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de rire, et ils m'assurèrent de nouveau qu'il fallait bien autre chose pour mesurer notre arbre géant; mais je les arrêtai en rappelant à Fritz quelques leçons de géométrie et d'arpentage que je lui avais fait donner en Europe: «Nesais-tu pas, lui dis-je, qu'au moyen de cette utile science on détermine la hauteur des montagnes les plus élevées, ainsi que la distance, par le moyen des triangles et des lignes supposées? » Je procédai de suite à cette opération avec mes cannes plantées en terre, et des cordes que Fritz dirigeait par mes ordres. Je n'ennuierai pas le lecteur de mes procédés géométriques pour suppléer aux instrumens qui me manquaient; ils me réussirent, et je trouvai que notre arbre avait quarante pieds de haut, ce qu'il m'était absolument nécessaire de savoir pour faire mon échelle en conséquence. Je donnai à Fritz et à Ernest la commission de mesurer notre provision de grosses cordes, dont il me fallait quatre-vingts pieds pour les deux côtés de l'échelle; les petits eurent la tâche de ramasser toute la ficelle qui nous avait servi à mesurer, de la porter à leur mère; pour moi, je m'assis sur l'herbe, et je m'occupai à faire, avec un morceau de bambou et avec de courtes pointes de cannes, une

demi-douzaine de flèches: comme elles étaient vides, je pus les remplir de sable humide pour qu'elles ne fussent pas trop légères; je les garnis ensuite avec les plumes du flammant, pour qu'elles allassent plus droit.

A peine eus-je fini mon travail, que mes jeunes gens vinrent sauter autour de moi en jetant des cris de joie : « Un arc, un arc et de belles flèches! Qu'en voulez-vous faire, mon père! Oh! laissez-moi tirer, je vous en prie! Moi aussi ! Moi aussi !

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LE PÈRE. Patience, mes chers amis, patience! Pour cette fois je demande la préférence pour faire, le premier, l'essai de mon ouvrage; je l'ai fait pour l'utilité et non pour l'amusement; nous allons de suite en faire usage. Ma femme, si par hasard tu avais du fil bien fort, donne-le-moi. Nous allons voir, dit-elle en riant et courant à son sac, ce que fera mon sac enchanteur; jusqu'ici il ne m'a pas refusé son secours » : elle l'ouvrit. « Allons! dit-elle, montre-toi bien, mon sac; donnemoi ce que je te demande; mon mari veut du fil, et du fort... Eh bien! que vous avais-je promis en voilà une pelote précisément

comme tu le désires.

ERNEST. Voilà vraiment une grande magie,

bonne mère, que de tirer d'un sac ce qu'on y a mis!

LE PÈRE. Non, mon fils, ce n'est pas un sortilége, j'en conviens; mais avoir pensé, dans un moment d'effroi tel que celui où nous étions en quittant le vaisseau, à tout ce qui pouvait être utile ou agréable à chacun de nous, c'est vraiment un enchantement dont une bonne femme et une excellente mère est seule capable; et la vôtre, avec son sac qui subvient à tous nos besoins, est pour nous comme une bonne fée; mais des étourdis comme vous ne savent pas seulement le sentir. >>

Dans ce moment Fritz arriva; il avait achevé le mesurage de nos cordes, et m'apportait la bonne nouvelle qu'il y en avait environ cinquante toises; ce qui m'était plus que suffisant pour mon échelle. J'attachai alors le bout de la pelote de gros fil à une flèche; je la mis sur l'arc, et je la tirai de manière à faire passer ma flèche par-dessus une des fortes branches de l'arbre, et de la faire retomber de l'autre côté; on conçoit qu'elle entraînait avec elle le fil que je dévidais à mesure, et qui, de cette manière, se trouva suspendu sur la branche: il me fut

facile alors d'y attacher le bout d'une corde, que l'on tira en haut à l'aide du fil. Lorsqu'elle eut passé à son tour sur la branche, nous mesurâmes la moitié du fil, qui nous donna quarante pieds, ainsi que je l'avais déjà trouvé géométriquement. Sûr alors de pouvoir élever mon échelle en l'air et jusqu'à la branche, au moyen de la corde qui y était déjà, nous nous mîmes tous avec zèle et confiance à l'ouvrage. Je coupai d'abord environ cent pieds de ma provision de cordes d'un pouce d'épaisseur; je les mis ensuite en deux parties égales, que j'étendis sur la terre comme deux lignes parallèles, à la distance d'un bon pied l'une de l'autre je fis couper par Fritz des morceaux de bambous longs de deux pieds, et tous égaux; Ernest me les tendait à mesure; je les fis passer l'un après l'autre dans des nœuds que je faisais aux cordes, à la distance aussi d'un pied : à mesure que le bambou était passé dans les nœuds, Jack, par mon ordre, les traversait aux deux bouts avec un long clou qui les empêchait de ressortir. J'eus ainsi, en très-peu de temps, une échelle de quarante échelons très-solides, que nous regardions tous dans un joyeux étonnement je l'attachai ensuite fortement

au bout de la corde qui pendait de la branche, et par l'autre bout nous la tirâmes facilement au but, et le haut de notre belle échelle parvint à la branche et s'y posa si bien, que les cris de mes fils retentirent de tous côtés, et que moi et ma femme nous y joignîmes les nôtres. Chacun des petits garçons voulait monter le premier; je décidai que ce serait Jack, comme le plus léger et le plus leste; moi et ses frères nous tînmes en bas le bout de la corde, aussi ferme qu'il nous fut possible mon petit téméraire grimpa lestement comme un chat, et fut bientôt en haut, posté sur la branche; mais il n'était pas assez fort pour nouer solidement la corde qui tenait l'échelle. Fritz m'assura qu'il pourrait aussi monter sans danger; comme il était beaucoup plus pesant que son frère, je n'étais pas toutà-fait sans crainte; je lui donnai mes instructions pour monter de manière à diviser son poids en occupant quatre échelons à la fois avec les pieds et les mains: je lui fis prendre dans sa poche quelques bons clous et un marteau, pour assurer fortement l'échelle sur la branche. Notre aîné entreprit son ascension avec courage, et fut bientôt à côté de son jeune frère, à quarante pieds au-dessus de

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