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MONSIEUR JOURDAIN.

Je comprends cela à cette heure.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Voulez-vous voir nos deux affaires?

MONSIEUR JOURDAIN.

Oui.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Je vous l'ai déja dit, c'est un petit essai que j'ai fait autrefois des diverses passions que peut exprimer la musique.

Fort bien.

MONSIEUR JOURDAIN.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE, aux musiciens.

Allons, avancez. (à M. Jourdain.) Il faut vous figurer qu'ils sont habillés en bergers.

MONSIEUR JOURDAIN.

Pourquoi toujours des bergers? On ne voit que cela partout. LE MAÎTRE A DANSER.

Lorsqu'on a des personnes à faire parler en musique, il faut bien que, pour la vraisemblance, on donne dans la bergerie. Le chant a été de tout temps affecté aux bergers; et il n'est guère naturel, en dialogue, que des princes ou des bourgeois chantent leurs passions'.

MONSIEUR JOURDAIN.

Passe, passe. Voyons 2.

avoit conçue de son art n'a pas obtenu moins de célébrité. Il n'y a que trois grands hommes en Europe, disoit-il : le roi de Prusse, Voltaire, et moi!

' Trait de satire dirigé contre le grand opéra italien, que Mazarin avoit introduit à la cour en 1646, et qui donna naissance à notre Académie royale de musique. Cette dernière venoit d'être instituée en 1669, un an avant la représentation du Bourgeois gentilhomme.

2 Cette scène est d'un naturel exquis. Molière y oppose la vanité et la cupidité des petits artistes à la vanité et à la sottise d'un petit bourgeois. Rien de plus vrai que cet amour de la gloire qui s'est emparé du maître à danser; rien de plus vrai que le besoin de montrer ses habits et ses valets qui tourmente M. Jourdain. Ne sachant pas encore jouir de leurs richesses, les parvenus ne s'occupent que de l'effet qu'elles produisent : ils veulent être admirés, loués, enviés de ce que la fortune leur donne, car leur bonheur est moins dans la jouissance de leur bien-être que dans la

DIALOGUE EN MUSIQUE.

UNE MUSICIENNE ET DEUX MUSICIENS.

LA MUSICIENNE.

Un cœur, dans l'amoureux empire,
De mille soins est toujours agité.
On dit qu'avec plaisir on languit, on soupire;
Mais, quoi qu'on puisse dire,

Il n'est rien de si doux que notre liberté.

PREMIER MUSICIEN.

Il n'est rien de si doux que les tendres ardeurs
Qui font vivre deux cœurs

Dans une même envie;

On ne peut être heureux sans amoureux desirs.
Otez l'amour de la vie,

Vous en ôtez les plaisirs.

SECOND MUSICIEN.

Il seroit doux d'entrer sous l'amoureuse loi,
Si l'on trouvoit en amour de la foi;

Mais, hélas! ô rigueur cruelle!
On ne voit point de bergère fidèle;
Et ce sexe inconstant, trop indigne du jour,
Doit faire pour jamais renoncer à l'amour.

PREMIER MUSICIEN.

Aimable ardeur !

LA MUSICIENNE.

Franchise heureuse !

SECOND MUSICIEN.

Sexe trompeur !

PREMIER MUSICIEN.

Que tu m'es précieuse !

satisfaction de leur orgueil. Molière peint toujours d'après nature, et tout ce qu'il

dit de son siècle est encore vrai du nôtre.

LA MUSICIENNE.

Que tu plais à mon cœur !

SECOND MUSICIEN.

Que tu me fais d'horreur !

PREMIER MUSICIEN.

Ah! quitte, pour aimer, cette haine mortelle !

LA MUSICIENNE.

On peut, on peut te montrer

Une bergère fidèle.

SECOND MUSICIEN.

Hélas! où la rencontrer?

LA MUSICIENNE.

Pour défendre notre gloire,
Je te veux offrir mon cœur.

SECOND MUSICIEN.

Mais, bergère, puis-je croire
Qu'il ne sera point trompeur?

LA MUSICIENNE.

Voyons, par expérience,
Qui des deux aimera mieux.

SECOND MUSICIEN.

Qui manquera de constance,

Le puissent perdre les dieux!

TOUS TROIS ENSEMBLE.

A des ardeurs si belles

Laissons-nous enflammer;

Ah! qu'il est doux d'aimer

Quand deux cœurs sont fidèles !

MONSIEUR JOURDAIN.

Est-ce tout?

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Oui.

MONSIEUR JOURDAIN.

Je trouve cela bien troussé, et il y a là-dedans de petits dictons assez jolis.

LE MAÎTRE A DANSER.

Voici, pour mon affaire, un petit essai des plus beaux mouvements et des plus belles attitudes dont une danse puisse être variée.

MONSIEUR JOURDAIN.

Sont-ce encore des bergers?

LE MAÎTRE A DANSER.

C'est ce qu'il vous plaira. (aux danseurs.) Allons.

ENTRÉE DE BALLET.

Quatre danseurs exécutent tous les mouvements différents et toutes les sortes de pas que le maître à danser leur commande'.

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MONSIEUR JOURDAIN, LE MAITRE DE MUSIQUE, LE MAITRE A DANSER 2.

MONSIEUR JOURDAIN.

Voilà qui n'est point sot, et ces gens-là se trémoussent bien.

'Si le premier acte du Misanthrope est la plus heureuse exposition d'un sujet dans le genre noble, le premier acte du Bourgeois gentilhomme a le même avantage dans le genre comique. Le ridicule des différents maîtres y sert de relief à celui de M. Jourdain, dont la bêtise naïve et folle augmente par degrés, au point de justifier l'extravagance du dénoûment auquel Molière a eu recours pour justifier les intermèdes de son ouvrage, (B.)— Cette exposition fait connoître le héros de la pièce, mais elle n'instruit pas de l'action, qui ne se noue qu'au troisième acte. Molière semble avoir voulu racheter ce défaut par la gaieté des scènes et par l'originalité des personnages.

2 Les actes de cette pièce sont séparés par des intermèdes à la manière des anciens; et comme les mêmes personnages se retrouvent toujours sur la scène, rien

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Lorsque la danse sera mêlée avec la musique, cela fera plus d'effet encore; et vous verrez quelque chose de galant dans le petit ballet que nous avons ajusté pour vous.

MONSIEUR JOURDAIN.

C'est pour tantôt, au moins; et la personne pour qui j'ai fait faire tout cela me doit faire l'honneur de venir dîner céans. LE MAÎTRE A DANSER.

Tout est prêt.

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Au reste, monsieur, ce n'est pas assez; il faut qu'une personne comme vous, qui êtes magnifique, et qui avez de l'inclination pour les belles choses, ait un concert de musique chez soi tous les mercredis ou tous les jeudis.

MONSIEUR JOURDAIN.

Est-ce que les gens de qualité en ont1?

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Oui, monsieur.

MONSIEUR JOURDAIN.

J'en aurai donc. Cela sera-t-il beau?

LE MAÎTRE DE MUSIQUE.

Sans doute. Il vous faudra trois voix, un dessus, une hautecontre, et une basse qui', seront accompagnées d'une basse de viole, d'un téorbe, et d'un clavecin pour les basses continues, avec deux dessus de violon pour jouer les ritournelles.

MONSIEUR JOURDAIN.

Il y faudra mettre aussi une trompette marine 2. La trom

ne seroit plus facile que de réunir les cinq actes en un seul. Le Bourgeois gentilhomme est donc en effet une pièce en un acte divisée par des ballets. Aucun autre ouvrage de Molière ne présente une pareille singularité.

Ce mot revient souvent dans la bouche de M. Jourdain. Ce qui est encore plus comique, c'est le contraste grossier et naturel de ce bourgeois gentilhomme avec le goût du bel usage qu'il veut emprunter de la noblesse. Tout est naturel dans ce rôle, et cependant tout y est neuf et singulier. (L. B.)

Cet instrument est formé d'une seule corde fort grosse montée sur un chevalet, et qui rend un son assez semblable à celui de la trompette.

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