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notre existence sur cette plage déserte, où il a plu à Dieu de nous conduire, et où nous sommes sous sa protection immédiate; mais à présent que, par sa grâce, nous voilà bien établis, et en sécurité, nous serions très-coupables si nous négligions son saint service, et si nous ne célébrions pas plus solennellement que par notre prière journalière le jour qui lui est consacré.

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Je t'assure que je me réjouis du fond du cœur d'employer entièrement la journée de demain à remercier Dieu, qui a sauvé, dans un aussi grand péril, tout ce qui m'était cher, et qui me donne sur cette terre étrangère, non-seulement ce qu'il faut pour vivre, mais aussi ce qui peut rendre la vie agréable. Je ne pourrais avoir nulle part une habitation plus à mon gré que celle que tu m'as préparée, sur cet arbre; je veux y grimper ce soir avec vous tous, et je me réjouis, comme un enfant, de cette première nuit passée dans les airs. Nous allons promptement souper et nous coucher sans dire un mot du dimanche à nos enfans; je me fais une fête de les surprendre en leur annonçant un jour de repos et de récréation auquel ils ne s'attendent point.

Et moi, chère amie, lui dis-je en l'embras

sant, je me réjouis de te voir aussi résignée à ton sort, aussi contente même, en examinant l'ouvrage de tes apprentis charpentiers. A présent, voyons ce que tu nous as préparé pour notre récompense; rassemble nos enfans; je sens que j'ai besoin de quelque restaurant après un si rude travail. »

Tout notre monde fut bientôt réuni autour de la table. La bonne mère arriva, tenant dans ses deux mains un pot de terre que nous avions vu long-temps auprès du feu : nous étions tous curieux de savoir ce qu'il renfermait quand le couvercle fut levé, elle en tira avec une fourchette le flammant que Fritz avait tué; elle nous dit qu'elle avait mieux aimé le faire cuire en daube que de le mettre à la broche, parce qu'Ernest lui avait assuré que c'était une vieille bête qui serait dure et coriace, et lui avait conseillé de chercher à l'attendrir par la cuisson. Nous raillâmes notre petit gourmand de sa précaution, et ses frères ne l'appelèrent plus que le cuisinier; mais nous finîmes par trouver qu'il avait eu raison : cet oiseau qui, rôti, aurait peut-être été immangeable, nous parut excellent, et fut dévoré, rongé jusqu'au plus petit os.

Pendant que nous disséquions ainsi notre

flammant en buvant à la santé du cuisinier, du chasseur et de la bonne mère, celui qui était en vie arriva tout paisiblement autour de nous au milieu de nos poules, pour avoir sa part du repas, sans se douter que son camarade en faisait les frais; il s'était tellement apprivoisé, que nous l'avions détaché de son pieu; il se promena avec gravité dans les environs, et ne fit pas mine de vouloir nous quitter. Son beau plumage flattait notre vue, pendant que d'un autre côté les gentillesses et les grimaces de notre petit singe nous donnaient le plus plaisant des spectacles : il était complètement familiarisé avec nous tous, sautait d'une épaule à l'autre, attrapait ce qu'il pouvait de nos repas, et le mangeait si plaisamment, que nous en riions tous aux éclats. Pour augmenter notre gaîté, notre grosse laie, qui jusqu'alors s'était montrée très-insociable, et qui nous manquait depuis deux jours, arriva en grognant; mais cette fois ses grognemens indiquaient la joie de nous avoir retrouvés : elle était réciproque; ma femme lui prouva la sienne en lui donnant à boire, pour sa bien-venue, tout ce qui nous restait de lait de la traite du soir.

J'avoue que je la trouvai un peu trop géné

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reuse; mais elle me fit observer que jusqu'à ce que nous eussions des ustensiles propres à faire du beurre et du fromage, il valait mieux profiter du lait de cette manière, que de le laisser gâter dans un climat si chaud sans en faire usage, n'ayant ni cave ni laiterie pour le tenir au frais : « Il est de plus néces saire, ajouta-t-elle, de ménager le sel et le grain, qui tendent à leur fin, et les cochons aimant beaucoup le laitage, c'est un moyen de retenir le nôtre auprès de nous, que de lui en donner.

-Tu as toujours raison, excellente femme, lui dis-je; nous irons au plus tôt te chercher du sel et faire encore un voyage au vaisseau échoué, où nous renouvellerons les provisions de grain pour ta volaille.

-Encore ce vaisseau! dit-elle avec tristesse et dépit; je n'aurai de vrai bonheur que lorsqu'il sera tout-à-fait au fond de la mer, et que vous n'y penserez plus; chaque fois que vous y allez je suis dans des angoisses mortelles, et vraiment il y a beaucoup de danger.

-Je conviens, répliquai-je, qu'il peut y en avoir, mais nous choisissons pour ce trajet un beau temps, une mer calme, et, à mon avis, nous serions impardonnables si, par des crain

tes et des soucis exagérés, nous négligions de sauver et de nous approprier des choses qui nous sont si utiles, et que la Providence paraît nous avoir réservées. »>

Pendant cette conversation, mes fils, par mon ordre, avaient allumé un de nos tas de bois pour protéger notre bétail; quand cela fut fait, nos braves chiens furent attachés à des cordes qui passaient librement sous leur collier et arrivaient jusque sur l'arbre, pour qu'au premier aboiement je pusse les lâcher contre l'ennemi. Chacun désira d'aller se coucher, et le signal de grimpade fut donné. Mes trois aînés furent bientôt en haut; vint ensuite le tour de la mère, qui monta plus lentement et avec précaution, mais qui arriva enfin heureusement. Mon ascension fut la dernière et la plus difficile : je portais sur mon dos mon petit François, et j'avais détaché l'échelle en bas pour pouvoir la retirer; j'eus donc assez de peine à monter, à cause de son balancement; j'y parvins cependant, et, au grand plaisir de mes fils, je tirai l'échelle en haut; il leur semblait que nous étions dans un de ces châteaux forts des anciens chevaliers, où, lorsqu'on a levé le pont, on est à l'abri de toutes les attaques. Je prépa

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