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» d'elle même, ne furprit un mouve » ment de fon ame, n'eut part dans » aucune de fes actions ». Ce morceau n'étoit-il pas digne de trouver place dans un Ouvrage où l'on fe proposoit de faire paffer dans notre langue Toutes les beautés de Lucain?

Il est encore d'autres endroits dont on regrette de ne pas voir l'imitation; par exemple, l'énumération des préfages avant la bataille de Pharfale, M. le Chevalier de Laurès n'en a rapporté que deux ou trois. Un plus grand nombre n'auroit fervi qu'à aug. menter la terreur que doit infpirer l'attente de ce grand événement. Le récit de ces fortes de prodiges eft déplacé dans l'Hiftoire; mais il me femble très-bien s'adapter à la nature du Poëme Epique.

Dans l'original, le matin même de la bataille, Céfar, à la vue de l'armée ennemie héfite pendant quelques inftans, & doute du fuccès de fes armes. Ce fentiment eft vrai & dans la nature, & il n'eft pas du nombre de ceux que M. le Chevalier de Laurès a eu raifon de fupprimer. Il

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paroit fur-tout ne pas goûter tout ce qui a rapport à Caton dans la Pharfale. Vous avez vu qu'il a omis fon portrait: il n'a pas retranché en entier, mais il atrop élagué, je crois, la réponse fublime de ce grand homme à Labienus qui lui confeille de confulter l'Oracle de Jupiter Ammon. » Que » veux-tu, lui dit-il, que je demande? » Si j'aime mieux mourir libre les » armes à la main que de vivre fous » un Tyran; fi cette vie n'eft que le » retardement d'une vie heureufe & » durable; s'il y a quelque force au » monde qui puiffe nuire à l'homme » de bien; fi la fortune perd fes me»naces quand elle s'attaque à la » vertu; s'il fuffit de vouloir ce qui » eft louable, & fi le fuccès ajoute à » ce qui eft honnête: nous fçavons » tout cela, & Ammon lui-même ne » le graveroit pas plus profondément » dans nos coeurs. Nous fommes tous dans la main des Dieux; & que » leur Oracle fe taife, ce n'est pas » moins leur volonté que nous accompliffons. La Divinité n'a pas befoin de paroles: celui qui nous

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» a fait naître nous dit quand nous » naiffons tout ce que nous devons » fçavoir. Il n'a pas choifi des fables sté» riles pour ne s'y communiquer qu'à » un petit nombre d'hommes: ce n'est

point dans cette pouffière qu'il a » caché la vérité. La Divinité a-t-elle » d'autre demeure que la terre, l'onde, » le Ciel & le coeur de l'homme juste ? » Pourquoi chercher fi loin les Dieux? » Jupiter est tout ce que tu vois, tout » ce que tu fens en toi-même. Que » ceux qui dans un avenir douteux » portent une ame irréfolue aient » befoin d'interroger le Sort: pour » moi, ce n'eft point la certitude des » Oracles qui me raffure, mais la » certitude de la mort. Timide ou » courageux, il faut que l'homme » meure. Voilà ce que Jupiter a dit » & c'eft affez ». Cette réponse fi fublime, fi philofophique, & telle qu'il y en a peu à lui comparer dans toute l'Antiquité, eft à peine remarquable chez M. le Chevalier de Laurès, Voici tout ce qu'il en a tiré :

Quelle erreur de chercher au fond de ces deferts,

H

Cet efprit infini qui remplit l'Univers!
Dans un Temple infenfible eft-ce à lui de fe
plaire ?

L'ame de l'homme jufte eft fon vrai fanctuaire.
Il ne fe cache pas dans ces fables brûlans ;
Le père des humains parle à tous fes enfans;
Il eft, il vit en nous; qu'a-t-il besoin d'or-
gane?

Ne nous y dit-il pas ce qu'il loue ou condamne?

Eh! que lui demander fi nous bravons la

mort?

Qui la préfère aux fers eft au-deffus du Sort. La vertu fe fuffit & ne craint point d'obstacle; Confultons notre cœur, c'est le plus sûr

oracle.

L'Episode d'Antée qui combat avec Hercule, qui reprend des forces toutes les fois qu'il touche à la terre, & que le Héros eft obligé d'étouffer en l'air entre fes bras, eft encore une des fictions dont on regrettera le retranchement, comme étant un des plus convenables à la Poëfie, & des plus propres à rompre la monotonie du récit hiftorique.

Il me reste à vous parler, Monfieur, de ce que M. le Chevalier de Laurès a ajouté à Lucain pour faire une forte de compenfation avec ce qu'il lui a ôté. Ceux qui refufent le titre de Poëte Epique à cet Auteur, fe fondent principalement fur ce qu'il n'a fait aucun ufage du merveilleux, & la Pharfale leur paroît moins un Poëme qu'une Gazette mife en vers. M. de Laurès a tâché de fuppléer à ce défaut, &,à mesure qu'il en trouve l'occafion, il fait apparoître à fes différens perfonnages tantôt Tarquin, tantôt Neptune, tantôt la Liberté, la Fortune, le Cahos, &c. Mais jamais tous ces êtres vrais ou métaphyfiques n'influent fur les événemens du Poëme; ils paroiffent pour le feul plaifir de paroître, & leur intervention ne fert qu'à jetter à chaque fois vingt ou trente vers de plus. dans l'ouvrage.

Les rapprochemens & les obfervations que je viens de mettre fous vos. yeux, doivent fixer, Monfieur, votre jugement fur le travail de M. le Chevalier de Laurès. S'il y a des négli gences dans fon Ouvrage, vous avez

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