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porte alors je ressortis, et j'abattis, soit avec la scie, soit avec la hache, à droite et à gauche, tout ce qui obstruait le libre passage. Quand cela fut fait, nous préparâmes des rames pour notre voyage du lendemain.

Dans tout ce travail, la journée s'était écoulée; il était déjà tard, et comme il n'aurait pas été possible d'arriver le même jour à terre, nous fumes obligés, quoiqu'à contre cœur, de passer une seconde nuit sur les débris, menaçant à chaque instant de s'écrouler. Nous prîmes des forces par un repas en règle; car nous nous étions à peine donné le temps, dans cette journée de travail, de manger un morceau de pain et de prendre un verre de vin. Infiniment plus tranquilles que le jour précédent, nous nous livrâmes tous au sommeil; cependant je pris encore la précaution d'attacher mes instrumens de natation sous les bras de mes trois plus jeunes fils et de ma femme, afin que si une nouvelle tempête s'élevait et qu'elle achevât de détruire le vaisseau, il y eût encore ce moyen de les sauver : je conseillai aussi à ma femme de mettre un habit de matelot, soit pour nager, soit pour d'autres travaux qui pouvaient nous attendre ; les habits d'homme sont bien plus commodes.

Elle y consentit, mais non sans peine, et alla en chercher un qui convînt à sa taille; après un quart d'heure elle revint avec le plus joli des habits de matelot qu'elle eût trouvés dans la caisse d'un jeune homme qui avait servi comme volontaire sur le vaisseau : elle vint timidement dans son nouveau costume; mais je louai de tout mon cœur son choix, et je lui promis tant de commodité dans ce changement, qu'enfin elle s'enhardit et rit elle-même avec ses enfans de son costume; elle grimpa comme nous dans son hamac, où, par un sommeil bienfaisant, nous nous préparâmes à de nouveaux travaux.

CHAPITRE II.

Prise de terre ou abordage; premières occupations sur le rivage.

À

Le lendemain, avec l'aube du jour, nous étions tous éveillés et alertes; car l'espérance, ainsi que le chagrin, ne permettent pas de sommeiller long-temps. Aussitôt que nous eûmes fait en commun notre prière, je dis à mes chers enfans: « Maintenant, mes amis, avec le secours de Dieu, nous allons bientôt tenter notre délivrance : avant tout, donnez à manger et à boire à nos pauvres bêtes; donnez-leur de la nourriture pour quelques jours; nous ne pouvons pas les emmener avec nous, mais peut-être pourrons-nous revenir les chercher, si notre voyage réussit. Êtes-vous prêts? Rassemblez ce que nous voulons emporter, ce qui nous est absolument nécessaire pour nos besoins actuels. D'après mon intention, le premier chargement de notre équipage devait consister dans un baril de poudre, trois fusils de chasse et trois carabines, avec grenaille, balles et plomb, autant que je pouvais

en emporter; deux paires de pistolets de poche et une paire de grands pistolets, avec les moules à balles : chacun de mes fils, et leur mère aussi, devait avoir une gibecière bien garnie nous en trouvâmes de très-bonnes dans les chambres des officiers; puis nous prîmes une caisse avec des tablettes de bouillon, une autre pleine de biscuit sec, une marmite de fer, une ligne à pêcher, une caisse de clous, et une autre de différens outils, tels que marteaux, scies, pinces, percets, haches, etc., etc., et de la toile de voiles pour faire une tente. Enfin mes enfans apportèrent tant de choses, qu'il fallut en laisser beaucoup en arrière, quoique je changeasse tout le lest inutile contre des choses nécessaires.

Quand tout fut prêt, nous nous décidâmes à monter dans nos cuves, après avoir encore imploré l'assistance du Très-Haut. Au moment où nous allions partir, nous entendimes inopinément chanter les coqs abandonnés et oubliés, comme s'ils voulaient nous faire leurs tristes adieux : cela me donna l'idée d'emmener avec nous les oies, canards, poules, pi geons; car, dis-je à ma femme, si nous ne pouvons pas les nourrir, ce sont eux qui nous

nourriront.

Mon conseil fut suivi; dix poules, avec un vieux et un jeune coqs, furent mis dans une des cuves, qui fut recouverte de planches; le reste de la volaille eut sa liberté, dans l'espoir qu'elle trouverait d'elle-même le chemin de la terre, les oies et les canards par eau, et les pigeons dans l'air.

Nous attendions ma femme qui s'occupait de ce soin, lorsque nous la vimes venir avec un sac assez gros, qu'elle jeta dans la cuve où était déjà son fils cadet; je crus que c'était uniquement pour l'asseoir et le serrer de manière qu'il n'y eût rien à craindre pour lui, et je ne lui fis aucune question là-dessus. Voici l'ordre de notre embarquement, auquel nous procédâmes d'abord.

Dans la première cuve, sur le devant, se plaça ma femme, digne, pieuse, fidèle épouse, et la plus tendre mère.

Dans la seconde, à côté d'elle, notre petit François, aimable enfant de six ans, annonçant d'heureuses dispositions, mais dont le caractère n'était pas encore décidé.

Dans la troisième, Fritz, notre aîné, garçon de quatorze à quinze ans, à la tête bonne et crépue, plein d'intelligence et de vivacité.

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