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cher petit cadet, et je me mis à l'ouvrage. Après avoir donné à Jack ce qu'il demandait avec instance, je l'instruisis comment il devait d'abord faire sortir le sable que j'avais introduit, dans les roseaux, comment il parviendrait à adapter les pointes et à consolider ce travail avec de la ficelle et de la colle.

« Oui, oui, me dit Jack en secouant sa mutine tête; c'est fort bien, papa, ayez seulement à présent la bonté de m'indiquer la boutique du marchand de colle, pour que j'aille en acheter.

Je te l'apprendrai, moi, dit en riant le petit François; adresse-toi à maman, elle te donnera une de ses tablettes de bouillon, qui ressemble parfaitement à un morceau de colleforte.

Petit imbécile lui dit Jack, crois-tu qu'il suffise que cela y ressemble? J'ai besoin de colle, et non d'un consommé.

LE PERE. Pas si imbécile, M. Jack: la vérité sort souvent de la bouche des enfans, et vous ferez fort bien de suivre le conseil de

:

ce petit garçon pour moi, je suis convaincu qu'une tablette de viande fondue dans trèspeu d'eau, puis épaissie par la cuisson, doit faire une très-bonne colle; prends-en une, mets-la sur le feu dans une coque de noix de coco; il faut au moins en faire l'essai. »

Pendant que Jack préparait sa colle, et que François, fier de l'avoir inventée, lui aidait en soufflant le feu, Fritz vint me demander des explications sur la fabrique de son étui: «Va chercher la peau, lui dis-je, et tu travailleras près de moi. » Je m'assis sur l'herbe, je pris mon couteau, et je commençai à faire un petit arc pour François, avec un reste de bambou. J'étais enchanté qu'ils prissent tous la fantaisie de tirer de l'arc, et je désirais que par l'habitude ils pussent se perfectionner à cet exercice, qui était l'arme des anciens guerriers, et pouvait devenir par la suite notre seul moyen de défense et de subsistance: notre provision de poudre finirait par s'épuiser, nous pouvions la perdre d'un moment à l'autre par un accident; il était donc très- utile d'avoir un autre moyen de chasser, et de tuer notre gibier et nos ennemis. Les Caraïbes, pensais-je, parviennent

très-jeunes à toucher de leur flèche, à la distance de trente ou quarante pas, au milieu d'une circonférence de la surface d'un écu; ils tirent les plus petits oiseaux au sommet des plus grands arbres; mes petits garçons peuvent parvenir à en faire autant, et je veux les pourvoir d'arcs et de flèches, que je tâcherai aussi de perfectionner.

Pendant que je réfléchissais à cela en travaillant à l'arc de François, Ernest, qui m'avait regardé faire mon ouvrage pendant quelque temps, s'échappa sans être aperçu ; comme au même moment Fritz arrivait avec

la

peau mouillée du chat tigré, je ne remarquai pas ce qu'Ernest était devenu. Je commençai mes instructions à mon aîné sur le métier de tanneur; je lui appris à bien dégraisser la peau en la frottant avec du sable et la remettant dans l'eau courante, jusqu'à ce qu'elle n'eût plus vestige de chair et qu'elle fût sans odeur; je lui conseillai ensuite, pour l'assouplir, de la frotter avec du beurre salé, de l'étendre en tout sens jusqu'à ce qu'elle devînt flexible, et d'employer aussi à cela quelques-uns des œufs de nos pous, si sa maman voulait lui en céder, puis recommen

cer avec des cendres chaudes. « Tu ne feras pas encore, lui dis-je, des étuis aussi beaux que ceux qui sortent des fabriques anglaises; mais, avec de la patience, et en ne plaignant ni ton temps ni ta peine, tu peux en avoir de très-propres, et qui te feront d'autant plus 'de plaisir, qu'ils seront de ta chasse et de ton ouvrage, Quand la peau sera ainsi préparée, coupe de petits morceaux de bois de la forme et de la dimension des quatre cuisses du chat, partagés en deux; creuse chaque partie avec un ciseau, de manière que les services de table puissent y entrer facilement; tu tireras ensuite sur ces espèces d'étuis la peau mouillée, de façon qu'elle dépasse un peu le bois et le garnisse à l'entrée; puis tu la laisseras sécher et s'adapter d'elle-même sur ces moules: alors ton ouvrage sera fini, et te fera honneur.

FRITZ. Je compreds fort bien, et j'espère réussir; mais si je prenais du liége pour mes moules, les étuis seraient plus légers et plus commodes à porter.

LE PÈRE. Sans aucun doute; mais où prendras-tu du liége, et comment le couper et le

creuser? C'est un bois revêche, et qui résiste

au couteau.

FRITZ. Oh! si vous vouliez me permettre de prender un des corselets de liége dans lesquels nos brebis ont nagé, j'essaierais de le creuser avec du feu.

LE PERE. A la bonne heure, mon fils; j'aime qu'on invente, qu'on cherche ce qu'il y a de mieux. Nous avons en effet plusieurs de ces corselets, et j'espère que nous n'en aurons plus besoin; prends-en un, mais ne va pas le gâter en le brûlant. Qu'est-ce qu'il y a donc, mère, que tu secoues la tête? Tu n'as pas l'air satisfaite de l'ouvrage de ton fils?

LA MERE. De son ouvrage, oui, s'il en vient à bout; de sa destination, non, pas du lout. Croyez-vous que je vous donnerai ainsi les services d'argent du capitaine, pour les traîner avec vous dans vos courses, et risquer de les perdre? Je ne les regarde point comme étant à nous. Que dirons-nous au capitaine si nous le retrouvons un jour.

JACK. Que sans nous ils seraient au fond de la mer, où les requins ne les lui rendraient pas; que c'est nous qui les avons sauvés, et

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