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S'il n'étoit arrêté par le frein de la crainte

Préférons donc le Parthe; il mérite l'honneur
D'unir à nos efforts fon bras & fa valeur.
L'infortuné Craffus apprit à la connoître :
Le Parthe eft notre émule, & notre égal
peut-être.

L'or ni les vains plaisirs ne l'amolliffent pas ;
Sa parure eft le fer, fes jeux font les combats.
L'arc dont il eft armé, les traits de fon visage,
Tout, jufqu'à fes courfiers, eft terrible &
fauvage.

Lui feul par fes affauts peut compter ses exploits,

Et Bactre & Babylone ont fléchi fous fes loix. Ces Guerriers affranchis de la frayeur com

mune

Osèrent d'Alexandre affronter la fortune.
Il couroit ravageant l'Univers éperdu;
Ce torrent, devant eux, s'arrêta fufpendur.
Eh! que ne puis-je moins compter fur leur
courage !

Je fçais qu'entr'eux & nous le deftin fe partage;

Et l'appui d'un rival n'eft que trop dangereux.
Mais fi d'un fugitif ils rejettent les vœux,
Sur moi-même du fort s'ils puniffent le crime

Je mourrai, de ma gloire honorable victime, Libre, loin des regards du Tyran que je hais, Et fans m'être abaiffé fous des Rois que j'ai faits.

O Rome, applaudis-moi! puiffent les Arfacides

Tomber, couverts du fang de tes enfans perfides!

Ils ferviront ta gloire, ou vainqueurs ou vaincus ;

S'ils ne vengent Pompée, ils vengeront Craffusi

Ce morceau bien fait, bien écrit, doit donner l'idée la plus avantageufe du talent de M. le Chevalier de Laurès. Toutes les idées en font bien liées bien fondues; le mètre eft harmonieux & varié, & le Traducteur a employé des images de la première beauté qui ne font point dans le latin :

Mendier les fecours d'un enfant couronné.... Ce torrent devant eux s'arrêta suspendu.......

Ces deux beaux vers appartiennent entièrement au nouveau Traducteur :

Et fans m'être abaiffé fous des Rois que j'ai faits.

Je préférerois cette dernière ver fion: mais il me femble qu'aucun des deux Poëtes françois n'a rendu toute la beauté de l'image de Lucain qui confifte à reprétenter d'un côté les Dieux favorifant le vainqueur, & de l'autre Caton feul du parti du vaincu. Le vers célèbre au fujet de Céfar:

Nil actum reputans,fi quid fupereffet agenduna n'eft pas plus heureusement imité: 'Ardent dans fes travaux, & toujours fatisfait, S'ils ne font achevés, il croit n'avoir rien fait.

Un vers de rempliffage pour amener le vers principal; d'ailleurs, ce n'est point exactement la penfée de Lucain. Chacun de fes travaux peut être achevé féparément.

Vous vous rappellez les fameux vers de Brébeuff r l'écriture inventée par les Phéniciens.

C'est de lui que nous vient cet Art ingénieux; De peindre la parole & de parler aux yeux ; Et par les traits divers de figures tracées, Donner de la couleur & du corps aux pensées,

Voici ceux de M. le Chevalier de

Laurès:

C'est à toi qu'il eft dû cet Art officieux,
De fixer la parole en la peignant aux yeux;
A peine auparavant fur le marbre tracée,
Une image groffière ébauchoit la pensée.

Le latin dit feulement que les Phé niciens ont tenté les premiers de figu rer & de fixer la parole par des caractères: manfuram rudibus vocem fignare figuris. Ainfi il paroît que c'eft moins contre Lucain que contre Brébeuf que le nouveau Traducteur a voulu lutter en cet endroit. Il eft vifible qu'il lui doit jufqu'à la tournure & aux rimes de ces quatre vers qui n'auroient jamais été faits de cette manière fans les premiers. Quoi qu'il en foit, le deuxième vers de M. le Chevalier de Laurès,

De fixer la parole en la peignant aux yeux, me paroît furpaffer celui de Brébeuf; qui eft peut-être plus fpirituel, mais auffi plus recherché, Parler aux yeux n'eft pas dans le latin.

Voyons maintenant ce que M. de

Eft auffi un très-beau vers, quoique le dernier hémistiche foit dans Brébeuf. Ce Poëte a dit, il faut chercher la mort :

'Au lieu de mettre encor l'appui de mes pro jets,

Dans l'amour inconftant des Princes que j'ai faits.

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Ces deux vers font déteftables. On doit favoir gré à M. de Laurès d'en avoir tiré la feule beauté qui s'y trouvoit beauté dont Brebeuf luimême ne s'eft peut-être pas douté, & qu'il avoit fi mal mife en oeuvre que vraisemblablement perfonne ne l'auroit jamais apperçue..

Autre paffage fupérieurement rendu par M. de Laurès, & même bien plus beau que dans Lucain. Le Poëte fup pofe que l'aftre du jour ne fe lève qu'à regret pour éclairer un fi grand défaftre

Bluit déja ce jour qui n'eut jamais dû naître... Il luit, mais à regret le Soleil contristé Retarde en pâliffant fon tribut de clarté

Il rallentit fon char; il n'avance qu'à peine;

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