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je vous en prie; vous dites que c'est bon à

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Je ne pus résister à ses pressantes instances, et je résolus de mettre le porc-épic sur le dos de l'âne, derrière le petit François ; j'ôtai une des couvertures, dans laquelle je l'enveloppai, après avoir mis beaucoup d'herbes autour de sa tête ensanglantée, et couché avec soin ses dards; j'attachai ensuite ce nouveau paquet sur notre grison, et, contens de notre ouvrage, nous nous remîmes en route. A peine avions-nous fait quelques centaines de pas, que l'âne commença à frapper avec fureur des pieds de derrière; il s'arracha des mains de ma femme qui le conduisait, et prit le large au grand galop, poussant des cris lamentables, et faisant des sauts si plaisans, que les enfans en riaient aux éclats; mais notre crainte pour le petit cavalier qui le montait nous ôța toute envie de rire; sur un signe donné, les chiens partirent comme un trait après le déserteur, se mirent sur son chemin en faisant avec lui un concert de hiha ! et d'aboiemens; ils allaient l'arrêter tout de bon, lorsque,courant aussi de toutes nos forces,nous arrivâmes au secours de notre petit François : il n'était pas trop effrayé; grâce à la bonne

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idée que j'avais eue de l'attacher, il n'avait pas couru le risque de tomber. « Mais, François, lui dis-je en riant, as-tu donc donné de l'éperon à ta monture? qu'est-ce qui a pu lui mettre dans la tête de prendre ainsi le large?» Tout-à-coup je pensai au porc-épic dont j'avais chargé maître Aliboron, et j'exa minai si les dards n'avaient point percé la cou verture dont je l'avais enveloppé c'était cela même; quoiqu'elle eût trois doubles, ils pas saient tous au travers, et tenaient lieu du plus formidable éperon. J'eus bientôt paré à cet inconvénient : le sac enchanteur de ma femme fut mis dessous, et il était si bien rem, pli, qu'il n'y avait pas à craindre qu'il fût transpercé; la couverture fut placée de côté pour garantir François ; je l'exhortai à se te¬ nir droit comme un écolier de manége, et je fis continuer la route.

Fritz avait pris les devans avec son fusil, tout prêt à tirer aussi quelque bel animal; il aurait bien désiré trouver une ou deux de ces belles outardes dont sa mère lui avait parlé; nous le suivîmes lentement sans nous fatiguer, et sans qu'il nous arrivât d'autre accident nous parvinmes au palais d'arbres géans. Ils l'étaient en effet, et nous en fûmes tous

frappés. « Ah, mon Dieu! quels arbres ! s'écria Ernest; quelle hauteur! quel tronc! c'est vraiment prodigieux ! - Je conviens, dis-je en les mesurant des yeux avec étonnement, que je ne m'en étais pas fait une idée. Honneur à toi, chère femme, pour la découverte de cette agréable demeure; si nous réussissons à nous établir sur un de ces arbres, nous y serons à merveille et parfaitement à l'abri de toute invasion de bêtes sauvages; je défie même à un de ces ours qui grimpent si bien, de gravir sur un tronc aussi immense et dépourvu de branches.

Nous commençâmes alors à décharger nos bêtes de somme, et nous-mêmes; nous prîmes ensuite la bonne précaution de leur lier les jambes de devant avec une corde, pour qu'elles ne pussent ni s'éloigner ni s'égarer; la volaille fut laissée en liberté : nous nous assîmes ensuite sur l'herbe, et nous tinmes un conseil de famille sur notre établissement futur. J'étais un peu en peine de cette première nuit ; j'ignorais si dans cette vaste contrée, ouverte de tous côtés, nous ne serions point exposés aux bêtes féroces. « Je veux, dès ce soir, tenter notre établissement sur l'arbre, dis-je à ma femme. » Pendant que j'en délibérais avec elle,

Fritz, qui n'avait plus en tête que sa chasse, et son désir de prendre sa revanche du porc-épic, s'était esquivé, et nous entendimes tout près de nous un coup de feu qui m'aurait effrayé si, au moment même, nous n'avions reconnu la voix de notre Fritz, qui s'écriait : «J'ai touché, j'ai touché ! » et bientôt nous le vimes accourir en sautant, et tenant par la pate un superbe animal mort. « Papa, papa, voyez quel beau chat tigré; » il l'éleva avec fierté en l'air pour nous le montrer. << Bravo, bravo! m'écriai-je; bravo, mon cher Nemrod (1)! Tu as rendu là un grand service aux pigeons, et aux poules un vrai service de chevalier; dès cette nuit, ton beau chat sauvage nous aurait privés pour toujours de notre basse-cour: je te charge de chercher avec soin ses camarades, et d'en détruire la race dans notre voisinage; le leur est un peu trop dangereux.

ERNEST. Dites-moi, mon père, pourquoi Dieu a-t-il créé les bêtes féroces, puisque l'homme doit chercher à les anéantir?

LE PÈRE. Cela serait un peu difficile; il suffit de s'en préserver; il le serait aussi de te

(1) Fameux chasseur de l'antiquité.

dire, mon fils, pourquoi Dieu a produit telle ou telle chose qui nous semble nuisible, et qui entre dans l'ordre de la création, Quant aux bêtes de proie, je suis porté à croire que leur destination est d'abord d'embellir et de varier les œuvres de la création, de main tenir un équilibre nécessaire parmi les créatures douées de la vie, et enfin de fournir à l'homme, qui naît sans être vêtu, de quoi se préserver du froid par leurs fourrures, qui deviennent un moyen d'échange et de commerce entre les nations. On pourrait dire aussi que le soin de se garantir des animaux féroces entretient les forces physiques et morales de l'homme, soutient son activité, le rend inven tif et courageux. Les anciens Allemands, par exemple, se sont exercés, par l'habitude de la chasse, à devenir des geurriers robustes et vaillans, qui ont su, au besoin, défendre leur patrie et leur liberté, comme ils savaient tuer les loups et les ours.

JACK. Mais les insectes qui dévorent l'homme tout vif, sans que leur chasse et leur fourrure les en dédommagent, à quoi servent-ils ?

LE PÈRE. A exercer la patience, mon fils, et à nous obliger à la propreté, qui produit

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