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vant une de ses pates avec fierté, c'est avec ces terribles pinces que cette coquine m'a pris par la jambe, et je crois que si je n'avais pas eu un bon pantalon de matelot, elle me l'aurait coupée; oh ! mais aussi je l'en ai bien punie.

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-O le petit fanfaron ! lui dis-je, cette écrevisse t'aurait joliment arrangé si je n'étais venu à ton secours ! et cette bonne tape de sa queue sur ta joue, qui t'a obligé de la lâcher ! Elle te frappait de ses propres armes, tu as dû avoir recours à une grosse pierre pour te défendre ce combat, mon pauvre Jack, ne doit pas te rendre bien fier. » Ernest, qui s'occupait toujours beaucoup de ses repas, dit d'abord qu'il fallait la jeter dans le pot au bouillon, auquel elle donnerait un très-bon goût; mais sa mère ne voulut pas entendre cela, et lui dit que nous devions mieux ménager nos provisions, et que la grosse écrevisse nous donnerait seule à dîner une autre fois. Pour moi, j'allai examiner le bas-fond où Jack avait été pincé, pour amener par la mer mes deux tonneaux au rivage; je les fis rouler jusque là, puis je les dressai sur leurs fonds, pour qu'ils ne pussent retourner en arrière.

En revenant auprès de mes enfans je louai Jack de ce qu'il avait fait la première chasse heureuse, et je lui promis pour sa part la pate entière de l'écrevisse qui lui avait si bien serré le mollet; ce fut là sa récompense.

« Moi aussi, s'écria Ernest, j'ai vu quelque chose qui est, dit-on, très-bon à manger; mais je n'ai pu l'avoir, parce qu'il était dans l'eau, et qu'il aurait fallu me mouiller les jambes.

-Oui, dit Jack, je l'ai bien vu aussi; c'étaient de vilaines moules, dont, pour rien au monde, je ne voudrais manger; parlez-moi de ma bonne écrevisse !

--Et moi, je crois que ce sont des huîtres, dit Ernest; elles sont appliquées contre le pied du rocher, et pas très-profondément.

-Oh bien! monsieur le délicat, qui crains si fort l'eau, lui dis-je en riant, puisque tu connais la place, tu auras la bonté d'y retourner, et d'en apporter pour notre premier repas; dans notre fâcheuse position il faut que chacun de nous coopère activement au bien commun, et ne craigne pas de se mouiller les pieds: tu vois que le soleil nous a bientôt séchés, ton frère et moi.

-Je veux aussi, dit-il, prendre en même

temps du sel, que j'ai vu en abondance près de la mer, dans les fentes de rochers, où sans doute il a été cuit par le soleil ; j'en ai goûté, et il est excellent: ne pensez-vous pas, mon père, que l'eau de mer l'a déposé là ?

- Eh mais sans doute éternel raisonneur d'où veux-tu qu'il soit venu? Il aurait mieux valu en apporter tout de suite un sac plein, que de réfléchir si profondément pour la chose la plus simple et la plus naturelle; et si tu ne veux pas manger une soupe fade, cours chercher ce que tu as découvert. »

Il y alla. Ce qu'il nous apporta était sans doute du sel marin, mais si mêlé de terre et de sable que je fus sur le point de le jeter; ma femme m'en empêcha; elle le fit dissoudre dans de l'eau douce, puis le filtra à travers un linge, et de cette manière nous pûmes saler notre soupe.

<< Est-ce que nous n'aurions pas pu prendre tout simplement de l'eau de mer, dit Jack, au lieu de nous donner tant de peine?

L'eau de mer, lui dis-je, est encore plus amère que salée; elle a de plus un goût nauséabonde très-désagréable, qui se perd quand on sépare le sel, comme vient de le faire votre mère. Pendant que je parlais, ma femme

goûta la soupe avec un petit bâton qui lui servait à la remuer, et déclara qu'elle était bonne, et salée fort à propos : « Mais, dit-elle, Fritz nous manque encore; et puis comment mangerons-nous notre soupe? nous n'avons ni cuillères ni assiettes; comment n'avonsnous pas pensé à en prendre sur le vaisseau? -Parce qu'on ne pense jamais à tout, chère femme; nous nous apercevrons peu à peu de bien d'autres privations.

Mais celle-là, dit-elle, sera une des plus pénibles; il est impossible que chacun de nous soulève ce gros pot brûlant pour le porter à sa bouche, et prenne le biscuit à la main. »

Elle avait raison; nous restions stupéfaits à regarder notre marmite, comme le ren ard de la fable quand la cigogne lui présente une cruche à long col. Enfin nous partîmes tous d'un éclat de rire de notre dénûment d'ustensiles, et de notre imprévoyance, car des cuillères et des fourchettes étaient des instrumens de première nécessité.

« Si nous avions seulement des noix de coco, disait Ernest, nous pourrions les casser, et nous servir des fragmens de la coquille comme de cuillères.

—Oui, oui, dis-je, c'est fort bien, si nous

en avions! mais nous n'en avons pas; on vą loin avec des si; et si des vœux suffisaient, j'aimerais autant avoir tout de suite quelques douzaines de bonnes et belles cuillères; mais à quoi nous servent les souhaits?

--Mais, répondit-il, nous pouvons au moins prendre des coquilles de moules.

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Bien ! bien! Ernest, voilà ce que j'appelle une pensée uțile; va donc chercher ces huîtres dont tu nous parles. Mais, messieurs, point de dégoût entre nous; nos cuillères n'auront point de manche, et nos doigts tremperont dans la gamelle. » Jack courut le premier, Ernest le suivit lentement, et Jack était déjà dans l'eau jusqu'à mi-jambe quand il arriva le petit entreprenant arracha vite les huîtres, et les jeta au petit paresseux, qui en remplit son mouchoir, et mit de plus une grosse moule dans sa poche; et tous deux arrivèrent avec leurs provisions.

Fritz n'était pas encore de retour, et sa mère commençait à s'inquiéter, lorsque nous l'entendîmes crier de loin joyeusement, et nous lui répondîmes de même : il arriva les mains dernière le dos, et s'approchant d'un air triste et capot: « Qu'apportes-tu? lui demandèrent ses frères; montre-nous ta chasse,

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