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mais surtout parce qu'ils ont peut-être le plus grand besoin de notre secours : ils n'ont sauvé du vaisseau que leur personne, si tant est qu'ils l'aient sauvée, et nous, nous en avons tiré beaucoup de choses sur lesquelles ils ont autant de droit que nous.

FRITZ. Cependant nous courons ici, dans l'incertitude, sur le rivage, tandis que nous pourrions retourner sur le vaisseau et sauver notre bétail.

LE PÈRE. Dans la rencontre de plusieurs devoirs, mon fils, nous devons toujours préférer le plus important pour le remplir le premier essayer de sauver des hommes est plus noble que de s'occuper d'animaux, auxquels nous avons donné de la nourriture pour plusieurs jours; d'ailleurs, la mer est tranquille, elle ne menace pas de submerger de sitôt le vaisseau. »

Fritz se tut. Je gardai le silence, et, chacun rentré en soi-même, nous marchâmes en avant; après avoir fait environ deux lieues, nous entrâmes dans un bois un peu éloigné de la mer. Nous fimes halte, et nous nous restaurâmes à l'ombre, au bord d'un clair ruisseau qui coulait doucement à côté de nous.

Tout à l'entour volaient, chantaient, gazouillaient des espèces d'oiseaux inconnus qui se distinguaient plus par leur beau plumage que par une voix agréable. Fritz prétendait aussi avoir découvert entre le feuillage et les branches, des animaux ressemblant aux singes. En effet, ce qui parut le confirmer, fut l'inquiétude de Turc; il commença à lever le nez en l'air, et à aboyer si fort, que le bois en retentissait. Fritz se glissa de tous côtés pour s'en assurer; il levait aussi le nez vers les arbres, et se heurta sur un corps arrondi qui était à terre; il faillit tomber tout de son long: il ramassa cependant ce qui l'avait fait broncher, et me l'apporta, en me disant que c'était peut-être un nid d'oiseau. « Pourquoi crois-tu cela? lui dis-je en l'examinant : c'est plutôt une noix de coco.

FRITZ. Mais j'ai lu cependant qu'il y a vraiment des oiseaux qui bâtissent des nïds tout ronds; voyez comme c'est croisé et hérissé.

LE PERE. Oui sans doute; mais tu ne dois. pas si légèrement, et au premier regard, décider la chose; ne vois-tu pas que ce que tu prends pour des brins croisés par un bec d'oiseau, est une enveloppe fibreuse faite par la nature? Ne te rappelles-tu pas aussi

avoir lu que la noix de coco est enveloppée dans un corps rond, fibreux, entouré d'une peau mince et fragile? Semblable à celle que tu tiens, cette peau est gâtée par le temps; c'est pourquoi tu vois ces petites fibres hérissées en dehors: à présent nous allons les ôter entièrement, et tu trouveras la noix dessous. »

Nous le fimes, et la noix fut cassée; nous ne trouvâmes rien dedans qu'un noyau desséché qui n'était plus mangeable.

FRITZ. Ah, mon Dieu ! que dirait Ernest, qui m'enviait tant ces amandes grosses comme la tête et ces jattes pleines d'orgeat? Je croyais aussi, mon père, que les noix de coco renfermaient un liquide doux et rafraîchissant comme du lait d'amande. Les voyageurs sont de grands menteurs !

LE PÈRE. Quelquefois, mon fils; mais dans ce cas-ci ils ont eu raison; ce lait existe dans les noix de coco quand elles ne sont pas toutà-fait mûres, comme dans les nôtres, mais en plus grande quantité; plus ce fruit mûrit, plus ce liquide s'épaissit, se forme en noyau, se dessèche enfin complètement : si cette noix mûre est mise dans un bon terrain, les

noyaux germent et rompent la coque; mais s'ils restent sur la terre ou dans un endroit qui ne leur convient pas, ils étouffent par la fermentation intérieure, et périssent comme. celui-ci.

FRITZ. Je suis maintenant étonné que tous

n'étouffent pas; pas; la

coque

ment un noyau peut-il la

est si dure! com

percer ?

LE PÈRE. Nos noyaux de pêche ne sont pas moins durs, et cependant le pepin peut les rompre quand ils sont mis dans un bon terrain.

le

FRITZ. C'est ce que je conçois très-bien :

noyau de pêche est divisé en deux parties, comme une coquille de moule; il y a une couture qui s'ouvre facilement d'elle-même quand le pepin se gonfle par l'humidité; mais celui-ci est tout rond et tout d'une pièce.

LE PÈRE. Tu vois qu'il est peut-être plus aisé de l'ouvrir en dedans qu'en dehors: conviens que les noix de coco ont une tout autre construction; mais tu peux voir encore, par ces fragmens, que la nature sait aussi venir à leur secours. Ici, près de la queue, tu trouveras trois trous ronds, qui ne sont point cou

verts d'un tissu aussi dur que le reste de la coque; ce n'est qu'une espèce de bondon spongieux qui les ferme, et c'est

le germe des pepins peut sortir.

par là que

FRITZ. Je vais remettre ensemble ces fragmens, et je rapporterai cette noix à maître Ernest, qui en était si friand, pour voir s'il la trouvera de son goût.

LE PÈRE. Et moi, mon cher Fritz, j'aimerais bien te trouver moins de méchanceté; badine avec ton frère sur cette mauvaise noix, à la bonne heure, pourvu que tu lui en portes aussi une meilleure, si tu peux la trouver : cherchons bien, peut-être en ramasseronsnous qui ne seront pas gâtées. >>

Après avoir cherché long-temps, nous en trouvâmes une seule, et nous l'ouvrimes; elle était passable, et nous épargna nos provisions pour notre dîner: il était encore trop tôt pour le faire. Quoique cette noix fût déjà un peu huileuse et un peu rance, nous nous en étions pourtant rassasiés, et nous continuâmes notre route. Pendant quelque temps encore le chemin nous conduisit à travers les bois, où nous fûmes souvent obligés de nous frayer une route avec la hache, parce qu'ils étaient

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