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d'avis quand je te donnerai tous les matins une jatte de coco pleine de bon lait. »

Ernest et Jack coururent aussi sur le bateau admirer le mât, la voile et la flamme, et se firent expliquer par leur frère comment tout cela s'était fait, et comment on pouvait s'en servir. Cependant nous commençâmes à déballer, et nous eûmes beaucoup à faire; mais Jack, à qui cette occupation ne plaisait pas, se glissa de côté, s'occupa du bétail, détacha les corsets des brebis et des chèvres, rit aux éclats du plaisant costume de l'âne, qui était encore entre ses deux grosses tonnes, et braillait à nous rendre sourds; il chercha à l'en débarrasser, mais il ne put y réussir. Mon petit drôle, hardi comme un page ́ de cour, s'élança alors sur le dos de la bête entre les deux tonnes, et vint auprès de nous majestueusement comme sur le plus bel alezan, se démenant tellement des pieds et des mains, qu'il vint à bout de le faire avancer.

Nous rimes beaucoup de ce plaisant équipage, et moi plus encore, lorsqu'en aidant le petit bonhomme à descendre de sa monture je le vis entouré d'une belle ceinture de cuir à poils jaunâtres, dans laquelle étaient deux pistolets.

<< Au nom du ciel, lui dis-je, où as-tu pris ce costume de contrebandier?

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Dans ma propre fabrique, me réponditil; regardez nos chiens. »

Je remarquai seulement alors que chacun des gros dogues avait un collier comme sa ceinture, avec la seule différence qu'ils étaient armés d'une quantité de clous qui se dressaient en l'air d'une manière formidable, et formaient une terrible défense. « Comment! petit drôle, lui dis-je, est-ce bien toi qui as inventé et exécuté ces colliers et cette ceinture?

JACK. C'est de mon invention, papa; seulement maman m'a aidé pour ce qu'il a fallu coudre.

LE PÈRE. Mais où avez-vous pris le cuir, le fil et les aiguilles ?

Le chakal de Fritz nous a fourni le premier, dit ma femme, et une bonne mère de famille doit toujours être pourvue de fil et d'aiguilles. Vous autres hommes, vous ne pensez qu'aux grandes affaires; les petites sont de notre département, et souvent sont plus utiles. N'ai-je pas un sac enchanteur, d'où je fais sortir tout ce dont j'ai besoin? Dans l'occasion tu n'auras qu'à parler. » J'embrassai cette aimable et bonne amie, et Jack eut aussi

sa part dans mes caresses et mes éloges. Mais Fritz ne voyait pas de bon œil que Jack eût disposé de son chakal et coupé sa belle peau. Cependant il cacha sa mauvaise humeur aussi bien qu'il put; mais comme il était le plus près de Jack, il s'écria tout-à-coup en se bouchant le nez : « Quelle horrible odeur on sent par ici! il y a de quoi donner la peste. Ne serait-ce point vous, monsieur l'écorcheur ? estce aussi là du parfum de votre fabrique?

-C'est de la vôtre, monsieur, reprit Jack très-piqué; c'est votre chakal que vous avez pendu au soleil.

FRITZ. Et qui se serait desséché dans sa peau, si vous aviez bien voulu, monsieur, ne pas la couper, et me laisser disposer de ma chasse comme je l'aurais voulu.

-Fritz, dis-je à mon fils aîné d'un ton fâché, tu es peu généreux; qu'importe que ce soit ton frère ou toi qui ait écorché le chakal, si on s'en est servi utilement? Mes chers enfans, nous sommes ici dans cette île déserte comme nos premiers parens lorsqu'ils furent chassés de l'Éden : ils auraient pu encore être heureux sur cette belle terre où Dieu leur permettait de vivre du travail de leurs mains et de la sueur de leur front; mais, entou

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rés de mille et mille biens à leur usage, ils laissèrent pénétrer dans leur famille la haine, l'envie, la jalousie; Caïn, furieux, égaré tua son frère Abel, porta la plus amère douleur dans le cœur de ses malheureux parens, et fut maudit de Dieu, ainsi que toute sa race. Voilà l'horrible crime auquel l'habitude de disputer peut conduire. Ayons ici tout en commun, bannissons le tien et le mien: ce que l'un tue ou découvre est au profit de toute la famille, et appartient autant aux uns qu'aux autres. Il est vrai, Jack, que ton ceinturon, qui n'est pas sec, a beaucoup d'odeur; le plaisir de porter ton bel ouvrage te fait passer sur cet inconvénient; mais il ne faut pas incommoder les autres pour son plaisir. Ainsi, mon fils, va l'ôter et mets - le sécher de manière à ce qu'il ne se rétrécisse pas; ensuite tu iras aider tes frères à jeter le chakal à la mer. Le moment d'humeur de Fritz était passé; mais Jack, toujours un peu mutin, résistait à ôter sa belle ceinture, et se pavanait d'un air d'importance; enfin, ses frères ne cessant de l'éviter et de lui crier : « Jack, sous le vent, sous le vent ! » il prit son parti, jeta sa ceinture, et courut aider ses frères à traîner

le chakal dans la mer, où il ne nous incom

moda plus.

Je voyais cependant qu'on n'avait fait aucun préparatif pour le souper : je donnai-l'ordre à Fritz d'apporter les jambons de Westphalie, qui étaient encore dans la saumure. Tous me regardaient avec étonnement, et croyaient qué je plaisantais, lorsque Fritz accourut en sautant et montrant de loin un superbe jam

bon, , que nous avions entamé le matin. >> Bien venu! bien venu! s'écrièrent-ils tous; un jambon tout prêt à manger! quel excellent repas nous allons faire! » Et le messager de bonnes nouvelles fut reçu avec des battemens de mains et des cris de joie. « Il vient fort à propos, dis-je à ma femme, car il me paraît que notre ménagère nous destinait ce soir à jeûner; cependant, après une course sur mer, l'appétit est réveillé.

Je te raconterai, me dit-elle, ce qui m'a empêché de vous préparer un festin de bonne arrivée; ton beau jambon y suppléera, et voici de quoi faire une omelette, qui sera prête dans un instant. « Elle me montra, dans un panier qu'elle avait au bras, une douzaine d'œufs de tortue.

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