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nous, nous saluant avec des cris de triomphe. Il se mit tout de suite à l'ouvrage pour affermir l'échelle, en passant et repassant les bouts de la corde autour de la branche, et le fit avec tant d'intelligence et d'adresse, que j'osai moi-même grimper dessus pour la rendre plus solide encore. Avant de monter, je fis attacher une grosse poulie au bout d'une corde, que je fixai solidement à une branche au-dessus de nous, et que je pouvais atteindre, pour parvenir, au moyen de ce secours, à monter le lendemain les planches et les poutres dont j'avais besoin pour bâtir mon château aérien. J'achevai tout ce travail au clair de la lune; je trouvai que ma journée avait été bien remplie, et je redescendis doucement mon escalier de cordes et de bambous pour rejoindre ma femme et mes enfans. Comme Fritz et Jack me gênaient autour de moi sur le haut de l'échelle, je leur avais dit de descendre les premiers : qu'on juge donc de mon étonnement et de mon effroi en ne les retrouvant en bas ni l'un ni l'autre, et en apprenant de leur mère qu'elle ne les avait pas revus depuis qu'ils étaient montés : je ne comprenais pas ce qu'ils étaient devenus, lorsque j'entendis tout-à-coup, vers la cime de l'arbre,

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des voix qui nous paraissaient venir du ciel, et qui chantaient un cantique du soir. Je reconnus bientôt que c'étaient mes deux petits drôles, qui, pendant que j'étais occupé de mon travail, étaient montés de branche en branche au lieu de descendre. Je les appelai avec le cœur bien allégé de ce qu'il ne leur était rien arrivé de fâcheux, et je les exhortai à revenir avec précaution; il était presque nuit, et la clarté de la lune avait peine à percer à travers cet épais feuillage : ils arrivèrent bientôt sans accident, et tout de suite ils reçurent l'ordre de rassembler nos bêtes, et de ramasser ce qu'il nous fallait de bois sec pour allumer des feux, avec lesquels je voulais mettre notre petite peuplade à l'abri de la visite des chakals. J'expliquai mes intentions à cet égard, et j'appris à mes enfans qu'en Afrique même, où il se trouve tant de bêtes sauvages et féroces, les naturels du pays se garantissent de leurs attaques nocturnes en se mettant sous la protection du feu, que tous ces animaux redoutent.

Quand cela fut fait, ma femme me remit son ouvrage du jour, achevé : c'étaient des courroies de traits et un poitrail pour l'âne et pour la vache; et je lui promis, en récom

pense de sa peine et de son zèle, que le lendemain nous pourrions nous établir entièrement sur son arbre. Pour le moment il n'était plus question que de souper : elle, Ernest et le petit François s'en étaient occupés efficacement. Ernest avait fait deux petites fourches pour soutenir un tournebroche, et il tournait une bonne pièce du porc-épic devant le feu; un autre morceau bouillait dans la marmite, pour nous faire une bonne soupe, et tout cela exhalait une odeur appétissante.

Toutes nos bêtes arrivèrent les unes après les autres. Ma femme distribua du grain à la volaille pour l'accoutumer à se rassembler à cette place; après qu'elle l'eut mangé, nous eûmes le plaisir de voir nos pigeons prendre leur vol vers les branches supérieures de notre grand arbre, et les poules se percher en caquetant sur nos échelons; les quadrupèdes furent attachés aux racines voûtées de l'arbre et dans le voisinage de nos hamacs, et se couchèrent sur l'herbe pour ruminer en paix. Le beau flammant ne fut pas oublié; on lui donna du lait et du biscuit émietté, qu'il mangea fort bien; puis il mit sa tête sous l'aile droite, souleva son pied gauche, et se livra en toute confiance à la douceur du sommeil.

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Enfin arriva pour nous le moment désiré du repas du soir. Nous avions arrangé en tas les petits bûchers que je comptais allumer les uns après les autres, lorsque ma femme nous appela pour le souper, que nous attendions avec impatience, et qui fut trouvé excellent par moi et par mes enfans leur mère, qui ne put se résoudre à goûter du porc-épic, mangea sobrement du pain et du fromage. Pour le dessert, les enfans nous apportèrent des figues qu'ils avaient ramassées sous l'arbre, dont nous nous régalâmes tous; après quoi des baillemens, de petits bras étendus, nous avertirent qu'il était temps de faire reposer nos jeunes ouvriers. Je fis une courte prière du soir, j'allumai quelques tas de rameaux, je préparai les autres pour les allumer successivement, et je vins à mon tour gagner mon hamac; mes petits bons hommes étaient déjà encaissés dans les leurs, et je n'entendis de tous côtés que des gémissemens de ce qu'ils étaient couchés si à l'étroit et sans pouvoir remuer. « Ha, ha! messieurs, leur dis-je, vous vous étiez tant réjouis de coucher dans des hamacs! il faut bien vous y habituer et vous en servir comme les matelots qui y dorment à merveille. » Je leur in

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diquai la manière d'y être à leur aise en se couchant obliquement et se balançant doucement, le sommeil arrive bientôt comme dans les meilleurs lits. Après quelques essais et quelques soupirs, ils y parvinrent; tout fut endormi paisiblement, à l'exception de moi, qui voulais veiller cette nuit-là à la sûreté générale.

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