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CHAPITRE III.

Voyage de découverte.

PEINE l'aube du jour eut paru, que je fus réveillé par le cri de notre coq; j'éveillai aussitôt ma femme, et je délibérai avec elle sur ce qui devait nous occuper ce jour-là : nous fùmes d'accord que la première chose importante était de faire des recherches sur nos compagnons du vaisseau, et d'examiner en même temps la qualité du pays de l'autre côté du ruisseau, avant de prendre une résolution définitive.

Ma femme concevait bien qu'un voyage dans ce but ne pouvait se faire en famille, et, pleine de confiance en la bonté de Dieu, elle consentit avec courage à la proposition de garder auprès d'elle Ernest et les deux petits; tandis que Fritz, comme le plus âgé et le plus vaillant, viendrait avec moi en découverte. Je la priai de ne pas perdre de temps, et de préparer le déjeûner : elle nous prévint que les portions seraient petites, parce qu'il n'y

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avait plus de provisions que pour une soupe.

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<< Mais, demandai-je, et l'écrevisse de Jack, qu'est-elle devenue? C'est ce qu'il nous apprendra, dit sa mère: va éveiller les petits; moi je vais faire du feu et mettre de l'eau dessus. »

Les enfans furent bientôt sur pied, et même le paresseux Ernest consentit sans murmure à se lever de si bon matin. Quand je demandai a Jack où était son écrevisse, il courut la chercher dans une fente de rocher où il l'avait soigneusement cachée. « Je ne voulais pas, dit-il, que les chiens la mangeassent comme le gibier de Fritz; il me paraît que ces gaillards ne méprisent rien. — Il me parait aussi, dis-je, que mon étourdi sait réflé chir à ce qui l'intéresse. Heureux celui qui devient sage par le dommage d'autrui ! dit le proverbe mo e ; mais ne veux-tu pas bien céder à Fritz, pour son voyage, la grosse pince qui t'avait pris par la jambe, et que je t'avais promise ››› **

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Quel voyage? s'écrièrent-ils tous; nous voulons en être aussi. Voyage ! voyage ! répétèrent-ils en frappant des mains et sautant autour de moi comme de petits chevreaux.

Pour cette fois, leur dis-je, c'est impossible;

nous ne savons pas ce qui nous arrivera : moi et votre frère aîné, nous pouvons mieux affronter un danger et nous en tirer; outre cela, un voyage en famille irait très-lentement; vous resterez donc tous trois ici avec votre mère, à cette place, qui paraît être sûre, et vous garderez pour vous protéger la vaillante Bill, pendant que Turc nous accompagnera: une telle garde et un fusil chargé peuvent inspirer du respect. Allons, Fritz, attache Bill pour qu'elle ne nous suive pas, et garde Turc près de toi; prépare aussi nos fusils. >>

Fritz rougit; son fusil était courbé, et ne pouvait servir; il alla le chercher, et tâcha en vain de le redresser; je le laissai faire pendant quelque temps; enfin, je lui permis d'en prendre un autre; mais je vis avec plaisir son regret d'avoir abîmé le sien. Un moment après, il voulut prendre Bill pour l'attacher, mais elle se souvenait des coups qu'il lui avait donnés; elle lui montra les dents, et ne voulut pas venir à lui, non plus que Turc: ils n'obéirent qu'à ma voix. Alors Fritz, en pleurant, demanda du biscuit à sa mère, en disant qu'il se passerait plutôt de déjeûner pour faire sa paix avec les chiens;

il leur en porta, les flatta, les caressa, et sembla leur demander pardon. Comme de tous les animaux, sans en excepter l'homme, le chien est le moins rancunier et le plus sensible aux caresses, Bill consentit à le lécher; mais Turc, qui était plus fier, résistait encore et paraissait le craindre. «Donne-lui une pate de mon écrevisse, lui dit Jack; aussi bien je veux te la céder pour ton voyage.

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Bon! dit Ernest, ne t'inquiète pas, ils trouveront sûrement des noix de coco, comme Robinson, et c'est bien autre chose que ta misérable écrevisse ! imagine-toi une amande grosse comme ma tête, et une grande jatte pleine de bon lait d'amande.

-Tu m'en apporteras si tu en trouves? » dit le petit François.

Nous nous préparâmes au départ; nous primes chacun une gibecière et une hache; je mis une paire de pistolets dans la ceinture de Fritz, outre son fusil; je m'équipai de même, et je n'oubliai pas une provision de biscuit, et un flacon de fer-blanc plein d'eau douce du ruisseau : ma femme nous appela ensuite à déjeûner, et l'écrevisse nous parut si dure à tous, qu'il nous en resta beaucoup

pour le voyage; aucun de mes enfans ne vit de mauvais œil qu'elle passât dans notre poche. Cependant nous étions tous rassasiés; la bête était immense, et sa chair est beaucoup plus nourrissante que celle des écrevisses de rivière, mais bien moins délicate.

Fritz conseilla de nous mettre en route avant l'ardeur du soleil : « Je le veux bien, lui dis-je; mais nous avons oublié ce qu'il y a de plus important. Quoi donc? mon

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père, dit-il en regardant autour de lui; je ne vois plus rien à faire que de dire adieu à maman et à mes frères. » Mais Ernest dit : « Moi, je devine ce que c'est; nous n'avons pas encore fait notre prière du matin.

C'est cela même, mon cher enfant, répondis-je : on oublie trop souvent Dieu, notre père à tous; prions-le d'alléger nos peines, de pourvoir à notre subsistance, à notre bien-être, car jamais nous n'avons eu tant besoin de son secours et de sa protection que dans une situation telle que la nôtre, et au moment de commencer un voyage sur une plage in

connue. >>

Alors le petit polisson Jack commença à contrefaire le sonneur des églises, et à crier :

Bom, bom, bidibom, bidibom là la prière,

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