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à la prière; bom, bom! Étourdi ! m'écriai-je fâché, faut-il donc que tu mêles tes sottises et tes polissonneries dans les choses les plus sérieuses et les plus sacrées? Tu n'es pas digne de prier le bon Dieu, puisque tu en fais un badinage et un jeu. Eloigne-toi, laisse-nous prier avec respect, et réfléchis sur ta folle conduite. » Le petit garçon recula de quelques pas, mais ayant toujours un air mutin qui me déplut. Nous nous mimes tous à genoux, et je fis la prière avec plus de dévotion et de ferveur encore qu'à l'ordinaire, nous recommandant humblement à la continuation des bontés de Dieu, et à sa garde paternelle pour ce jour d'une première et urgente séparation : je lui demandai aussi pardon pour nous tous, mais particulièrement pour notre petit compagnon qui venait de l'offenser. A ces mots, Jack s'avança doucement en pleurant, se mit à genoux derrière moi, et quand j'eus fini, il dit en sanglotant: « Je demande pardon à papa et au bon Dieu.

-Il fallait mettre Dieu le premier, lui dis-je, et même ne t'adresser qu'à Dieu, car tu n'as offensé que lui; mais si tu te repens sincère¬ ment, il est si bon qu'il te pardonnera. » Ję

l'embrassai ensuite, et je lui fis encore quelques petites exhortations, en lui recommandant, ainsi qu'aux deux autres, d'obéir en tout à leur mère : alors je chargeai les fusils qui restaient, et que je leur laissai, et je dis à ma femme de se tenir toujours près du bateau, qui, pour la défense et la fuite, était le meilleur asile. Après cela, nous nous arrat châmes de ses bras et de ceux des enfans, non sans émotion et sans douleur, car des deux côtés nous ne pouvions savoir ce dont nous étions menacés sur cette côte inconnue. Tous fondaient en larmes, mais le bruit du ruisr seau, dont nous approchions, fit, que nous n'entendîmes plus leurs sanglots et leurs adieux répétés, et nous obligea de penser à nousmêmes et au but de notre marche.

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Le rivage du ruisseau était si escarpé des deux côtés, que l'on ne pouvait approcher de son lit que par un passage fort étroit du côté où nous étions, et près de son embouchure dans la mer. C'était où nous avions été puiser de l'eau; mais il n'y avait pas moyen de le traverser en cet endroit, le bord opposé étant hérissé de rocs perpendiculaires et trop élevés. Pour y parvenir, nous fûmes obligés de monter, en suivant son cours, jusqu'à la

paroi de rochers d'où l'eau tombait en cascade il se trouvait par-ci par-là de grosses pierres dans le lit du ruisseau, que nous franchîmes en faisant des sauts bien hasardés; mais enfin nous arrivâmes sur l'autre rive. Nous marchâmes alors très-péniblement au travers de hautes herbes, moitié séchées par le soleil : nous descendions en diagonale pour tâcher d'arriver au bord de la mer, où nous espérions trouver moins d'obstacles dans notre marche, et peut-être découvrir la chaloupe ou quelques-uns de nos camarades, lorsque, après avoir fait une centaine de pas, nous entendîmes derrière nous un bruit très-fort, comme si nous étions poursuivis, et nous vîmes un grand mouvement dans les herbes, presque aussi hautes que nous. J'avoue que j'eus un moment d'effroi intérieur, pensant que c'était peut-être un serpent, un tigre, où quelque autre bête féroce, et que nous allions être dévorés; mais je fus très-content du courage de Fritz, qui, au lieu de s'effrayer et du fuir, s'arrêta avec beaucoup de sang-froid et de calme, se mit en position de tirer, en bandant le chien de son fusil, et regardant au - devant du bruit qui s'approchait il découvrit enfin d'où il provenait..

Notre joie fut grande en voyant que cette créature redoutée n'était autre que notre fidèle Turc, que la douleur des adieux nous avait fait oublier, et que nos amis nous avaient sans doute envoyé. Je reçus le gros dogue avec joie, et je louai Fritz de ne s'être pas laissé entraîner par la peur, ou à fuir, ou à tirer sur le chien avant de l'avoir vu distinctement, puisqu'il aurait pu tuer notre plus zélé défenseur. « Vois-tu, cher Fritz, lui dis-je, quels ennemis dangereux sont les passions et la pusillanimité? Ta colère d'hier, et la peur aujourd'hui, si tu l'avais éprouvée, auraient pu nous faire un dommage irréparable. »

Il en convint, me promit de veiller sur luimême, pour ne plus se laisser aller à la colère, et caressa si fort le brave Turc, qu'enfin ils devinrent amis.

En causant ainsi, nous avancions : nous avions alors à notre gauche la mer, et à notre droite, à demi-lieue de distance, la paroi de rochers continus qui, depuis notre place de débarquement, se prolongeait sur une ligne presque parallèle au rivage, et les sommités étaient parées d'une riante verdure et d'une grande variété d'arbres; l'espace entre cette paroi et la mer était couvert en partie de

hautes herbes à demi séchées, en partie de petits bois qui s'étendaient d'un côté jusqu'aux rochers, de l'autre jusqu'à la mer. Nous nous tenions soigneusement près du rivage, et nous regardions plus attentivement la plaine liquide que celle sur laquelle nous marchions, dans l'espérance d'apercevoir la chaloupe et nos compagnons; nous ne négligions cependant pas de chercher aussi sur le sable des traces d'hommes, sans pouvoir rien découvrir ni d'ancien ni de récent..

«Je veux, dit Fritz, tirer de temps en temps un coup de fusil, pour que nos camarades puissent nous entendre, s'ils sont cachés quelque part.

-Fort bien, lui dis-je, si tu peux tirer de manière que seulement nos amis entendent les coups, et non pas les sauvages, qui peutêtre sont dans les environs, et qui pourraient facilement nous épier et nous surprendre.

au

FRITZ. Mais pourquoi courons-nous péril de notre vie, après des gens qui nous ont abandonnés si cruellement sur le vaisseau?

LE PÈRE. Par plusieurs raisons, mon cher: premièrement, parce qu'il ne faut pas rendre le mal pour le mal; ensuite, parce qu'ils peuvent aussi nous être utiles et nous aider;

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