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tel, ou la terreur si grande, que la multitude 1793. n'osait se permettre aucune plainte.

Les clubistes de la section de Francklin à l'exemple des jacobins de Paris, criaient sans cesse que l'action de la guillotine n'était pas assez prompte pour détruire tous les aristocrates; ils accusaient même de modérantisme Tallien et Ysabeau. Ces deux représentans avaient suspendu la commission militaire, à l'occasion de deux jugemens dont la scélératesse était frappante. Le comité de salut public, auquel ils avaient expédié une copie de leur arrêté, répondit en substance : « Que s'il est des circonstances où l'humanité réclame quelques égards, elles ne doivent jamais atténuer la vigueur du gouvernement...... Etait-il politique de proclamer votre arrêté dans Bordeaux, où l'aristocratie mercantile a machiné le fédéralisme, et tué l'esprit révolutionnaire ? Le comité a donc cru utile de suspendre cet arrêté. Il vous fait en même tems quelques observations rapides; vous les comparerez avec la situation politique des lieux où vous êtes.» Ces observations étaient qu'il n'était pas tems de consulter la justice; qu'il fallait révolutionner Bordeaux, comme on avait révolutionné Lyon.

Un jeune homme de dix-huit ans, fils du député Julien, de la Drôme, fut envoyé à Bordeaux avec les pouvoirs les plus étendus,

par le comité de salut public, pour examiner la conduite de Tallien et d'Ysabeau. Accompagné de la force armée, il cerne leurs maisons et leur signifie l'ordre de quitter Bordeaux. Les deux représentans obéissent, et Julien s'empare de la toute-puissance.

Tallien vint à Paris avec la fille du banquier espagnol Gabarus. Robespierre, convaincu que les tendres sentimens qu'elle avait inspirés à Tallien, étaient le principe du modérantisme qu'on lui reprochait, la fit mettre en prison, d'où elle ne sortit qu'après la journée du 9 thermidor, époque où Tallien l'épousa. Les grands événemens tiennent souvent aux plus petites causes. La rigueur exercée par Robespierre en cette occasion, fut peut-être un des principaux véhicules de sa chûte.

Après le départ de Tallien et d'Isabeau, la commission militaire reprit ses fonctions, et plus expéditive qu'auparavant, elle conduisait à l'échafaud trente ou quarante individus à la fois. En quelques jours, trois cent cinquante Bordelais furent assassinés. Le tribunal de Bordeaux égalait celui de Paris en férocité, lorsque le 9 thermidor vint fermer ces boucheries humaines.

Ysabeau, qui fut alors renvoyé à Bordeaux, s'occupa de la révision des jugemens de la commission militaire; les biens de plu

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avaient lieu dans Paris. Les derniers mois de l'année 1793 seront à jamais fameux par les innombrables incarcérations faites à cette époque dans la capitale. Le sang des vingtdeux députés fumait encore, lorsque MarieJeanne Philipon, femme du ministre Rolland, fut conduite à la conciergerie, pour y subir les ridicules formalités d'un procès dérisoire, avant de monter sur l'échafaud.

J'ai déjà parlé de cette femme, digne d'un meilleur sort. Son mari s'était soustrait par la fuite, le 2 juin, aux recherches de ses persécuteurs; les plaisans observèrent, à cette occasion, qu'en sauvant son corps, il avait laissé à Paris son ame. Madame Rolland possédait en effet des talens supérieurs. Ceux qui venaient arrêter son mari, la conduisirent en prison; elle obtint sa liberté ; mais, arrêtée de nouveau par les ordres formels de Robespierre, on lui délivra son acte d'accusation.

Traduite devant le tribunal révolutionnaire, elle y conserva une inébranlable fer- AN 2. meté, malgré l'indécence avec laquelle on lui fit des questions si injurieuses, que des larmes d'indignation s'échappèrent de ses yeux. Elle était vêtue de blanc, et avec soin, le jour de sa mort; sa physionomie paraissait non-seulement tranquille, mais elle avait quelquefois l'air de la gaîté, pour donner le change à un individu destiné à périr avec elle, et qui ne se résignait point à la mort aussi courageu

sement.

Cet infortuné, dont tout le crime était son opulence, devait épouser incessamment une jeune personne dont il était tendrement aimé; il emportait au tombeau l'idée funeste que son amante ne survivrait pas à la nouvelle imprévue du sort dont il était accablé cette sinistre réflexion empoisonnait ses derniers

momens.

Lorsque plusieurs individus allaient ensemble à la guillotine, comme on ne pouvait les exécuter que les uns après les autres, celui dont le tour n'arrivait que le dernier, éprouvait un supplice presqu'égal à celui de la mort, toutes les fois que, la hache tombant, il voyait ruisseler le sang sur l'échafaud. Dans ces tristes circonstances, mourir le premier était considéré comme une faveur. Elle avait été accordée à madame Rolland, en considération de

son sexę; mais, lorsqu'elle aperçut les dispo1793. sitions morales de son compagnon d'infortune,

elle pria le bourreau de lui donner son tour. Le bourreau lui ayant répondu qu'il lui avait été ordonné de la tuer la première...... mais vous ne pouvez pas, répliqua-t-elle en souriant, refuser à une femme sa dernière requête. En effet, il lui accorda sa demande.

Elle avait prédit que son mari ne lui survivrait pas; sa prédiction fut accomplie. Dès que Rolland, caché jusqu'alors, apprit la mort de sa femme, il trancha le cours de sa vie. Son corps sanglant fut trouvé sur la grande route de Paris à Rouen ; les papiers tirés de ses poches furent portés au comité de sûreté générale, et n'ont jamais vu le jour. Sa fille, jeune enfant de trois ans, trouva un asyle chez un ami de ses infortunés parens, dans une époque où il était extrêmement dangereux de se charger des enfans des proscrits.

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