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dessus de nos têtes, les autres perchés sur des pointes de rochers à l'entrée de la baie : leurs cris prirent bientôt le dessus, étant en plus grand nombre; ils nous assourdirent d'autant plus qu'ils n'étaient point d'accord avec l'harmonie de nos musiciens emplumés et . mieux civilisés. Cependant tout ce peuple ailé et sauvage me fit plaisir; je le voyais déjà nous servant de nourriture, si nous devions rester sur cette plage déserte.

La première chose que nous fîmes en arrivant sains et saufs sur la terre ferme, fut de remercier à genoux l'Être suprême, à qui nous devions la vie, de lui rendre grâce de sa protection divine, et de nous recommander avec abandon de cœur et une entière résignation aux soins de sa bonté paternelle.

Ensuite nous nous occupâmes à décharger notre bâtiment. Oh! combien nous nous trouvâmes riches du peu que nous avions sauvé ! Nous cherchâmes une place commode pour établir une tente à l'abri des rochers : dès que nous l'eûmes trouvée, elle fut bientôt tendue. Nous assujettîmes fortement une perche dans une fente de rocher; elle formait le faîte de la tente, et reposait sur une perche à voile plantée dans la terre de cette manière elle

fut très-ferme, et à l'abri d'être renversée; la toile fut ensuite tendue par dessus, et affermie par terre, des deux côtés, avec des pieux : par précaution, nous chargeâmes encore les bords de caisses de provisions, et d'autres choses pesantes, et nous attachâmes des crochets au bout de la toile sur le devant, pour pouvoir en fermer l'entrée pendant la nuit. Alors je recommandai à mes fils de chercher autant de mousse et de foin sec qu'ils pourraient en ramasser, et de les mettre sécher au soleil, pour en faire notre couche; et pendant cette occupation, où même le petit François pouvait être employé, je construisis, à quelque distance de la tente, près du ruisseau qui devait nous fournir d'eau douce, une espèce de petite cuisine c'était un foyer de pierres plates que je trouvai dans le lit du ruisseau. Je rassemblai aussi une quantité de branches sèches avec les plus grosses, je fis une espèce de petit enclos autour du foyer; avec les petites, j'allumai, en battant mon briquet, un feu réjouissant et pétillant en vives flammes: un pot rempli d'eau avec des tablettes de bouillon, fut mis dessus, et la bonne mère, ayant son petit François pour marmiton, fut chargée de la

-préparation du dîner. François crut, à la couleur des tablettes, que c'étaient des tranches de colle-forte. « Qu'est-ce que papa doit donc coller? demanda-t-il. - Rien; je veux faire de la soupe au bouillon, lui dit sa mère en riant, -Ah oui! répondit-il. Et où prendrons-nous la viande pour la faire, ici où il n'y a ni boucher ni boucherie ?

-Petit fou! lui dis-je, ce que tu prends pour de la colle, c'est de la viande réduite ainsi en gelée à force de cuire, et qui étant séchée ne segâte point; on peut ainsi la transporter dans de longs voyages sur mer, où l'on ne peut prendre assez de bétail pour nourrir tout l'équipage, et où la viande salée ne ferait pas de bonne soupe; celle-ci sera excellente, je te le promets. » Le pauvre petit avait bien faim, et dit qu'il se réjouissait d'en manger.

Pendant ce temps-là Fritz avait chargé nos fusils; il en prit un et s'éloigna du côté do ruisseau. Ernest, à qui il proposa de l'accompagner, lui dit que cette côte montueuse et pierreuse ne le tentait point, et s'en alla rôder à droite, du côté du rivage. Jack se dirigea contre une paroi de rocher qui s'avançait jusqu'au bord de la mer, pour prendre des moules qui y étaient attachées. Pour moi,

j'essayai de tirer sur le rivage les deux tonneaux répêchés, et je n'en pus venir à bout; notre place de débarquement, très-commode pour le bateau, avait trop de profondeur perpendiculaire pour ramener les tonneaux. Pendant que je m'inquiétais en vain pour trouver un meilleur bord, j'entendis, à une certaine distance, pousser des cris affreux, et je reconnus la voix de mon petit Jack. Je saisis ma hache, et je courus, plein d'angoisse, à son secours; quand je l'aperçus, il était dans l'eau, dans un bas-fond, en ayant au plus jusqu'aux genoux ; et une grosse écrevisse de mer le tenait par la jambe avec ses pinces; le pauvre petit poussait des cris pitoyables, et faisait d'inutiles efforts pour s'en débarrasser. Je sautai aussitôt dans l'eau : à peine cet hôte incommode eut-il remarqué mon approche, qu'il lâcha l'enfant pour se sauver en pleine eau; mais je ne l'entendais pas ainsi, et je voulais qu'il payât la peur qu'il nous avait faite. Je le saisis donc avec précaution par le corps, et je l'emportai, suivi de Jack, qui poussait des cris de joie et de triomphe : il désira porter lui-même à sa mère cette belle capture, et voyant qu'elle ne me faisait aucun mal, par la manière dont je la tenais,

il voulut s'en saisir; mais à peine fut-elle entre ses mains, qu'elle lui donna un coup si violent de sa queue sur la joue, qu'il se laissa tomber, et recommença ses cris. Je ne pus m'empêcher de rire, et de railler le petit fanfaron du soufflet qu'il avait reçu. Alors, dans sa colère, il prit vivement une pierre, et tua l'écrevisse en la lui jetant sur la tête, qu'il lui fracassa. Je fus fâché de cette action : « Cela s'appelle tuer son ennemi à terre, lui dis-je; Jack, il ne faut pas se venger, ni agir dans sa colère : si cette écrevisse t'a pincé, tu voulais la manger, ainsi vous êtes bien à deux de jeu : une autre fois, sois, je te prie, plus prudent et plus doux. Pourtant, papa, me dit-il, vous me permettez de la porter à ma mère ? » Il la prit sans plus courir de risque, et la porta à notre cuisine. « Maman, une écrevisse de mer! dit-il d'un air triomphant; Ernest, une écrevisse de mer! Où est donc Fritz? Prends garde, François, elle va te mordre. » Alors tous se mirent autour de lui à regarder la bête merveilleuse, et s'étonnèrent plus de sa grandeur énorme que de sa forme, qui est exactement la même que celle des écrevisses d'eau douce.

« Oui, oui, regardez, disait Jack en soule

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