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gibier est une espèce de pingouin, qu'on pourrait distinguer par le surnom de stupide. Il est si bête, que j'ai pu le tuer d'un coup de bâton.

-Quels pieds et quel bec avait-il? demandai-je.

ERNEST. Il avait des pieds faits pour nager, les quatre onglons étaient liés par une peau membraneuse; le bec était long, étroit, et un peu recourbé sur le devant : j'ai conservé la tête et le cou pour vous les faire examiner vous-même; ils me rappellent exactement le pingouin stupide de mon livre d'histoire naturelle.

-Bien, mon cher, lui dis-je, tu vois à présent combien il est utile de lire et d'étendre ses connaissances,. surtout celles de la nature; elles servent à nous guider pour reconnaître de suite tous les objets que nous n'avons pas encore vus. Quels oiseaux ont des pieds tels que ceux que tu viens de dépeindre, destinés à battre l'eau et à se soutenir dessus?

ERNEST. Les frégates, les cormorans, les pélicans.

LE PÈRE. Mais à quoi distingues - tu ceux que tu viens de nommer, du pingouin ou stu

LA MERE. En vérité, mon cher, c'est moi qui te répondrai, et qui te prierai de prendre un autre moment pour ton catéchisme d'oiseaux; quand tu es une fois en train de donner tes leçons, c'est à n'en pas finir : chaque chose a son temps; Ernest a tué l'oiseau, l'a reconnu, nous le mangerons; que te faut-il de plus ? Ne vois-tu pas que le pauvre enfant ne perd pas de vue les noix de coco ? laisse-lui à présent le plaisir de les examiner et de les goûter. ERNEST. Oh oui, ma bonne mère, si papa voulait le permettre?

LE PERE. Eh bien, à la bonne heure ; mais il faut que Fritz vous apprenne comment on les ouvre, pour en jouir et ne pas perdre leur lait; et puis n'oubliez pas le petit singe, qui n'a plus le lait de sa mère.

JACK. Il ne veut absolument rien manger; je lui ai offert de tout ce que nous avons.

LE PERE. Je le crois bien; il ne sait pas encore manger seul; il faut le nourrir de lait de coco jusqu'à ce que nous ayons quelque chose de meilleur à lui donner.

JACK. Je lui cède avec plaisir toute ma part, à ce pauvre petit mignon.

ERNEST. Je voudrais cependant boire de ce lait, pour savoir quel goût il a.

Et moi aussi, dit le petit François.

Il faut pourtant que le singe vive, dit Jack avec son petit ton mutin.

LA MÈRE. Et nous tous aussi; le souper est prêt, et les noix de coco seront pour le des+

sert.

Nous nous assîmes par terre: elle commença à dresser le repas dans notre porcelaine de calebasse, qui nous fut très-utile. Mes fils n'avaient pu y tenir; les noix de coco étaient cassées, on les trouvait excellentes, et on se faisait des cuillères avec ces fragmens de la coquille. Le petit singe avait été servi le premier, grâce au zèle de Jack; tous mes enfans s'amusaient à lui faire sucer le coin de leurs mouchoirs trempé dans du lait de coco; il s'en régalait, et nous vîmes avec plaisir que nous pourrions le conserver.

On allait fracasser encore quelques noix avec la hache, après en avoir vidé la liqueur par les trous naturels qui se trouvent au bas, et qui sont légèrement recouverts d'une peau facile à percer, lorsque je criai halte, et je demandai une scie. Je pensais qu'en ouvrant les noix de cette manière, nous aurions, dans les deux moitiés, de très-jolies tasses ou écuelles toutes façonnées.. Jack, toujours le

plus leste, m'apporte une scie; je travaillai de mon mieux à ma vaisselle, et bientôt chacun de nous eut devant lui un vase commode, où ma femme nous servit à tous notre portion de soupe. Elle était si contente, cette bonne mère, de ce que nous n'avions plus besoin, comme la première fois, de tremper les doigts dans le pot! Certainement aucun service, soit de vermeil, soit de porcelaine du Japon, n'a fait autant de plaisir à son possesseur que nos ustensiles de courges et de noix en firent à cette digne femme. Fritz me demanda si nous ne voulions pas boire de son vin de Champagne pour égayer le repas : « J'y consens, lui dis-je; mais goûte-le auparavant, pour savoir ce que tu nous offres. »

Il ouvrit son flacon, et goûta..... O malheur! dit-il, ce n'est plus que du vinaigre.

<< Du vinaigre! s'écria ma femme; il sera parfait pour la sauce de notre oie; la graisse servira d'huile, et nous aurons une parfaite salade. » Ainsi fut dit, ainsi fut fait; ce vinaigre de lait de coco aigri se trouva très-fort et très-bon; il corrigea le goût désagréable et saumâtre du pingouin, qui, sans cela, aurait été presque immangeable, et rendit moins

fades les poissons rôtis. Chacun vantait son plat; c'étaient Jack et François qui avaient pris les poissons dans le bas - fond, pendant qu'Ernest chassait sans beaucoup de peine son stupide; ma pauvre femme en avait eu plus qu'eux à rouler le tonneau de fromage jusqu'à la cuisine, et à le défoncer par un bout; mais aussi cet excellent dessert fut ce qui nous fit le plus de plaisir, et elle en reçut un juste tribut d'éloges.

Quand nous eûmes fini de souper, le soleil allait se coucher; et, sachant que la nuit arrivait presque aussitôt, nous n'eûmes rien de plus pressé que de regagner notre gîte : ma femme avait eu l'attention de ramasser encore beaucoup d'herbe sèche, et de l'étendre dans la tente, de sorte que nous nous réjouîmes d'avoir des matelas mieux fournis et plus tendres que la nuit précédente. Toute notre volaille se plaça comme la veille; nous fîmes notre dévotion du soir, et nous nous glissâmes dans la tente; nous prîmes le singe avec nous; c'était le petit favori de tous; Fritz et Jack se partagèrent son amitié, et le mirent tendrement au milieu d'eux, en le couvrant avec soin pour qu'il n'eût pas froid. Nous cou

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