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La joie de mes fils fut immodérée quand ils virent que mon flammant était encore vivant, « Pourvu, disaient-ils, qu'on puisse guérir sa blessure et le nourrir! nous allons le panser. Croyez-vous qu'il s'accoutume avec nos poules ?

Je sais, leur dis-je, que cet oiseau s'apprivoise très-facilement, et nous en ferons l'essai avec celui-ci; mais il se souciera peu de la nourriture des poules; il vous demandera humblement des petits poissons, des

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ERNEST. Notre ruisseau fournit de tout cela; Jack et François en prendront plus qu'il n'en faudra pour le nourrir, et bientôt il saura fort bien les aller chercher lui-même.

LE PERE. Je l'espère, et je désire beaucoup le conserver.

FRITZ. Comme ce serait beau si nous pouvions ainsi nous former une basse-cour d'oiseaux indigènes et privés ! Mais voyez donc, il a les pieds palmés comme les oiseaux aquatiques, et cependant de longues jambes comme les cigognes; n'est-ce pas très-rare et très-singulier ?

LE PÈRE. Non, mon cher ami, ce n'est point

rare; plusieurs oiseaux ont, comme celui-ci, la double faculté de courir et de nager.

ERNEST. Mais, mon père, tous les flammans sont-ils comme celui-ci, d'une si belle couleur de rose, avec les ailes rouge-pourpre? Il me

semble en avoir vu dans mon histoire naturelle peints d'une autre couleur : alors peutêtre n'avons-nous pas un flammant?

LE PÈRE. Je crois, mon fils, que cette différence de plumage tient à l'âge : très-jeunes, ils sont gris: plus âgés, ils deviennent blancs; et ce n'est que lorsqu'ils ont fait leur crue qu'ils prennent ces belles nuances.

ERNEST. Celui-ci, le mort, est donc bien. vieux. Il fera, je le crains, un rôti bien coriace, car il a de bien vives couleurs mais n'allons-nous pas le porter à maman?

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LE PÈRE. Oui, sans doute, je vous laisse le soin de l'arranger de la manière la plus commode pour l'emporter facilement; pendant ce temps-là, je vais couper encore quelques bouts de cannes dont j'ai besoin, et pour lesquels je suis principalement venu. »

Je coupai, en effet, les cannes qui n'étaient plus fleuries, pour en faire des pointes de flèches, à la manière des sauvages des Antilles; puis j'en cherchai deux des plus hautes, que

je coupai de toute leur longueur, pour mesurer la hauteur de notre arbre, ce dont j'étais très-curieux. Quand je dis à messieurs mes fils l'usage auquel je les destinais, ils se moquèrent de moi, et m'assurèrent que, quand j'en mettrais dix au bout les unes des autres,je n'atteindrais pas les branches les plus basses; je leur demandai un peu de patience, et je leur rappelai l'histoire de nos poules qu'ils nous défiaient de prendre, parce qu'ils n'avaient pu en venir à bout.

Lorsque tout fut arrangé, je fis mes dispositions de départ. Ernest fut chargé des cannes longues et petites; Fritz eut à porter le flammant mort, et je me chargeai du vivant. A peine avions-nous fait quelques pas, que Fritz dit à notre chienne Bill : « Qu'est-ce que c'est donc que cela, mademoiselle la paresseuse ? vous croyez que vous ne porterez rien à la maison? Ayez la bonté de vous charger de mon flammant, comme votre camarade Turc porta mon singe. »>

En disant cela, il lui attacha son oiseau sur le dos, et la patiente bête le laissa faire sans

murmurer.

« Ainsi donc, dis-je, M. Fritz marchera.à vide, fort à son aise, lui qui est dans la force

de l'âge, pendant que son vieux père et son jeune frère sont chargés : cela sera singulier.

-Vous avez bien raison, mon père, me dit le bon jeune garçon; donnez-moi votre oiseau vivant, je le porterai avec confiance, je n'ai nulle peur de son grand bec courbé : il ne paraît pas qu'il ait envie de me mordre.

C'est d'autant plus beau à lui, répondisje, que c'est toi qui l'as blessé; mais les animaux sont souvent moins vindicatifs et plus généreux que l'homme, et tu verras que celuici s'attachera à toi. » En disant cela, je lui remis le flammant emmaillotté.

Après quelques pas, nous trouvâmes les trois paquets de bambous que j'avais préparés, et comme mes fils étaient suffisamment chargés, ce fut moi qui les pris tous les trois. «Vois maintenant, dis-je à mon fils aîné, que ta bonne disposition à me soulager t'a été utile : si tu ne m'avais pas pris mon flammant, tu aurais eu à porter ces trois paquets, qui sont beaucoup plus pesans. Sois donc persuadé que la bonté et la complaisance sont toujours tôt ou tard récompensées. »>

Nous arrivâmes enfin près des nôtres, qui nous accueillirent avec intérêt et curiosité. «Ernest, que portes-tu donc, d'un si beau

rouge, et toi Fritz, dans ce mouchoir ? » Tous se réjouirent de voir ces oiseaux. Ma femme, toujours un peu soucieuse, s'inquiétait seulement de savoir où trouver de quoi nourrir toutes les bêtes qui nous arrivaient. « Il y en a aussi qui nous nourrissent, chère amie, lui dis-je, et celle-ci ne te donnera pas grand' peine : si elle vit, comme je l'espère, elle saura bien trouver elle-même ce qu'il lui faut. » En disant cela, j'examinais sa blessure. Une aile seulement était attaquée par le coup de feu, et l'autre légèrement par les dents du chien. Je les pansai toutes les deux, d'après mes petites connaissances chirurgicales; avec du beurre et du vin, je composai une espèce d'onguent, qui parut le soulager aussitôt. Je l'attachai ensuite par une de ses jambes, avec une longue ficelle, à un pieu planté près du ruisseau, où il pouvait facilement se plonger; et j'eus l'espérance de le conserver vivant.

Pendant ce temps-là, mes petits railleurs avaient lié ensemble les deux longues cannes que j'avais apportées, et tâchaient de mesurer notre arbre; mais à peine purent-ils atteindre ́ la place où la voûte des racines se joignait au tronc de l'arbre; j'entendis de grands éclats

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