LETTRE XIL

Lettre fur feu M. Morand, adreffée aux différentes Académies du Royaume & des Pays étrangers dont il étoit Membre; par M. Morand fon fils, Docteur en Médecine de la Faculté de Paris de l'Académie Royale des - Sciences, &c, &c.

C'ETOIT bien mon dessein de vous annoncer, Monfieur, la perte que nous avons faite, le Public & moi, du célèbre M. Morand, lui d'un Chirurgien du premier ordre, moi d'un véritable ami. J'avois demandé, pour m'acquitter de l'hommage que lui devoit mon coeur, quelques éclairciffemens à fon fils M. Morand le Médecin. Mais, à la place des notes que j'attendois, il m'apporta hier une Lettre en Latin & en François qu'il a écrite aux différentes Académies Etrangères & Regnicoles qui comptoient l'auteur de ANN. 1773. Tome VI.

M

fes jours au nombre de leurs Affociés. Cette Lettre, qui fait également honneur à la mémoire du père & aux fentimens du fils, remplit complettement mes vues, & je vous l'envoie, Monfieur, comme un des Articles de ces Feuilles qui doivent le plus vous intéreffer. Je ne vous adreffe que la Lettre Françoife, traduction de la Latine, compofée feulement pour les Académies Etrangères, où la langue des anciens Romains et plus familière que la nôtre.

Mon père, votre Collègue, étoit pénétré de refpect & d'amitié pour les différens Corps Académiques qui avoient recherché avec empref fement, & même avec une forte de rivalité, fon affociation *. Le vôtre, Meffieurs, étoit un des objets les plus chèrs de fon eftime & de fon attachement. A ces titres, j'ofe me

*L'Académie Royale des Sciences de Paris en 1722, la Société Royale de Londres en 1728, l'Académie de Bologne en 1737, de Pétersbourg en 1746, de Stockolm en 1755, de Florence, de Cortone en 1759, de Porto en 1763, de Harlem en 1769.

flatter que vous partagerez les regrets dont plufieurs de nos Sociétés fçavantes honorent fa mémoire; j'ofe dire qu'il en eft digne encore par fon mérite perfonnel, qui, dès les premières années de fa vie, a placé fon nom avec éclat dans la lifte des Chirurgiens illuftres.

Mais fi votre Collègue fut connur beaucoup plutôt qu'on ne l'eft pour l'ordinaire s'il obtint des fuccès bril fans prefqu'à fon entrée dans la lice, fi fa réputation fe répandit de bonne heure parmi les Etrangers, enfin s'il fut rapidement élevé au comble des honneurs dans le fein de fa patrie qu'il préféra toujours aux autres régions où les talens excitèrent le defir de l'attirer: ces avantages, je ne le diffimulerai pas, Meffieurs, il les dut en partie à l'heureufe influence de fon origine.

Sauveur-François Morand, né à Paris **d'un père qui lui-même le diftingua

* En 1736, demandé par le Roi d'Espagne, Philippe V, pour être fon premier Chirurgien. A l'Hôtel Royal des Invalides le z Avril

1697.

dans l'art de la Chirurgie, reçut dès fon enfance, conformément au précepte de Celfe **, & dans le fein des foyers domeftiques, l'éducation analogue à l'état qu'il devoit embraffer. La maifon paternelle fut fa première école; la fcience, les leçons & l'exemple environnèrent, pour ainfi dire, fon berceau.

Dès que l'âge eut fortifié fon tempérament & fa raifon, on le vit fréquenter avec une infatigable affiduité ces pieux afiles que la Religion & l'humanité ont fondés & qu'elles entretiennent en faveur de l'indigence infirme; il y fit dans son art des progrès fi frappans que les places les plus importantes devinrent bientôt la récompenfe flatteufe de fon fçavoir, qu'il accrut encore en les rempliffant, On le prépofa d'abord au fervice

*Jean Morand, Gagnant - Maîtrise de l'Hôtel Royal des Invalides, le premier qui ait été nommé Chirurgien - Major de cette Maison. Voyez l'Index Funereus Chirurgorum Parifienfium.

** Dès l'année 1710, âgé alors de treize

ans.

des malades de l'Hôtel Royal des Invalides comme furvivancier *; enfuite, comme titulaire**. Peu de temps après, il fut mis à la tête de l'Hôpital Royal des Religieux de la Charité***, Divers poftes relatifs à la Chirurgie Militaire lui furent confiés fucceffivement ****; il fit éclater la fupériorité de fes talens dans tous ces em→ plois fi propres à perfectionner en lui la théorie par la pratique, & la pratique par la théorie.

L'étude & l'expérience en firent un grand Chirurgien, la nature & la Société un homme aimable. Introduit dans le plus grand monde pref

*

Mis au rang des Chirurgiens employés à l'Hôtel Royal des Invalides en Avril

1712.

** Au mois de Novembre 1726.

*** Le 20 Février 1730.

**** Chirurgien-Major du Camp de Brontage en 1716, du Régiment des Gardes Françoifes en 1739, Infpecteur des Hôpitaux Militaires en 1741; chargé de la vifite des Déferteurs & autres Militaires détenus dans les prifons de Paris en 1757; commiffion de l'Intendance pour foigner les Miliciens.