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dessus d'eux; que s'il y en avait un, il visiterait ses États et se ferait voir quelquefois. D'autres croyaient bien que le grand Roi existait; mais, disaient-ils, il n'a besoin ni de nous ni de notre service, puisqu'il est si grand, si heureux et si puissant : n'est-il pas trop élevé pour s'informer seulement d'une petite colonie aussi éloignée ? Quelques-uns assuraient que le miroir magique était une fable; que le Roi était trop bon pour entretenir des galères; qu'il n'avait point de mines souterraines, et que tout le monde entrerait à la fin dans son Bourg céleste. On célébrait encore par habitude le premier jour de la semaine, mais la moindre partie en était consacrée à honorer le grand Roi : beaucoup se dispensaient d'aller à l'assemblée générale, ou par paresse, ou pour faire quelque travail, malgré la défense expresse; la plus grande partie pensait que le jour du repos n'était destiné qu'au plaisir, et dès le matin ils ne songeaient qu'à se parer et à s'amuser. Il n'y avait donc qu'un très-petit nombre de gens qui le célébraient d'après sa destination; et même dans ceux qui se rendaient exactement à l'assemblée, au lieu d'écouter ce que leur disaient

les préposés du souverain, ils étaient ou distraits, ou endormis, ou occupés de mauvaises pensées. Cependant le grand Roi suivait la marche immuable qu'il avait annoncée; de temps en temps parurent quelques frégates qui portaient les noms désastreux de plusieurs maladies, et qui étaient suivies d'un gros vaisseau de ligne nommé le Tombeau, sur lequel l'amiral Mort faisait flotter son pavillon de deux couleurs, verte et noire il montrait aux colons, suivant la situation dans laquelle il les trouvait, ou la riante couleur de l'espérance, ou la sombre couleur du désespoir.

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» Cette flotte arrivait toujours sans être annoncée, et ne faisait nul plaisir à la plupart des habitans. L'amiral envoyait les capitaines de ses frégates se saisir de ceux qu'il avait ordre d'emmener bien des planteurs qui n'en avaient nulle envie furent subitement embarqués; d'autres, qui avaient tout préparé pour leur récolte, et dont le terrain était dans le meilleur état, le furent aussi; mais ceux-là partaient gaîment et sans crainte, sachant bien quel bonheur les attendait : c'étaient ceux qui avaient le plus mal cullivé leur terrain qui partaient à contre

cœur; il fallait même quelquefois employer la force pour les y contraindre; la résistance ne servait à rien. Quand la flotte fut chargée, l'amiral cingla vers le port de la résidence royale, et le grand Roi, qui s'y trouva présent, répartit avec une sévère justice les récompenses et les punitions qu'il avait annoncées. Toutes les excuses que les colons négligens alléguaient pour leur justification furent inutiles; ils allèrent travailler aux mines et aux galères, tandis que les bons insulaires qui avaient obéi au grand Roi et bien cultivé leur terrain, furent admis dans Bourg céleste, revêtus de robes brillantes et élevés à différens grades, suivant qu'ils les avaient plus ou moins mérités. »J'ai fini ma parabole, mes chers enfans; puissiez-vous l'avoir comprise et la mettre à profit! faites-en le sujet de vos réflexions pendant cette journée. Toi, Fritz, mon aîné, tu es là tout pensif; dis-moi ce qui t'a le plus frappé dans ma narration.

FRITZ. La bonté du grand Roi, et l'ingratitude des colons, mon père.

LE PÈRE. Et toi, Ernest?

ERNEST. Et moi, je les trouve d'une bêtise excessive de n'avoir pas mieux calculé: que

gagnaient-ils à se conduire ainsi? Avec un peu de soins et de peine ils pouvaient déjà passer une vie agréable dans l'île, et de là aller sûrement à Bourg céleste.

JACK. Aux galères, aux mines, messieurs; vous l'avez bien mérité!

FRANÇOIS. Pour moi, j'aurais bien préféré aller vers ces beaux hommes habillés comme l'arc-en-ciel ah! que cela doit être beau!

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LE PÈRE. Fort bien, mes enfans; chacun, suivant son âge et son caractère, a saisi le sens de ma parabole. Je vous ai représenté, par cette image, la conduite de Dieu envers les hommes, et celle des hommes envers Dieu voyons maintenant si vous en avez bien saisi le sens. » Je leur fis alors des questions; je leur expliquai ce qu'ils n'avaient pas compris parfaitement, et après un court examen des principaux points de mon discours, je le terminai par une application morale.

« Nous autres hommes, dis-je, nous sommes ici-bas les colons de Dieu; nous devons, pour un peu de temps, faire nos épreuves et partir ensuite plus tôt que plus tard. Notre destination ultérieure est le ciel, et la parfaite

béatitude dans la communauté avec des êtres plus relevés et plus parfaits, et dans la présence de notre père miséricordieux. La culture qui a été confiée à chacun de nous est son âme, et, suivant qu'il la cultive et l'ennoblit, ou qu'il la néglige et la déprécie, sera tout naturellement son sort futur et ce qu'il doit attendre. A présent, chers enfans, que vous savez le vrai sens de ma parabole, faites-vous en l'application, chacun selon votre conscience: toi, Fritz, pense aux planteurs de pommes sauvages qu'il veulent faire pasdes fruits doux et svaoureux, d'une nature supérieure: ce sont ceux qui font parade de quelques vertus naturelles qui tiennent à leur caractère, et qu'ils n'ont par conséquent aucune peine à exercer, telles que le courage, la force; qui les préfèrent aux qualités plus essentielles que d'autres ont acquises avec travail; et qui, pleins de présomption et de fierté, se regardent comme irréprochables, parce que la nature leur a donné de la force, du courage ou de l'adresse.

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Toi, Ernest, pense aux cultivateurs des jardins anglais et de jolis arbres sans fruits :

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