre l'ennemi, qui ne cessa pas de naviguer dans ses eaux.

que

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Une pareille audace consterna les Turcs qui n'appelaient les insulaires du nom de taouchans, ou lièvres; et tremblants comme ces animaux timides, ils étaient vaincus d'avance. A les entendre, ils n'avaient pas 'mis en mer pour se battre, mais pour assassiner des hommes qu'on leur avait représentés riches et sans défense. Bientôt les murmures succédèrent à la crainte; et les équipages se plaignirent de l'imprudence de leurs chefs, qui les avaient trompés. Ceux-ci, qui ne devaient leurs commandements qu'à des intrigues de sérail, n'étaient pas moins in

quiets; car ils s'attendaient à chaque instant à être brûlés dans la rade où ils se trouvaient; sans considérer qu'avec les superbes vaisseaux qu'ils montaient, il suffisait d'appareiller, pour obliger les Grecs à prendre la fuite.

Les Hydriotes le savaient. Ils connaissaient l'insuffisance de leurs moyens pour attaquer l'ennemi; mais ils comptaient sur la présomptueuse ignorance des Ottomans, qu'ils épiaient, afin de profiter de leurs fautes. Dans le cas où ils voudraient tenir la mer, une tempête, une mauvaise manœuvre, les mettait à leur discrétion; et s'ils restaient au mouillage, ils avaient pourvu aux moyens de les anéantir. Dix-huit navires transformés en brûlots (¿paíovia) (1),

(1) Les brûlots grecs, suivant ce que j'ai appris du capitaine Philippe Jourdain, sont différents de ceux qui ont été employés jusqu'ici dans la marine.

Ce sont de vieux bâtiments remplis de matières inflammables, telles que poudre, roche à feu pulvérisée répandue dans le bâtiment. Les cordages sont couverts d'étoupes trempées dans un mélange de roche à feu, de salpêtre, de camphre, d'huile de pétrole, de lin, d'esprit de vin, etc., etc. Des conducteurs sont établis de l'entrepont à ces cordages, de manière que le feu puisse se communiquer de suite à toutes les parties du grément. Des coulisses sont placées dans l'intérieur du navire, pour porter le feu dans toutes ses parties; et une de ces coulisses, communiquant aux autres, vient aboutir à une des fenêtres du bâtiment, à l'arrière. Un échafaudage est placé près des fenêtres, en dehors; c'est sur ce banc de quart que se place le capitaine, pour embraser le brûlot; et son canot, avec l'équipage, est tout prêt à le recevoir aussitôt qu'il y

chargés de matières inflammables et de projectiles incendiaires, leur assuraient la victoire. On avait fait choix d'hommes déterminés pour les lancer. On avait l'œil au vent, on soupirait après le moment d'attaquer l'ennemi, dont on ne connaissait pas encore tout le découragement et les amiraux grecs, qui étaient, Jacques Tombazis, Panagiotis Botadzès, Kallandroutzis et Hadgi Anargyris, au lieu d'exciter leurs marins, ne s'occupaient qu'à modérer leur ardeur.

C'étaient des pères qui commandaient en famille, à des enfants soumis à leurs ordres, parmi lesquels on ne remarquait qu'une volonté. Chefs et matelots servaient le même dieu, parlaient une langue commune, étaient animés d'un sentiment unanime, celui de vaincre ou de mourir pour la patrie. Quel contraste avec l'armée ottomane! Elle venait, après de longues contestations, de débarquer trois mille hommes, que le vice-amiral avait logés dans la ville capitale, de manière à s'y préparer une retraite, en cas de revers. On avait en conséquence placé chaque famille grecque dans un réduit, situé entre deux maisons, qu'on avait fait occuper par des soldats mahométans;

a mis le feu.. Le capitaine, qui est toujours choisi parmi les meilleurs matelots, observe, avant le coucher du soleil, le vaisseau qu'il veut brûler, et pendant la nuit il dirige et conduit le brûlot sur l'ennemi. Lorsque la proue est engagée dans les agrès, le feu ayant été mis à temps, le capitaine s'embarque dans son canot et va avec son équipage se rallier à un bâtiment qui l'attend.

et après avoir désarmé tous les Lesbiens, on tint un conseil de guerre, pour aviser aux moyens de se tirer . du mauvais pas dans lequel on s'était engagé.

L'escadre ottomane, qui se composait de cinq vaisseaux de ligné, quatre frégates, et d'autant de corvettes, n'osant pas tenir la mer, le conseil résolut dans sa sagesse : d'expédier un vaisseau de haut bord à Constantinople, pour prier le capitan pacha de venir au secours des navires de Sa Hautesse, réfugiés dans la rade d'Euripe de l'île de Mitylène. Comme les Grecs s'étaient retirés depuis quelques jours vers les parages de Samos, afin de donner la tentation aux Turcs de sortir, on trouva sans peine un officier mahométan assez déterminé pour risquer la traversée jusqu'aux Dardanelles. Il pouvait faire ce trajet dans moins de vingt-quatre heures; et le capitaine auquel cet honneur échut en partage, ayant mis à la voile, avec un vaisseau de soixante-quatorze canons, monté par neuf cent cinquante marins, fut très - rassuré de trouver la mer libre devant lui. Pas une seule voile suspecte ne se montrait dans le détroit, ni sur le golfe d'Adramytte; il voguait à pleines voiles vers le promontoire Lectum, il touchait aux attérages de l'Asie mineure, lorsque quatre bricks hydriotes, cachés au milieu des Hécatonèses, parurent, en manœuvrant sur le cap d'Antissa.

Le capitaine turc les aperçoit, et, le vent changeant subitement, il veut revenir au port qu'il vient de quitter. Il range la côte septentrionale de Lesbos au plus près, il donne à pleines voiles dans le port Si

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