Images de page
PDF
ePub

nous coupâmes sur la tête plusieurs longues courroies, que nous portâmes dans notre bateau. Je remarquai alors avec plaisir une quantité de planches et de poutres que l'eau avait amenées récemment sur le rivage de la petite île, qui nous épargnaient la peine d'aller au vaisseau. Je choisis donc ce qui me parut bon pour la construction du pont : j'avais avec moi un levier et un cric, qui me furent très-utiles pour soulever ce qui était à sec. Je liai les poutres en forme de radeau, je mis les planches dessus, et j'attachai le tout der rière notre bateau; en sorte que, quatre heures après notre départ, nous étions prêts à revenir, et nous pouvions nous vanter avec justice d'avoir fait une bonne journée. Pour faciliter notre retour, je cinglai de nouveau dans le courant, qui nous poussa bientôt en pleine mer; alors je revirai de bord, et je repris le chemin de la baie et de notre île en direction plus droite, et courant moins de dandes bas-fonds. Tout me ger d'être arrêté par réussit à merveille; je déployai ma voile, et un bon vent nous eut bientôt ramenés vers nos amis, à la place de débarquement. Tout en cheminant, Fritz, par mon ordre, clouait sur le mât les bandes de peau de re

quin, pour les faire promptement sécher au soleil; Ernest s'occupait à examiner les oiseaux qu'il avait tués avec sa baguette de fer. « Mais, mon père, me demandait-il, pourquoi ditesvous que ces oiseaux ne seraient pas bons à manger? comment les nomme-t-on ?

LE PÈRE. Je crois que ce sont des mouettes, qui ne vivent que de la chair d'autres animaux morts, et qui doivent, en raison de leur nourriture, avoir un mauvais goût; il y en a de plusieurs espèces, et de si stupides, qu'à la chasse de la baleine elles se jettent par troupes sur la graisse de ce poisson, à côté des pêcheurs qui le dépècent; elles en arrachent des morceaux entre leurs mains, et se laissent tuer plutôt que de les lâcher.

FRITZ. Il faut, en effet, que ces mouettes soient bien bêtes et bien avides, pour s'être laissé tuer avec une baguette. Mais voyez, mon père, vous m'avez fait faire un mauvais ouvrage, en clouant la peau du requin sur le mât; elle s'est tout-à-fait arrondie en séchant ainsi sur une perche.

LE PÈRE. C'est précisément ce que je voulais; ces bandes nous seront plus utiles rondes que plates; d'ailleurs, ce que tu n'as pas encore étendu restera plat; et nous aurons là une

belle provision de chagrin, si nous pouvons âter ces pointes et les polir.

FRITZ. Je croyais que le chagrin se faisait avec de la peau d'âne ?

LE PÈRE. Et tu avais raison : dans la Turquie, la Perse, la Tartarie, le meilleur chagrin se fabrique avec la peau du dos de l'âne et des chevaux. Lorsqu'elle est encore tendre, on étend dessus une espèce de graisse très-dure, on bat ensuite la peau; cette graisse s'y incorpore, et fait que la superficie ressemble à une lime; mais on en fait aussi du très-bon, et surtout en France, avec des peaux de poisson

de mer. »

Ernest demanda à son frère s'il devinait pourquoi les requins n'avaient pas, comme les autres animaux, la gueule au-devant du museau, mais directement dessous. Fritz avoua son ignorance. «Je ne sais que les tuer dans l'occasion, dit-il d'un air important; et toi, monsieur le savant, que sais tu là-dessus ? voyons. suppose, dit Ernest, que le requin a la gueule ainsi placée pour ne pas dépeupler la mer et la terre; avec sa voracité, lui échapperait, s'il pouvait saisir sa proie sans se retourner; mais par ce moyen, on peut encore lui échapper.

[ocr errors]

Je

[ocr errors]

rien ne

LE PÈRE. Fort bien raisonné, mon petit philosophe : si nous ne pouvons pas toujours deviner l'intention du Créateur dans ce qui nous entoure, les conjectures sont du moins un exercice utile pour notre esprit.

Enfin, nous entrâmes heureusement dans la baie, et bientôt nous abordâmes à la place de débarquement aucun des nôtres ne se trouva là; mais on ne pouvait nous attendre encore; nous les appelâmes en criant, et bientôt on nous répondit de même. La mère parut entre ses deux petits garçons vers le ruisseau; son lit, très-encaissé, et la hauteur dú rivage, les avaient dérobés à nos yeux; chacun d'eux portait à la main un mouchoir rempli, et François avait sur l'épaule un petit filet à poisson, en forme de sac, attaché à un bâton. Dès qu'ils nous eurent aperçus ils vinrent à notre rencontre, en s'étonnant de notre prompt retour; Jack prit les devans, et, dès qu'il nous eut joints, il ouvrit le mouchoir qu'il tenait, et laissa tomber devant nous de belles écrevisses de rivière; la maman et le petit François en firent autant, et nous en eûmes en un instant un nombre considérable de vivantes, et qui nous annonçaient un excellent régal. Elles voulaient s'échapper de

tous côtés; on courait après; et il y eut beaucoup de cris, de sauts, de gronderies, de questions, d'éclats de rire. « N'est-ce pas, papa, disait mon petit cadet, que j'ai fait une bonne pêche? C'est moi qui les ai découvertes, au moins; voyez, il y en a plus de deux cents: et comme elles sont grosses, et quelles belles pinces! Elles seront bonnes, je vous en répond s.

Excellentes ! Mais est-ce vraiment mon petit François qui a fait cette trouvaille?

JACK. Lui-même; mais c'est moi qui suis bien vite allé le dire à maman; c'est encore moi qui ai été chercher et arranger le filet, et qui me suis mis dans l'eau jusqu'aux genoux pour les pêcher.

-Racontez-moi cela, mes enfans, car c'est vraiment un événement important pour notre cuisine, et je me réjouis fort de manger un bon coulis de votre façon.

JACK. Eh bien, papa, quand vous avez été partis, maman s'est assise à côté de la tente pour travailler, et François et moi nous sommes allés nous promener vers le ruisseau, pour voir où nous ferions le pont.

- Bravo, M. l'architecte ! c'est donc vous qui voulez diriger les ouvriers ? Mais, badi

« PrécédentContinuer »