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nos bêtes; c'est un ouvrage que Dieu permet, même le dimanche; pendant ce temps-là, je réfléchirai un peu à l'histoire que je veux vous raconter, et ensuite vous l'entendrez. » On fit selon mes ordres paternels. Après la prière, nous descendîmes de l'arbre, nous fîmes un bon déjeûner de lait chaud; nous eûmes soin de nos bestiaux, puis nous nous assîmes sur l'herbe tendre, mes petits garçons, impatiens et curieux, les yeux fixés sur moi, leur mère dans une silencieuse réflexion, les mains jointes, et le regard souvent tourné vers le ciel, et moi avec le plus vif désir de graver profondément dans le jeune cœur de mes enfans ce que je regardais comme tout ce qu'il y a de plus important et pour ce monde et pour l'autre.

Après avoir fait debout la prière des liturgies saintes, que je savais par cœur, et chanté quelques versets du psaume cXIX, que tous mes enfans avaient appris, nous nous rassîmes, et je commençai :

Mes chers enfans, il y avait une fois un grand roi dont le royaume s'appelait le pays de la Réalité et du Jour, parce que la lumière la plus pure et la plus douce y régnait conti

nuellement, et qu'on y était ainsi dans une activité perpétuelle. Sur les frontières les plus éloignées, et tout-à-fait du côté du nord, il y avait une autre contrée qui appartenait aussi au grand Roi, mais dont personne que lui ne connaissait l'immense étendue; depuis des temps infinis on en conservait un plan exact dans les archives. Ce second royaume s'appelait le royaume de l'Insensibilité ou de la Nuit, parce que tout y était sombre et inactif.

» Dans la partie la plus fertile et la plus agréable de son empire de Réalité, le grand Roi avait une résidence nommée Bourg céleste, où il demeurait et tenait sa cour, qui était la plus brillante dont l'imagination puisse se former une idée. Des milliers de ses gardes et de ses serviteurs, élevés en dignité, étaient autour de lui, et un bien plus grand nombre prêts à recevoir ses ordres. Les premiers étaient vêtus d'une étoffe plus légère que la soie, et blanche comme la neige; car le blanc, image de la pureté, était la couleur favorite du grand Roi. D'autres avaient en main des glaives étincelans, et ils étaient vêtus des plus brillantes couleurs de l'arc-en-ciel; chacun d'eux se tenait prêt à exécuter les volontés du

Roi au premier signe, et avec la rapidité de l'éclair. Tous étaient heureux d'être admis en sa présence; leur visage, resplendissant de la plus douce joie, portait l'empreinte du calme, de la sérénité, de l'absence de toute inquiétude et de toute peine ; ils n'étaient entre eux tous qu'un cœur et qu'une âme; un accord fraternel les liait tellement, qu'il n'y avait jamais parmi eux ni rivalité ni jalousie : l'amour pour leur souverain était le centre commun où se réunissaient leurs pensées et tous leurs sentimens; il aurait été impossible de les voir ou de converser avec eux sans désirer passionnément, et au prix de tous les sacrifices, d'obtenir leur amitié et de jouir du même sort. Dans le reste des habitans du Bourg céleste se trouvaient aussi d'autres bourgeois moins rapprochés du grand Roi; mais ils étaient tous bons, tous heureux, et riches par les bienfaits du monarque, et, ce qui était encore au-dessus, ils recevaient sans cesse des marques de sa bonté; car tous ses sujets étaient égaux à ses yeux; il les aimait, il les traitait comme ses enfans.

» Le grand Roi avait encore, outre les deux royaumes dont je vous ai parlé, une île

très-considérable et inhabitée, qu'il désirait peupler et faire cultiver, car tout y était dans une espèce de chaos; il la destinait pour être, pendant quelques années, le séjour des futurs bourgeois qu'il comptait recevoir dans sa résidence, car il voulait y admettre peu à peu tous ceux de ses sujets qui s'en rendraient dignes par leur bonne con- / duite cette île s'appelait Demeure terrestre; celui qui y aurait passé quelque temps, et qui se serait rendu digne d'une récompense par ses vertus, son application au travail et au défrichement de ce pays, serait reçu ensuite au Bourg céleste, et ferait partie de ses heureux habitans.

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» Pour atteindre à son but, le grand Roi fit équiper une flotte qui devait transporter les nouveaux colons dans cette ile; il les prit dans le royaume de l'Obscurité, et leur accorda ainsi, pour premier bienfait, la jouissance de la lumière et d'une belle nature, dont ils avaient été jusqu'alors totalement privés dans leur demeure sombre et inconnue : on comprend combien ils arrivaient joyeux et contens, du moins lorsqu'ils s'étaient un peu accoutumés à tous les objets nouveaux

qui frappaient leurs yeux débiles. Cette ile était belle et fertile lorsqu'elle était cultivée ; le grand Roi bienfaisant donnait à chacun de ceux qui y abordaient ce qui lui était nécessaire pour y passer le temps qu'il avait fixé, et tous les moyens d'obtenir la certitude d'être admis dans la magnifique demeure du souverain, et d'en devenir bourgeois en sortant de l'île terrestre il ne fallait : pour cela que s'occuper sans relâche à des travaux utiles, et obéir strictement aux ordres du grand Roi, qu'il fit connaître à ses sujets. Il leur envoya son fils unique, et voici ce qu'il leur dit de la part de son père :

« Mes chers enfans, je vous ai appelés du royaume de la Nuit et de l'Insensibilité pour vous rendre heureux par la vie, le sentiment et l'activité; mais la plus grande partie de votre bonheur dépendra de vous-mêmes; vous serez heureux, si vous voulez l'être : si c'est là votre sincère désir, n'oubliez jamais que je suis votre bon roi, votre tendre père, et observez fidèlement ma volonté dans la culture du pays que je vous ai confié. Chacun recevra, à son débarquement dans l'ile, la portion de terre qui lui est destinée; mes or

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