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CHAPITRE XI.

Etablissement sur l'arbre.

CETTE nuit ne se passa pas sans inquiétude de ma part pour la sûreté de tous les miens; je n'entendais pas bouger une feuille, que je ne crusse que c'était un chakal ou un tigre qui venait dévorer mes enfans : dès qu'un de mes petits bûchers était consumé, j'allumais le suivant; mais voyant enfin qu'aucun animal ne paraissait, je me calmai un peu, et sur le matin le sommeil s'empara si puissamment de moi, que je m'éveillai le lendemain trop tard pour l'ouvrage du jour. La plupart de mes enfans étaient déjà debout; nous fîmes la prière, nous déjeunâmes, et nous commençâmes le travail. Ma femme, après avoir fait son ouvrage accoutumé du matin, c'est-à-dire après s'être occupée à traire la vache, à préparer le déjeuner pour nous et nos bêtes, partit avec Ernest, Jack, le petit François et l'âne, pour aller au bord

de la mer chercher quelques charges de bois que les vagues y jetaient en quantité.

Pendant ce temps-là, je montai avec Fritz sur l'arbre, et je fis les préparatifs nécessaires pour nous y arranger avec commodité. Tout y était à souhait des branches très - rapprochées les unes des autres, quelques-unes plus fortes, qui sortaient horizontalement du tronc et s'élevaient dans les airs; celles qui ne parurent pas placées convenablement, furent sciées ou coupées avec la hache je laissai toutes celles qui se trouvaient de niveau, et qui s'étendaient le plus au dehors, pour établir mon plancher; au-dessus de celles-ci, à la hauteur de quarante-six pieds, j'en ménageai quelques autres pour y suspendre nos hamacs; et plus haut, une série de branches serrées fut destinée à recevoir la couverture de mon toit, qui, provisoirement, devait consister seulement dans un grand morceau de toile de voile.

La marche de ces préparatifs était assez lente; il s'agissait de monter plusieurs poutres fort lourdes, et ma femme et ses petits aides avaient grand peine même à les soulever; heureusement j'avais le secours de ma poulie, qui me fut très-utile: ma femme et

cette

mes fils les attachaient en bas, et moi je les tirais avec Fritz pièce à pièce. Lorsque j'eus assuré deux poutres sur les branches, je posai des planches dessus, et je fis mon plancher double, pour qu'il fût plus solide, si les poutres venaient à se déranger; je formai ensuite une espèce de parapet tout autour avec d'autres planches, pour qu'il n'y eût pas de danger de tomber en dehors. Ce travail, et le troisième voyage pour aller au bord de la mer chercher le bois nécessaire, remplirent tellement notre matinée, que personne ne pensait au dîner; il fallut pour fois nous contenter de lait et de jambon. Aussitôt après ce frugal repas, nous nous remîmes à l'ouvrage pour finir notre palais aérien, qui commençait à se montrer avec avantage; nous détachâmes les hamacs et les pièces de toile des racines où nous les avions accrochés, et, avec la poulie, nous les montâmes roulés, nous sans beaucoup de peine, dans notre nouveau gîte; la toile fut étendue sur les branches ombragées, au-dessus de la demeure: comme cette toile était très-grande, et qu'elle descendait des deux côtés, j'eus l'idée de la chouer au parapet, et de former ainsi non-seulement un toit, mais encore deux

parois; l'immense tronc de l'arbre nous en formait une troisième. Je n'avais fait notre établissement que sur un des côtés, pour être appuyé contre le tronc; le quatrième côté formait au-devant l'entrée de notre appartement je le laissai ouvert, tant pour savoir ce qui se passait au dehors, que pour nous procurer un courant d'air dans cette température brûlante; nous avions aussi de ce côtélà une vue très-étendue et très-libre vers le rivage et sur la vaste mer. Les hamacs furent bientôt suspendus aux branches préparées à cet effet, et tout fut prêt pour y coucher le même soir.

Content de mon ouvrage, je descendis avec mon aîné, qui m'avait aidé dans ce travail assez pénible, et comme la journée n'était pas encore très-avancée, et que je trouvai en bas quelques planches de reste, nous nous mîmes tout de suite à fabriquer une grande table entourée de bancs entre les racines de notre arbre, et ce fut la place destinée à notre salle à manger. Cet ouvrage fut fait à la légère, parce que j'avoue que j'étais fatigué; cependant le tout fut très-supportable, et fit grand plaisir à la bonne ménagère, occupée à faire le souper pendant que je faisais la table.

Durant ce temps-là, mes trois petits garçons ramassaient avec soin tous les débris des bois que nous avions coupés sur l'arbre; ils en firent des faisceaux qu'ils dressèrent à une place un peu écartée du foyer, et ayant assez de soleil pour les faire sécher. Je sciai et coupai encore toutes les branches basses, pour augmenter notre provision de bois de consommation..

Absolument épuisé par la fatigue des travaux de la journée, je me jetai sur un banc en essuyant la sueur qui coulait de mon front. « Vraiment, dis-je à ma femme, j'ai travaillé aujourd'hui comme un forçat, mais demain je me permettrai du repos. Tu le peux

et même tu le dois, me répondit-elle, car j'ai calculé que demain sera un dimanche. Malheureusement nous en avons déjà passé un sur cette côte, sans y penser, dans les soucis et les travaux.

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Bien, bien, chère amie; je te remercie d'y avoir songé, et je te promets que le jour saint sera célébré demain comme il doit l'être. J'ai bien remarqué aussi que nous n'avions pas observé le dimanche; mais j'ai cru, je l'avoue, que cette omission était pardonnable dans le besoin de nous sauver et d'assurer

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