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»ribles, & prennent le nom de chré» tiens. Autant que je pus découvrir, pendant le peu de temps que je féjournai chez eux, en parlant ma » langue & les faifant auffi inter>> roger en Turc, qu'ils entendent » communément, ils ne fçavent ni » le pater ni le credo & ne con» noiffent point les principaux myf»tères de la religion : ils me dirent » que leur Prêtre ne fait jamais aucune » inftruction au peuple ni aux enfans » parce que chaque père eft chargé » de l'inftruction des fiens : ils me pa» rurent d'ailleurs fort bonnes gens ».

Dans un bourg de la Bulgarie nommé Cofligga compofé d'environ deux cens mailons Chrétiennes & trente Turques, le Papa ou Prêtre Grec rendit vifite aux voyageurs; fon ignorance étoit extraordinaire. Le Père Bofcowich avoit entre les mains un Suétone orné de portraits des Empereurs: ce Prêtre lui demanda ce que c'étoit que ces figures, &, fur ce qu'on lui répondit que c'étoient les portraits des Empereurs Romains: ah, répliqua-t-il, le portrait de Conftantinople! il ne con

noiffoit pas d'autre Empereur. Il n'avoit pas la plus légère notion de Rome, du Pape, de controverfes; il demanda s'il y avoit des Prêtres à Rome.

Les voyageurs arrivent dans lá Moldavie. C'eft uné Province toute Chrétienne gouvernée par un Prince Grec qui eft choifi par la Porte. Aucun Turc ne peut y exercer un emploi public. Jaffy en eft la capitale; c'eft auffi la réfidence Grecque. Elle eft fous la dépendance du Patriarche fchif matique de Conftantinople. Il y a cependant dans quelques endroits des églifes catholiques qui font fous la protection de la Pologne. Aux environs de Vaflui, qui eft un affez gros village, le Père Bofcowich apperçut un homme à cheval, qui, à la vue de l'Ambaffadeur & de fa fuite, fe mit à galoper fur la pente d'une colline. Un de leurs Janiffaires courut après lui à toutes jambes, mais ne put l'atteindre. » Je demandai, dit le Père »Bofcowich, la raifon de la fuite de » cet homme; on me dit que c'étoit » fans doute un pauvre voyageur qui, pour conferver fon cheval, étoit » obligé de prendre ce parti; on a

dans toute la Moldavie la barbare » coutume de s'emparer, pour le fer»vice public, de tout ce que l'on » rencontre, fans nul égard & fans » rien payer, foit boeufs, foit boeufs, chariots, » & chevaux ; on les ôte aux payfans » dans les villages, & aux voya» geurs dans les grands chemins, » fuffent-ils même étrangers, exer»çant de cette manière envers eux » le plus injufte defpotifme: fi on » avoit joint ce pauvre homme, on » l'auroit contraint à donner fon » cheval, & de fe contenter en » échange du plus mauvais & du plus » fatigué de ceux qui nous fervoient, » & de nous fuivre jufqu'à ce que » nous n'euffions plus befoin du fien, » lequel on lui auroit remis, fuppofé » qu'il ne fût pas crevé en chemin. »

On lit dans ce Voyage une defcription curieufe de la Moldavie. Cette Province eft actuellement peuplée d'environ cent foixante mille home mes, fans y comprendre les femmes & les enfans. Elle étoit autrefois in dépendante & avoit fes propres Sou

verains. » Elle gémit aujourd'hui fous » le joug de la tyrarnie Ottomane, » quoiqu'elle ne foit pas gouvernée » immédiatement par les Turcs : tant » dans ce pays qu'en Valachie le Grand » Seigneur nomme les Princes, qu'il a le pouvoir de révoquer quand il » lui plaît, & même avant que l'année » foit révolue, fans autre guide que

fon caprice & l'intérêt de fes Mi»niftres. Il est vrai qu'il ne fçauroit y » placer qu'un Prince Chrétien, & » qu'il ne peut rien toucher à la Reli

gion, puifqu'il ne fçauroit donner » le moindre emploi à un Musulman; »& dans le fait il n'y a aucun Turc » établi dans le pays, à l'exception de » quelques négocians qui y ont des » boutiques, ou qui vont & viennent » pour leurs affaires.

» Ce Prince eft choifi entre les » Grecs, fujets de la Porte, qui, d'une » condition prefque fervile dans la» quelle ils gémiffent à Conftanti»nople, paffent en ce pays au pou»voir fouverain, & à des charges de » grande autorité & fort lucratives, » C'est pourquoi ils fe font entr'eux

une guerre cruelle, en gagnant fous » mains les Miniftres par des fommes. » d'argent exorbitantes, qui ne font » cependant rien, comparées à celles » qu'on paye légitimement à la Porte, » foit pour le Grand Seigneur, foit » pour fes Miniftres. Ils font à cet » effet de gros emprunts à vingt & » trente pour cent d'intérêt, pour » les emplacer par des violences & >> par des extorfions incroyables, qui font cependant pour l'ordinaire in» fuffifantes; parce qu'à peine un » Prince eft il nommé & a pris pof» feffion de fa place, qu'on cabale » pour le faire révoquer; ce qui ar»rive fouvent même au milieu de » l'année, & fur-tout au moment où »il eft d'ufage de le confirmer, c'est

à-dire tous les ans ; il arrive même » auffi que, peu de mois après fon » exaltation, ou du moins au bout de »l'année, un Prince eft dépofé & » même relégué dans quelqu'ile de » l'Archipel & mis en prifon pour » dettes. Il est vrai que dans ces der»niers temps on a eu attention de ne » dépofer les Princes qu'à l'époque

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